Un véhicule de l'armée israélienne est aperçu devant la prison militaire d'Ofer, en Cisjordanie occupée, en novembre 2023. L'emprisonnement par Israël de 17 journalistes en Cisjordanie depuis le début de la guerre entre Israël et Gaza, le 7 octobre, a fait de ce pays la 6e plus grande prison de journalistes, selon le recensement carcéral du CPJ, qui a été effectué le 1er décembre. La Chine et le Myanmar sont en tête de la liste des pays qui emprisonnent le plus de journalistes. (Photo : AFP/Fadel Senna)

Recensement carcéral 2023 : le nombre de journalistes emprisonnés frôle un niveau record ; forte hausse des emprisonnements en Israël

Par Arlene Getz

Israël est devenu l’une des plus grandes prisons de journalistes au monde depuis le début de la guerre entre Israël et Gaza le 7 octobre, selon le recensement carcéral 2023 du Comité pour la protection des journalistes. Israël s’est classé sixième – à égalité avec l’Iran – derrière la Chine, le Myanmar, la Biélorussie, la Russie et le Vietnam, respectivement.

Au total, le CPJ a documenté 320 journalistes derrière les barreaux au 1er décembre 2023, date du recensement. Ce nombre est le deuxième plus élevé jamais enregistré par le CPJ depuis le début du recensement en 1992 – un baromètre inquiétant de l’autoritarisme enraciné et de la sévérité des gouvernements déterminés à étouffer les voix indépendantes. Certains gouvernements vont encore plus loin en utilisant la répression transnationale pour menacer et harceler les journalistes au-delà de leurs frontières. Les mesures d’intimidation prises par Moscou consistent, entre autres, à lancer une série de mandats d’arrêt contre des journalistes russes vivant dans d’autres pays ; l’Éthiopie a contraint un journaliste à rentrer d’exil pour qu’il réponde d’accusations de terrorisme après l’avoir fait arrêter dans le pays voisin, Djibouti. 

Les recherches menées par le CPJ montrent également que plus de 65 % des journalistes recensés, soit 209, font l’objet d’accusations de complot contre l’État, telles que la diffusion de fausses nouvelles et le terrorisme, en représailles à leurs reportages critiques. Dans 66 cas, les journalistes détenus n’ont pas encore été informés des charges qui pèsent contre eux. Ils sont souvent confrontés à des conditions de détention inutilement cruelles, les procédures régulières sont fréquemment bafouées par les autorités qui prolongent la détention provisoire des journalistes, et les avocats des journalistes eux-mêmes font l’objet de représailles dans le monde entier.

Autres constatations clés de 2023 :

Les plus grandes prisons de journalistes

Le jour du recensement, plus d’un tiers (35,8 %) des journalistes incarcérés se trouvaient en Chine (44 journalistes derrière les barreaux), au Myanmar (43) et en Biélorussie (28).

Robert Pang (à gauche), l’avocat du magnat des médias pro-démocratie Jimmy Lai (à droite), arrive au tribunal de Hong Kong le 22 décembre, jour où le tribunal a débouté la demande de Lai (aperçu ici lors d’une interview avec des médias en juin 2020) d’abandonner l’accusation de publication séditieuse. Le 2 janvier 2024, Lai a plaidé non coupable à des accusations passibles de la réclusion à perpétuité. (Photos, de gauche à droite : AFP/Peter Parks, AFP/Anthony Wallace)

La Chine est depuis longtemps l’une des plus grandes prisons de journalistes au monde. Du fait de la censure, il est notoirement difficile de déterminer le nombre exact de journalistes emprisonnés dans ce pays, mais la répression des médias par Pékin s’est intensifiée ces dernières années, 2021 marquant pour la première fois la présence de journalistes de Hong Kong en prison au moment du recensement du CPJ. Les arrestations à Hong Kong ont eu lieu après que Pékin a imposé une loi sévère en matière de sécurité nationale suite à de vastes manifestations pro-démocratie. Plusieurs des journalistes détenus à l’époque sont confrontés à des retards constants dans l’examen de leur dossier, notamment Jimmy Lai, fondateur du journal pro-démocratie Apple Daily, aujourd’hui fermé. Le procès de Lai pour atteinte à la sécurité nationale n’a commencé qu’après que ce dernier a passé près de 1 100 jours derrière les barreaux. S’il est reconnu coupable, il encourt la prison à vie. 

