Le manque criant de justice pour les journalistes assassinés constitue une menace majeure pour la liberté de la presse. Plus de dix ans après la proclamation par les Nations Unies d’une Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes – et plus de 30 ans après que le CPJ a commencé à documenter ces assassinats – près de 80 % d’entre eux n’ont toujours pas été élucidés. Un rapport du CPJ.
Deux petits pays – Haïti et Israël – sont aujourd’hui les pays où l’impunité pour les meurtriers de journalistes est la plus élevée au monde, selon l’Indice mondial de l’impunité 2024 du CPJ qui mesure les meurtres non élucidés en proportion de la population d’un pays. Cette année marque la première apparition d’Israël dans l’indice du CPJ depuis sa création en 2008.
En Haïti, classé au 1er rang, la faiblesse, voire l’absence du système judiciaire, la violence des gangs, la pauvreté et l’instabilité politique contribuent à l’incapacité de tenir les assassins pour responsables. Haïti a fait sa première apparition dans l’indice en 2023, à la troisième place, alors que les gangs criminels avaient pris le contrôle de grandes parties du pays après l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, plongeant les organes de presse dans une « crise existentielle » qui a contraint bon nombre d’entre eux à réduire leur effectif ou à fermer leurs portes.
L’assassinat ciblé de journalistes par Israël à Gaza et au Liban au cours d’une guerre sans merci l’a propulsé à la deuxième place dans l’indice de cette année, qui couvre la période du 1er septembre 2014 au 31 août 2024. Le CPJ a documenté le meurtre de cinq journalistes – quatre Palestiniens et un Libanais – depuis le début de la guerre, et enquête sur les meurtres de 10 autres journalistes qui pourraient avoir été pris pour cible. Compte tenu des défis rencontrés pour documenter la guerre, ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé. Au total, Israël a tué un nombre record de journalistes palestiniens depuis que la guerre a débuté le 7 octobre 2023.
Comment le CPJ définit le « meurtre » et l’ « impunité »
Le CPJ enregistre des données sur les meurtres et les emprisonnements de journalistes depuis 1992. La méthodologie que nous utilisons depuis lors dans tous les pays est la suivante :
Meurtre
Seuls les cas définis comme « meurtres » sont répertoriés dans l’indice d’impunité. Le CPJ définit le « meurtre » comme l’assassinat d’un(e) journaliste, qu’il soit prémédité ou spontané, lorsque nos recherches nous permettent d’affirmer avec une certitude raisonnable que la personne a été tuée en lien direct avec son travail de journaliste. Dans de nombreux cas, nous ne sommes pas en mesure d’affirmer de manière concluante que l’assassinat était lié au travail de quelqu’un (par exemple, dans les pays où les niveaux de corruption et de criminalité sont élevés, comme au Mexique, ou pendant les guerres où le nombre de victimes civiles est élevé, comme la guerre entre Israël et Gaza). Le fait qu’une personne ne figure pas dans la catégorie « assassiné(e) » dans la base de données du CPJ ne doit pas être interprété comme signifiant que le CPJ considère que cette personne a été tuée de manière légitime.
Impunité
Il y a impunité lorsque des individus ou des pays ne sont pas tenus responsables de ces meurtres. L’impunité totale, qui est mesurée par notre indice d’impunité, signifie que personne n’a été tenu responsable du meurtre délibéré d’un(e) journaliste.
Autres classifications
Veuillez consulter la méthodologie du CPJ pour de plus amples informations sur les classifications.
Le CPJ effectue des recherches sur les cas et les met à jour en permanence et peut donc être amené à changer les classifications à mesure que de nouvelles preuves sont recueillies.
Des personnes endeuillées portent le corps du journaliste arabe d’Al Jazeera Ismail Al Ghoul, tué aux côtés du caméraman Rami Al Refee dans une attaque de drone lancée par Israël le 31 juillet 2024. Ils font partie des cinq journalistes de la région délibérément pris pour cible par les forces israéliennes en 2023-2024.
(Photo: AFP Omar Al-Qattaa)
Étant donné que l’indice d’impunité du CPJ mesure le nombre de meurtres de journalistes non élucidés en pourcentage de la population de chaque pays, la population plus importante d’Israël et le territoire palestinien occupé le place proportionnellement derrière Haïti, même si le nombre de cas y est plus élevé. Seuls les pays comptant au moins cinq meurtres non élucidés sont comptabilisés dans l’indice. Israël ne figurait pas dans l’indice de l’année dernière car la guerre à Gaza a débuté après la date limite de l’indice du 31 août 2023. Pour plus d’informations sur la méthodologie de l’indice, cliquez ici.
Plus d’informations sur l’impunité
- Après 3 décennies, 30 journalistes assassinés n’ont toujours pas obtenu justice
- Impunité accrue avec la recrudescence des assassinats au Pakistan en 2024
- Explorez l’impunité dans la base de données mondiale du CPJ
À l’échelle mondiale, l’indice du CPJ révèle que la grande majorité – 77 % – des meurtriers de journalistes s’en sont tirés en toute impunité, ce qui signifie que personne n’a été tenu responsable de leurs meurtres, qui restent donc non élucidés. Bien que ce chiffre représente une nette baisse par rapport au taux de 90 % enregistré par le CPJ il y a dix ans et une légère amélioration par rapport aux 78 % documentés par le CPJ en 2023, il n’y a certainement aucune raison de se réjouir. Avec environ quatre assassins de journalistes sur cinq qui restent impunis, l’impunité s’est enracinée dans le monde entier.
Bien qu’Haïti et Israël aient détrôné les pays qui occupaient depuis longtemps la première place de l’indice d’impunité, cela ne signifie pas pour autant que les autres pays ont amélioré leur bilan peu encourageant en matière de justice pour les journalistes.
La Somalie, la Syrie et le Soudan du Sud complètent le top cinq des pays où l’impunité est la plus élevée en 2024. Tous les trois figurent dans l’index du CPJ depuis au moins dix ans ; la Somalie est l’un des six pays présents depuis les 17 années d’existence de l’indice, ce qui souligne la nature persistante de l’impunité.
Une impunité enracinée, même dans les démocraties
Bien que les pays soient répartis sur plusieurs continents, tous ceux figurant dans l’indice sont en proie à un ou plusieurs des facteurs corrosifs qui permettent aux assassins de journalistes d’échapper à la justice : guerres, insurrections, gouvernements autoritaires, gangs criminels et absence d’action politique et judiciaire. L’effet sur la liberté de la presse est pernicieux. Plus ces conditions durent, plus l’impunité risque de s’enraciner et d’obliger les journalistes à fuir leur pays d’origine, à s’autocensurer ou à abandonner complètement leur profession.
Les démocraties ne sont pas à l’abri de cette tendance inquiétante.
Le Mexique a enregistré le plus grand nombre de meurtres impunis de journalistes – 21 – au cours de la période visée par l’indice et occupe le huitième rang de l’indice en raison de sa population importante. Longtemps considéré comme l’un des pays les plus dangereux au monde pour les médias, le Mexique enregistre une hausse de la violence meurtrière en 2024 après une baisse par rapport au niveau record de 2022. Un rapport conjoint du CPJ et d’Amnesty International révèle que l’incapacité du gouvernement mexicain à combler de manière adéquate les lacunes du Mécanisme fédéral de protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes limite les moyens dont il dispose pour prévenir la violence contre les journalistes. Du fait de la corruption endémique et du crime organisé, il est souvent difficile de déterminer si un journaliste a été directement pris pour cible en raison de son travail.
Au Brésil, pays doté d’un système démocratique depuis les années 1980, la corruption et la censure restent omniprésentes et ont contribué à la mort de 10 journalistes au cours de la période visée par l’indice. La plupart des cas se sont produits en dehors des grands centres urbains et concernaient des journalistes issus de petits médias locaux (5), de stations de radio (3) ainsi que des pigistes (2). L’impunité est généralisée ; même les cas entraînant des répercussions internationales, comme le meurtre de Dom Phillips en 2022 en Amazonie brésilienne, restent non élucidés. Trois accusés ont été arrêtés et doivent être jugés. Le cerveau présumé a également été arrêté, mais justice n’a pas encore été rendue.
Classement de l’indice mondial de l’impunité 2024 du CPJ
Rang | Pays | Nombre de meurtres non élucidés | Population en millions* | Années d’apparition parmi les pays en tête de l’indice |
---|---|---|---|---|
1 | Haïti | 7 | 11.7 | 2 |
2 | Israël/TPO* | 8 | 14.9 | 1 |
3 | Somalie | 9 | 18.1 | 17 |
4 | Syrie | 11 | 23.2 | 11 |
5 | Soudan du Sud | 5 | 11.1 | 10 |
6 | Afghanistan | 18 | 42.2 | 16 |
7 | Iraq | 11 | 45.5 | 17 |
8 | Mexique | 21 | 128.5 | 17 |
9 | Philippines | 18 | 117.3 | 17 |
10 | Myanmar | 8 | 54.6 | 3 |
11 | Brésil | 10 | 216.4 | 15 |
12 | Pakistan | 8 | 240.5 | 17 |
13 | Inde | 19 | 1428.6 | 17 |
*Le total pour Israël et le territoire palestinien occupé comprend le meurtre du journaliste de Reuters Issam Abdallah, tué au Liban par des tirs des forces israéliennes depuis l’intérieur d’Israël.