Les autorités chinoises ont également de plus en plus recours à des accusations de complot contre l’État pour détenir des journalistes, trois des cinq nouveaux cas recensés en Chine qui figurent dans la base de données 2023 du CPJ étant des journalistes accusés d’espionnage, d’incitation au séparatisme ou de subversion du pouvoir de l’État. Parmi les nombreux journalistes inculpés figurent des Ouïghours du Xinjiang, où Pékin est accusé de crimes contre l’humanité pour ses détentions massives et sa répression sévère des groupes ethniques majoritairement musulmans de la région. En 2023, 19 des 44 journalistes emprisonnés étaient des journalistes ouïghours.

La répression des journalistes s’est également considérablement aggravée au Myanmar et en Biélorussie depuis 2021.

Au Myanmar, les médias indépendants du pays sont décimés depuis le coup d’État militaire de février 2021, lorsque la junte s’est empressée d’arrêter des journalistes et de fermer des organes de presse, poussant les journalistes à l’exil. Près de trois ans plus tard, les journalistes continuent d’être pris pour cible en vertu de dispositions relatives aux complots contre l’État largement utilisées pour criminaliser « l’incitation » et la diffusion de « fausses nouvelles ». En mai, le photojournaliste Sai Zaw Thaike a été arrêté alors qu’il couvrait les conséquences du cyclone meurtrier Mocha dans l’ouest du Myanmar, avant d’être condamné à 20 ans de prison pour sédition – la plus longue peine d’emprisonnement prononcée à l’encontre d’un journaliste depuis le coup d’État.

En Biélorussie, les autorités emprisonnent de plus en plus de journalistes en raison de leur travail depuis 2020, année durant laquelle le pays a été secoué par des manifestations de masse suite à la réélection contestée du président biélorusse Alexandre Loukachenko. La majorité d’entre eux, soit 71 %, sont accusés de complot contre l’État ; près de la moitié d’entre eux purgent des peines de cinq ans ou plus.

Les autorités biélorusses utilisent le plus couramment les lois sur « l’extrémisme » comme armes pour emprisonner les journalistes en représailles à leur travail, cinq des sept nouveaux prisonniers bélarussiens du recensement de 2023 du CPJ étant accusés d’avoir créé des groupes extrémistes ou d’y avoir participé, ou bien d’avoir facilité des activités extrémistes. (Le CPJ enquête également pour déterminer si un autre journaliste biélorusse fait l’objet d’accusations similaires.) Selon l’Association biélorusse des journalistes en exil, au moins 19 médias ont été qualifiés d’« extrémistes » au cours des deux dernières années. 

Nouveaux développements

Les deux principaux changements dans la liste du recensement de 2023 concernent Israël et l’Iran, qui détiennent chacun au moins 17 journalistes au 1er décembre, ce qui les place à égalité à la sixième place.

Bien qu’Israël ait figuré à plusieurs reprises dans le recensement annuel du CPJ, ce nombre d’arrestations de journalistes palestiniens est le plus élevé depuis que le CPJ a commencé à documenter les arrestations en 1992, et c’est également la première fois qu’Israël se classe parmi les six pays qui emprisonnent le plus de journalistes. Tous les journalistes détenus par Israël à la date du recensement du CPJ le 1er décembre ont été arrêtés dans le territoire palestinien occupé de Cisjordanie après le début de la guerre entre Israël et Gaza le 7 octobre. La plupart d’entre eux sont placés en détention administrative, ce qui permet aux autorités israéliennes de détenir des personnes sans inculpation au motif qu’elles les soupçonnent d’avoir l’intention de commettre une infraction future.

La nature opaque de ces procédures fait qu’il est difficile pour les chercheurs du CPJ de prendre connaissance des accusations portées contre les journalistes, mais plusieurs familles ont  déclaré au CPJ que selon elles, ils avaient été emprisonnés pour avoir publié des messages sur les réseaux sociaux. (Cliquez ici pour de plus amples renseignements sur l’emprisonnement de journalistes palestiniens par Israël)

Au total, Israël a détenu plus de 20 journalistes depuis le début de la guerre, mais ceux qui ont été libérés avant le 1er décembre ou détenus après cette date ne sont pas comptabilisés dans le recensement de 2023. (Cliquez ici pour connaître les chiffres les plus récents du CPJ sur le nombre de journalistes en détention.)

En Iran, les chiffres ont enregistré une forte baisse par rapport à 2022, année où le pays a été désigné comme la plus grande prison de journalistes suite de la répression de la couverture des manifestations nationales menées par des femmes et déclenchées par la mort de Mahsa Amini, 22 ans. Une grande partie des 62 journalistes figurant dans le recensement de 2022 ont depuis été libérés sous caution dans l’attente d’une inculpation ou d’une condamnation, ce qui signifie que la baisse du nombre de journalistes incarcérés en 2023 n’est en aucun cas un signe de relâchement de la répression des médias en Iran. Au contraire, les autorités ont réagi à l’augmentation du nombre de reportages sur les droits des femmes en prenant pour cible des femmes journalistes de renom pour en faire des exemples.

Au 1er décembre, 8 des 17 journalistes emprisonnés en Iran étaient des femmes. 

Parmi elles figurent Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi, qui ont fait partie des premiers journalistes à relater la mort d’Amini en septembre 2022. Condamnées respectivement à 13 et 12 ans de prison pour des accusations de complot contre l’État en lien avec leurs reportages, les deux femmes ont été autorisées à quitter la prison sous caution le 14 janvier 2024. La journaliste indépendante Vida Rabbani purge actuellement à la prison d’Evin la première de deux peines de prison totalisant 17 ans, pour ses reportages sur les manifestations.

La Russie a également intensifié ses efforts pour réprimer la liberté d’information. Alors que les médias indépendants du pays ont été vidés de leur substance suite à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022, Moscou tente de criminaliser le journalisme au-delà de ses frontières en lançant des mandats d’arrêt et en prononçant des peines de prison par contumace à l’encontre de plusieurs journalistes de renom en exil. 

La Russie détient également un nombre disproportionné de journalistes étrangers dans ses prisons. Sur les 17 journalistes non-locaux figurant dans le recensement, douze sont détenus par la Russie. Deux d’entre eux, Evan Gershkovich et Alsu Kurmasheva, sont des citoyens américains en détention provisoire. Parmi les 10 Ukrainiens figurent cinq Tatars de Crimée, un groupe ethnique majoritairement musulman originaire de la péninsule de Crimée, qui a été annexée par la Russie en 2014, dont quatre purgent des peines de 12 à 19 ans pour terrorisme. L’un d’eux, Amet Suleymanov, souffre de nombreux problèmes de santé, notamment de problèmes cardiaques, pulmonaires, gastriques et articulaires.

Cruauté et représailles

Les conditions de détention sont très difficiles dans les pays affichant le pire bilan en matière de détention de journalistes. Des rapports nationaux publiés par le département d’État américain au début de l’année 2023 ont révélé que les prisonniers en Chine, au Myanmar, en Biélorussie, en Russie, et au Vietnam sont généralement victimes d’abus physiques et sexuels, de surpopulation, de pénuries de nourriture et d’eau et de soins médicaux inadaptés.