Il existe de nombreux autres pays figurant dans l’indice dans lesquels les assassins de journalistes échappent régulièrement à la justice, notamment :
- Le Pakistan, qui figure chaque année dans l’indice d’impunité depuis sa création en 2008. La mauvaise collecte de preuves, les ressources limitées, l’ingérence politique et la corruption ont conduit à plusieurs reprises à des enquêtes et à des poursuites inefficaces dans le cas d’assassinats de journalistes. Le CPJ a confirmé qu’au moins deux journalistes pakistanais ont été tués en représailles directes à leur travail jusqu’à présent en 2024, et enquête sur quatre autres meurtres qui pourraient être liés à leur travail.
- Les Philippines, qui figurent également dans l’indice chaque année depuis 2008, souvent à la 1ère ou à la 2e place, et comptent presque chaque année depuis 1992 un meurtre non élucidé d’un journaliste. La justice n’a toujours pas été pleinement rendue pour les 32 journalistes et professionnels des médias tués lors du massacre de Maguindanao il y a 15 ans – l’une des attaques les plus meurtrières contre la presse – et des journalistes comme Gerry Ortega, un animateur de radio tué en 2011.
- L’Irak, dont la pause de six ans dans les meurtres liés au travail a pris fin en 2024 lorsque deux femmes journalistes ont été prises pour cible. Les militants de l’État islamique (EI) et les forces turques antikurdes sont à l’origine de la plupart des 11 meurtres recensés au cours de la période visée par l’indice. En 2024, un rapport soumis par le CPJ aux Nations Unies note que les crimes contre les journalistes font rarement l’objet d’enquêtes, ce qui alimente la poursuite des attaques contre la presse. Alors que la violence s’intensifie, les restrictions des médias, la censure et les menaces contre les journalistes – tant à Bagdad qu’au Kurdistan irakien – se poursuivent à un rythme soutenu.
- L’Afghanistan, qui a recensé 18 journalistes assassinés au cours des dix dernières années, dont 13 revendiqués par l’État islamique, notamment dans un double attentat-suicide en 2018. Les talibans, malgré leur opposition à l’EI, n’ont pas cherché à obtenir justice pour les journalistes tués et continuent de harceler, d’attaquer et d’arrêter des journalistes et d’interdire les organes de presse.
- L’Inde, qui figure dans l’indice chaque année depuis sa création, et où la criminalité a joué un rôle prédominant dans les 19 meurtres de journalistes recensés au cours des dix dernières années. Les victimes ont été prises pour cible en raison de leur couverture médiatique de sujets divers et variés, allant de la politique à l’environnement. Le dernier meurtre en date a été commis cette année au cours des élections nationales, lesquelles ont également été marquées par de nouvelles violences électorales et une nouvelle législation susceptible de restreindre la liberté de la presse.
À l’instar d’Haïti et d’Israël, le Myanmar est un nouveau venu dans l’indice qui a fait sa première apparition en 2022. Le nombre de journalistes assassinés en toute impunité au Myanmar est passé à huit, dont trois nouveaux cas recensés en 2024. La recrudescence du nombre d’assassinats survient dans un contexte de répression sévère de la presse libre, l’armée ayant emprisonné des dizaines de journalistes et interdit plus d’une dizaine de médias indépendants depuis sa prise de pouvoir en 2021.
Une force d’enquête internationale pourrait renforcer les lois des Nations Unies contre l’impunité pour les meurtres de journalistes
En 2013 – cinq ans après le lancement par le CPJ de son premier indice d’impunité – la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes a été créée et sert désormais d’outil de plaidoyer pour mettre en évidence les pays dans lesquels l’impunité pour les meurtres de journalistes est enracinée.
S’en est suivi un ensemble de résolutions des Nations Unies en faveur des journalistes, au premier rang desquelles la résolution 2222 du Conseil de sécurité de l’ONU (2015) établissant que les journalistes sont des civils et sont protégés par le droit international. Prendre délibérément pour cible des civils constitue un crime de guerre. En 2017, les Nations Unies ont adopté la Résolution 33/2 du Conseil des droits de l’homme, qui charge les États membres de « prévenir, protéger et traduire en justice » afin de mettre fin à l’impunité.
En dépit des cadres internationaux visant à lutter contre l’impunité, l’absence d’amélioration significative dans l’établissement des responsabilités pour les meurtres de journalistes au cours des dernières décennies montre qu’il reste encore beaucoup à faire pour amener les auteurs de ces crimes à répondre de leurs actes. En décembre 2020, le CPJ – en collaboration avec ses partenaires Reporters sans frontières et Free Press Unlimited – a lancé le projet Safer World for the Truth, qui publie des rapports sur des meurtres de journalistes non élucidés. L’un des manquements fréquents mis en évidence dans ces rapports est le non-respect par les enquêteurs des normes internationales – en particulier les normes des Nations Unies connues sous le nom de Protocole de Minnesota – au niveau local pour garantir le principe de responsabilité. Des enquêtes policières entachées d’irrégularités, une collecte de preuves non conforme aux normes et des manquements en matière de poursuites judiciaires sont autant de caractéristiques qui reviennent fréquemment dans ces affaires.
Le CPJ plaide donc activement, avec ses partenaires de la liberté de la presse et d’autres, pour la création d’une équipe d’enquête internationale sur les crimes commis contre les journalistes. Un modèle d’organisme, initialement proposé en 2020 par un groupe d’experts juridiques, pourrait déployer des ressources ou fournir des conseils dans des situations où les forces de l’ordre locales n’ont pas la capacité ou la volonté politique d’enquêter sur les crimes commis contre les journalistes. Une étude de faisabilité a été réalisée par les Pays-Bas.
L’impunité est plus que jamais endémique
Dans cette période visée par l’indice, le CPJ a identifié 241 assassinats pour lesquels il existaient des éléments probants que ces meurtres étaient directement liés au travail de la personne. Moins de 4 % des personnes assassinées ont reçu une véritable justice ; 19 % ont reçu une justice partielle, c’est à dire que des responsabilités ont été établies pour certains de leurs assassins ; alors que les 77 % restants n’ont reçu aucune justice.
Depuis 1992, le CPJ a classé 974 assassinats de journalistes dans la catégorie des meurtres, dont seulement 5 % ont reçu une véritable justice et 79 % n’ont pas été élucidés. Ces chiffres n’ont quasiment pas changé cette année, tout comme les dangers auxquels les journalistes sont confrontés. L’impunité est plus endémique que jamais, et les familles et les collègues des journalistes assassinés ont peu de chances de voir quiconque tenu pour responsable.
Cette réalité est d’autant plus criante dans le cas des 30 journalistes dont les meurtriers sont toujours en liberté plus de 30 ans après que le CPJ a documenté leurs meurtres en 1992.
Seuls les cas d’impunité totale sont répertoriés dans notre indice ; ceux où certains ont été condamnés, mais où d’autres suspects restent en liberté – impunité partielle – ne le sont pas.
Les journalistes derrière les chiffres
Derrière les calculs et les classifications se trouvent des journalistes, ainsi que leurs collègues, familles et amis endeuillés. Voici quelques-uns des journalistes assassinés pendant la période visée par l’indice dont les assassins n’ont pas eu à répondre de leurs actes :
Le CPJ a déterminé, sur la base de nouvelles informations, que le journaliste et animateur de radio haïtien Gerry Tesse, dont les restes mutilés ont été retrouvés six jours après sa disparition en octobre 2022, a été assassiné en représailles à son travail. Peu de temps avant sa mort, Tesse a décrit à la radio un complot visant à le faire tuer par un puissant procureur confronté à des allégations de corruption. Tesse critiquait ouvertement et avec opiniâtreté la corruption et les abus de pouvoir.
Sagal Salad Osman, productrice et présentatrice de Radio Mogadiscio, a été assassinée par des assaillants somaliens en 2016 dans ce que la police a qualifié d’assassinat ciblé par le groupe militant Al-Shabaab. Selon les recherches du CPJ, les militants ont déjà pris pour cible des journalistes de Radio Mogadiscio et d’autres médias d’État. Les femmes qui occupent des postes publics sont tout particulièrement visées, comme l’a constaté l’Initiative stratégique pour les femmes dans la Corne de l’Afrique dans un rapport de 2016. Également étudiante à l’université, Osman a produit des émissions pour enfants pour la station de radio, selon un journaliste qui a demandé à garder l’anonymat.