Une clôture périphérique est aperçue autour de ce qui s’appelle officiellement un centre de formation professionnelle à Dabancheng, dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, en 2018. La police de Dabancheng a détenu deux journalistes de Reuters pendant plus de quatre heures après la prise de cette photo. (Photo : Reuters/Thomas Peter)

Au moins 94 des 320 journalistes figurant dans le recensement de 2023, soit près de 30 %, sont connus pour avoir des problèmes de santé. Nombre d’entre eux n’ont pas accès à des médicaments ou à des médecins, mais leurs familles sont souvent réticentes à s’exprimer par crainte de représailles à l’encontre de leurs proches. Les recherches du CPJ ont révélé de nombreux cas où des journalistes emprisonnés ont été privés de soins de santé, de médicaments et parfois de produits de première nécessité comme le chauffage, l’eau chaude et l’électricité.

Le journaliste vietnamien Huynh Thuc Vy, par exemple, purge une peine de deux ans et neuf mois pour avoir prétendument dégradé le drapeau vietnamien. Son père, Huynh Ngoc Tuan, a déclaré au CPJ en novembre 2023 que Vy avait développé une grave maladie cardiaque, la régurgitation tricuspidienne, qui nécessitait des médicaments que la prison ne fournissait pas et que sa famille n’avait pas les moyens d’acheter et de faire livrer régulièrement à la prison située à plus de 193 km de chez elle.

Toujours au Vietnam, les autorités pénitentiaires ont cessé de fournir de l’eau chaude à Tran Hunyh Duy Thuc pour l’empêcher de préparer des nouilles instantanées achetées à la cafétéria de la prison. Thuc, qui purge une peine de 16 ans d’emprisonnement, suivie de cinq ans d’assignation à résidence, pour « activités visant à renverser le gouvernement », a organisé de fréquentes grèves de la faim pour dénoncer les mauvaises conditions de détention et a cessé de s’alimenter en prison en septembre dernier pour protester contre le rationnement injuste de la nourriture.

Les membres de la famille de Thuc affirment qu’il a développé une maladie oculaire en 2017 après que les autorités pénitentiaires ont régulièrement coupé l’électricité dans sa cellule obscure et refusé de lui fournir des lampes de poche à piles achetées par sa famille au motif que les appareils électroniques sont interdits pour les prisonniers. 

En Russie, la journaliste indépendante ukrainienne Iryna Danylovych, qui purge une peine de six ans et 11 mois de prison, ne reçoit aucun traitement médical alors qu’elle a perdu l’ouïe de l’oreille gauche et qu’elle souffre de maux de tête débilitants. « Irina est au bord de la crise de nerfs », a déclaré le père de Danylovych au CPJ. 

En Biélorussie, Ksenia Lutskina ne reçoit pas non plus de soins médicaux appropriés, bien qu’elle souffre d’une tumeur au cerveau qui s’est développée alors qu’elle purge une peine de huit ans. 

Punition au-delà de la prison 

De nombreux journalistes voient leur liberté restreinte, même après avoir purgé leur peine. Cela affecte non seulement leurs moyens de subsistance, mais permet également aux gouvernements répressifs de continuer à les faire taire.

En Russie, par exemple, Andreï Novachov a l’interdiction d’exercer le métier de journaliste pendant un an après avoir purgé sa peine de huit mois de travaux forcés. Aleksandr Valov, qui a été libéré en mars 2023 après avoir purgé la totalité de sa peine de six ans d’emprisonnement, doit se présenter à la police chaque semaine et reste sous « surveillance administrative ». Il lui est également interdit de quitter la ville de Sotchi, sur la mer Noire, pendant deux ans et, bien qu’on ne lui interdise pas formellement d’exercer le métier de journaliste, il a déclaré au CPJ que personne ne voulait employer un critique connu du gouvernement.

Au Vietnam, cinq journalistes – Doan Kien Giang, Truong Chau Huu Danh, Nguyen Phouc Trung Bao, Le The Thang, et Nguyen Thanh Nha – du média indépendant Bao Sach (Journal propre) basé sur Facebook et aujourd’hui disparu – ont reçu l’interdiction d’exercer le métier de journaliste pendant trois ans après avoir purgé leur peine pour des accusations de complot contre l’État.

En Iran, Nasim Soltanbeygi, qui a fait un reportage sur la mort d’Amini, a été condamnée à deux ans d’interdiction de quitter le territoire et à deux ans d’interdiction d’appartenir à un groupe ou à une assemblée politique, en plus de sa peine de trois ans et demi pour diffusion de propagande contre le régime et collusion contre la sécurité nationale.

En Chine, où les prisonniers sont envoyés dans des camps de rééducation politique ou sont maintenus en prison après avoir purgé leur peine, le sort d’un groupe d’étudiants qui travaillaient pour Ilham Tohti, le fondateur du site d’information du Xinjiang Uighurbiz emprisonné à vie, reste inconnu.

L’Égypte a également pour habitude de limiter les activités des journalistes après qu’ils ont purgé leur peine. Le photojournaliste égyptien et lauréat du Prix international de la liberté de la presse du CPJ, Mahmoud Abou Zeid, connu sous le nom de Shawkan, a été interdit de voyage à l’étranger pendant cinq ans après avoir été libéré de prison en 2019.

Répression régionale

Un instantané du nombre de journalistes emprisonnés un jour donné ne reflète forcément qu’une partie de la situation. Les classements peuvent être en dents de scie, et un plus petit nombre de journalistes emprisonnés n’indique pas nécessairement une plus grande tolérance à l’égard de la liberté de la presse. C’est le cas de pays pratiquant une politique de « porte tournante » comme la Turquie, l’Égypte, l’Iran et la Syrie.

Afrique subsaharienne

Avec 16 journalistes emprisonnés, l’Érythrée se classe au septième rang mondial des pays qui emprisonnent le plus de journalistes, et au premier rang sur le continent africain. Les journalistes détenus en Érythrée figurent parmi les plus anciens cas connus de journalistes emprisonnés dans le monde ; aucun n’a jamais été inculpé.

En Afrique subsaharienne, le nombre de journalistes emprisonnés au 1er décembre est passé à 47, contre 31 en 2022 et 30 en 2021, l’Éthiopie (8) et le Cameroun (6) se classant aux deuxième et troisième rangs de la région.

Le nombre de journalistes éthiopiens emprisonnés reflète l’environnement difficile dans lequel évoluent les médias. Malgré la signature en 2022 d’un accord de paix qui a mis fin à deux ans de guerre civile, l’agitation persiste dans certaines parties de l’Éthiopie et le conflit fait rage dans l’État d’Amhara entre les milices régionales et les forces fédérales. Les huit journalistes recensés par le CPJ ont été arrêtés en 2023 après avoir couvert ce conflit.

Les données montrent également une répression des médias au Sénégal, en Zambie, en Angola et à Madagascar. Le Sénégal, qui compte cinq journalistes emprisonnés, n’a figuré que deux fois auparavant (2008 et 2022) dans le recensement, avec, chaque année, un journaliste emprisonné recensé.

La République démocratique du Congo, la Zambie, l’Angola, le Burundi et le Nigeria comptaient tous un journaliste répertorié en 2023. Madagascar, qui figure pour la première fois dans le recensement, comptait également un journaliste emprisonné. Les accusations portées contre Stanis Bujakera Tshiamala en RDC– qui relèvent à la fois du code pénal, d’un nouveau code numérique et d’une nouvelle loi sur la presse permettant aux autorités de poursuivre et d’emprisonner les journalistes qui diffusent de « fausses nouvelles » et partagent des informations par voie électronique, suscitent des inquiétudes concernant la criminalisation persistante du journalisme.  

Asie

L’Asie reste la région qui compte le plus grand nombre de journalistes emprisonnés. Outre les plus grandes prisons que sont la Chine, le Myanmar et le Vietnam, des journalistes ont également été recensés dans les prisons en Inde, en Afghanistan et aux Philippines.