Les cinq journalistes qui, selon le CPJ, ont été clairement et délibérément pris pour cible par Israël sont : Issam Abdallah, un vidéaste libanais de Reuters tué le 13 octobre 2023, Hamza Al Dahdouh et Mustafa Thuraya, tués le 7 janvier dans leur voiture alors qu’ils revenaient d’une mission, et Ismail Al Ghoul, et Rami Al Refee, tués le 31 juillet dans une attaque de drone lancée par Israël. Tous faisaient des reportages sur la guerre, et trois d’entre eux portaient des gilets « presse » au moment où ils ont été tués.
La journaliste, satiriste et influenceuse YouTube mexicaine, Pamela Montenegro, a été abattue en 2018 par deux assaillants dans un restaurant qu’elle possédait avec son mari. Elle était très connue sous son personnage en ligne « La Nana Pelucas » (la grand-mère à la perruque). En tant que rédactrice en chef du magazine en ligne El Sillón et à travers son personnage de La Nana Pelucas, Montenegro couvrait l’actualité politique locale dans la ville balnéaire d’Acapulco, dans l’État de Guerrero, et se moquait souvent des politiciens locaux.
Pavel Sheremet, lauréat du Prix international de la liberté de la presse du CPJ en 1998, était un citoyen russe né en Biélorussie qui a été tué par une voiture piégée en 2016 en Ukraine, où il exerçait son métier de journaliste et animait une émission de radio dans laquelle il commentait les activités des gangs criminels et la corruption de la police et du gouvernement. L’année précédant son assassinat, des amis de Cheremet ont déclaré à des journalistes qu’il pensait être suivi à Kiev, et en 2015, il a lui-même déclaré à Reuters qu’il ne se sentait pas en sécurité lorsqu’il se rendait à Moscou. Cinq suspects ont été désignés en 2019, et le Service fédéral de sécurité russe et le KGB biélorusse ont tous deux été accusés d’être à l’origine de l’attentat. Mais personne n’a été jugé pour le meurtre de Sheremet.
Les meurtres au Myanmar des reporters Htet Myat Myat Thu, Win Htut Oo et Myat Thu Tan en 2024 marquent la pire année du pays en matière d’impunité. Sept des huit journalistes assassinés au cours de la période visée par l’indice l’ont été après le coup d’État de 2021, à la suite duquel la junte a emprisonné des dizaines de journalistes et utilisé des lois antiétatiques de portée générale pour museler le journalisme indépendant. Htet Myat Thu, un journaliste bien connu qui avait déjà été blessé par balle et arrêté alors qu’il couvrait une manifestation contre le coup d’État, a été tué lors d’un raid à son domicile familial, en même temps que Win Htut Oo, un proche ami d’enfance qui travaillait pour Democratic Voice of Burma, média aujourd’hui exilé. Myat Thu Tan a été tué lors de sa détention suite à des messages critiques qu’il avait publiés sur Facebook, selon des sources.
Plus d’informations sur le Top 5 des pays de l’indice
Haïti
Cette année, Haïti s’est hissé en tête de l’indice à la suite des meurtres non élucidés de sept journalistes depuis 2019.
En 2024, Haïti a connu l’année la plus catastrophique de son histoire récente après qu’une coalition de gangs armés a déclaré une guerre ouverte à l’État à la fin du mois de février, en s’introduisant dans la plus grande prison de la capitale, Port-au-Prince, pour libérer plus de 4 000 détenus, dont de nombreux criminels violents. Le premier ministre par intérim, Ariel Henry, a été contraint de démissionner et un gouvernement de transition a été mis en place avec le soutien des États-Unis et du groupe régional des pays des Caraïbes, la CARICOM.
Cependant, malgré le déploiement d’une force de sécurité internationale de 400 hommes dirigée par le Kenya, de vastes pans de Port-au-Prince, à savoir des zones de bâtiments détruits où la population est en proie à une crise alimentaire, restent sous le contrôle des gangs.
Le chaos économique et la ruine ont forcé de nombreux journalistes à fuir et ont conduit de nombreux médias haïtiens à suspendre leurs activités ou à réduire leurs effectifs, certains étant même sur le point de mettre la clé sous la porte.
Dans le même temps, l’instabilité politique n’a fait qu’exacerber les dysfonctionnements du système judiciaire haïtien, ce qui a valu à Haïti de devenir, l’année dernière, le premier pays des Caraïbes à figurer sur la liste annuelle du CPJ recensant les pays où les assassins échappent à la justice. Et aujourd’hui, il est désigné comme le pire pays au monde en matière d’impunité dans l’indice 2024 du CPJ.