L’Inde, qui détient sept journalistes, utilise les lois sur la sécurité, notamment la loi sur la prévention des activités illégales (UAPA) et la loi relative à la sécurité publique de l’État de Jammu-et-Cachemire, pour réduire les médias au silence.  

En décembre, l’Afghanistan ne détenait qu’un seul journaliste en prison, mais la répression des talibans à l’encontre des journalistes et des médias afghans ne s’est pas relâchée. Au moins 16 autres journalistes ont été arrêtés – puis relâchés – tout au long de l’année, les talibans accusant certains d’entre eux de faire des reportages pour le compte de médias en exil.

Aux Philippines, l’environnement médiatique sous la présidence de Ferdinand Marcos Jr. reste difficile, mais dans l’ensemble, les journalistes font l’objet d’un antagonisme moins flagrant que sous son prédécesseur, Frenchie Mae Cumpio restant la seule journaliste emprisonnée dans ce pays d’Asie du Sud-Est, autrefois bastion régional de la liberté de la presse. Cumpio est derrière les barreaux depuis près de quatre ans pour des accusations de possession d’armes illégales et de financement du terrorisme qui, selon ses avocats, seraient montées de toutes pièces.

Europe et Asie centrale

Le Tadjikistan reste toujours l’une des plus grandes prisons de journalistes en Asie centrale, avec sept journalistes purgeant des peines allant de sept à 20 ans de prison, tous condamnés depuis fin 2022. Une visite du pays par le CPJ fin 2023 a révélé que les lourdes peines ont exacerbé un climat de peur et d’autocensure omniprésent parmi les journalistes dans un environnement médiatique déjà décimé par des années de pression gouvernementale.

À la fin de l’année 2023, la situation de la liberté de la presse s’est également rapidement détériorée en Azerbaïdjan, une vague de détentions de journalistes ayant déferlé à l’approche des élections présidentielles prévues en février 2024. Quatre journalistes et un travailleur des médias ont été arrêtés avant le 1er décembre, et au moins trois autres depuis. Les quatre journalistes détenus le 1er décembre travaillaient pour le célèbre média d’investigation Abzas Media – connu pour ses enquêtes sur la corruption de hauts responsables de l’État – et ont été arrêtés dans un contexte de détérioration des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Occident suite à la reconquête militaire du Nagorno-Karabakh par l’Azerbaïdjan, les autorités azerbaïdjanaises accusant les ambassades américaines et européennes et les organisations donatrices de financer illégalement le média. 

Bien que les 13 journalistes emprisonnés en Turquie représentent une nette baisse par rapport aux 40 documentés dans le recensement de 2022 du CPJ, la journaliste la plus longtemps emprisonnée au monde, Hatice Duman, reste derrière les barreaux pour purger une peine d’emprisonnement à perpétuité, son nouveau procès n’ayant apporté aucun changement en 2023. En outre, de nombreux journalistes libérés en 2023 sont toujours sous contrôle judiciaire, ce qui signifie qu’ils doivent se présenter à la police et peuvent être interdits de se rendre à l’étranger, ou qu’ils ont été libérés dans l’attente d’une enquête ou d’un procès. Les deux visites d’information du CPJ en Turquie à la fin 2023 ont révélé que la baisse du nombre de journalistes en détention ne reflète pas une amélioration de l’environnement de la liberté de la presse dans le pays. 

Moyen-Orient et Afrique du Nord

L’Égypte, qui figure régulièrement parmi les plus grandes prisons de journalistes au monde, occupe avec la Turquie la huitième place du plus grand nombre de journalistes emprisonnés dans le monde – 13 – selon le recensement de 2023. L’Arabie saoudite est neuvième, avec 10 journalistes derrière les barreaux.

Au cours de ces dernières années, l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Maroc et le Kurdistan irakien utilisent de plus en plus des accusations de diffusion de fausses nouvelles, de terrorisme et de complot contre l’État à l’encontre des journalistes. Les autorités égyptiennes contournent régulièrement la législation limitant la détention provisoire des prisonniers à deux ans en ajoutant des chefs d’accusation supplémentaires pour prolonger cette période. C’est le cas du journaliste indépendant Mohamed Saïd Fahmy, qui a passé plus de quatre ans et demi en détention provisoire après avoir été arrêté pour diffusion de fausses nouvelles et terrorisme en 2018. Il devait être libéré en 2020, puis en 2021, mais sa détention a été prolongée après que les procureurs ont ajouté d’autres chefs d’accusation. Mostafa Mohamed Saad, caméraman principal de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera, est détenu en détention provisoire au Caire pour terrorisme et diffusion de fausses nouvelles depuis 2019. 

Aucune nouvelle incarcération n’a été signalée à Bahreïn et en Syrie, qui détenaient encore cinq journalistes chacun en 2023, ni au Maroc et en Algérie, qui en détenaient chacun trois. Parmi les quatre journalistes emprisonnés en Irak figure un nouveau prisonnier au Kurdistan irakien. En Tunisie, Khalifa Guesmi a été placé en détention en septembre pour purger une peine de cinq ans d’emprisonnement pour divulgation d’informations relatives à la sécurité nationale. Plus tôt dans l’année, une cour d’appel avait alourdi sa peine qui est passée de un à cinq ans.  

Amérique latine et Caraïbes

Le nombre relativement faible de journalistes emprisonnés en Amérique latine et dans les Caraïbes  – un au Guatemala, un au Nicaragua et un à Cuba – ne reflète pas les menaces qui pèsent sur les médias dans une région où d’autres pays, notamment le Honduras et le Salvador, continuent de porter atteinte à la liberté de la presse et où de nombreux journalistes ont été contraints à l’exil.

Au Guatemala, une série d’attaques contre la presse a tenté de censurer et de réduire au silence les médias indépendants et d’investigation. José Rubén Zamora reste en prison, même après qu’un tribunal guatémaltèque  a annulé sa condamnation pour blanchiment d’argent en juin 2023 et ordonné un nouveau procès, prévu pour février 2024. Zamora a été contraint de changer d’avocat à huit reprises depuis son incarcération en juillet 2022, quatre de ses avocats faisant l’objet de poursuites criminelles apparemment en représailles pour l’avoir défendu au tribunal. La pression exercée par le gouvernement a entraîné la fermeture de son journal indépendant, elPeriódico, en mai 2023.

Au Nicaragua, le journaliste indépendant Victor Ticay purge une peine de huit ans de prison pour des accusations de complot contre l’État et de diffusion de fausses nouvelles – des accusations qui s’inscrivent dans un schéma de harcèlement juridique, d’intimidation et de poursuites pénales à l’encontre des journalistes indépendants au Nicaragua alors que le président Daniel Ortega a intensifié ses efforts pour étouffer la liberté d’expression.

Rapports sur la base de données effectués par : Samir Alsharif, Anna Brakha, Beh Lih Yi, Joan Chirwa, Shawn Crispin, Doja Daoud, Ignacio Delgado Culebras, Sonali Dhawan, Geralda Embalo, Natalie Gryvnyak, Iris Hsu, Nick Lewis, Kunal Majumder, Mohamed Mandour, Sherif Mansour, Scott Mayemba, Muthoki Mumo, Moussa Ngom, Ozgur Ogret, Angela Quintal, Jonathan Rozen, Gulnoza Said, Soran Rashid, Waliullah Rahmani, Yegi Rezaian, Dánae Vilchez, Cristina Zahar 

Révision des profils des détenus par Arlene Getz, Kathy Jones, Naomi Zeveloff, Katy Migiro, Sarah Spicer, Jennifer Dunham, Suzannah Gonzales, et Tom Barkley