Israël
Dans la guerre sans précédent la plus dangereuse jamais enregistrée par le CPJ, Israël a tué au moins 126 journalistes et professionnels des médias, presque tous palestiniens, dont au moins cinq ont été pris pour cible en raison de leur travail, ce qui a propulsé, pour la première fois, cette petite nation dans l’indice d’impunité du CPJ. Bien qu’Israël nie avoir visé directement les journalistes pendant la guerre, son armée affiche depuis longtemps un lourd bilan en matière de meurtres de journalistes. Dans son rapport « Deadly Pattern » publié avant la guerre, le CPJ révèle que personne n’a été tenu responsable des meurtres de 20 journalistes par des tirs militaires au cours des 22 dernières années.
Ce rapport de mai 2023 préfigure la réponse du pays aux meurtres des cinq journalistes dans la guerre entre Israël et Gaza. Dans un cas bien précis, plusieurs enquêtes indépendantes ont révélé qu’Israël avait délibérément tiré sur des journalistes dans le sud du Liban le 13 octobre 2023, tuant le journaliste de Reuters Issam Abdallah et blessant six autres personnes. Malgré ces conclusions exhaustives et détaillées, Israël n’a pris aucune mesure.
Somalie
La Somalie, qui avait le niveau d’impunité le plus élevé de l’indice entre 2015 et 2022, et figure dans l’indice chaque année depuis sa création, est passée à la 2e place derrière la Syrie en 2023, et se classe désormais au 3erang. Les neuf journalistes recensés pendant la période visée par l’indice sont, pour la plupart, morts entre 2014 et 2018 et auraient été tués par Al-Shabaab, un groupe d’insurgés qui cherche à établir un État islamique en Somalie. Malgré cette légère baisse, les journalistes restent confrontés à des risques élevés. La Somalie demeure instable alors que l’offensive se poursuit contre Al-Shabaab. La couverture médiatique de ce conflit prolongé reste dangereuse, voire mortelle. Le travail d’information des médias est fortement entravé, les journalistes continuant à être victimes d’arrestations, de menaces et de harcèlement.
Syrie
Onze journalistes ont été assassinés en toute impunité en Syrie au cours de la période visée par l’indice 2024. Sept d’entre eux sont morts entre 2014 et 2016, dans un contexte où le soulèvement initial contre le régime de Bachar al-Assad s’est transformé en une guerre à grande échelle impliquant des puissances régionales et mondiales, et l’État islamique a commencé à prendre le contrôle du territoire syrien. L’EI aurait assassiné la plupart des sept journalistes tués entre 2014 et 2016. Malgré l’apaisement des combats depuis qu’Assad a repris le contrôle de la majeure partie du pays, les médias syriens continuent à encaisser coup sur coup, alors que de nombreux journalistes ont été contraints de s’exiler, et que les autorités gouvernementales et les dirigeants locaux continuent de harceler, de menacer, ou d’arrêter les journalistes.
Soudan du Sud
L’assassinat de cinq journalistes au Soudan du Sud en 2015 est la raison pour laquelle le pays figure toujours dans l’indice d’impunité depuis cette date, preuve s’il en est de l’insuffisance voire de l’absence d’efforts pour obtenir justice pour leurs meurtres. Ces cinq journalistes, tués au cours de la guerre civile au Soudan du Sud entre 2013 et 2020, sont emblématiques des journalistes sous pression dans un pays en proie à l’instabilité depuis l’indépendance en 2011. Le CPJ a documenté de nombreux cas de harcèlement, de détention et d’emprisonnement de journalistes, ainsi que la mort d’un reporter de guerre dans des tirs croisés au cours des dernières années.
En septembre 2024, le Soudan du Sud a subi un revers dans sa transition post-guerre civile lorsque le mandat du gouvernement de transition a été prolongé de deux ans et les élections ont été reportées. L’incertitude politique et le conflit qui persistent dans certaines parties du Soudan du Sud ont de graves conséquences sur la sécurité des civils, y compris des journalistes. Au Soudan du Sud, des membres de la presse continuent d’être arrêtés en raison de leur travail, et la Commission des droits de l’homme des Nations Unies au Soudan du Sud fait état d’une censure et d’une autocensure généralisées des médias, y compris en ce qui concerne la couverture médiatique de la transition.
Méthodologie de l’indice d’impunité
L’indice mondial de l’impunité du CPJ calcule le nombre de meurtres de journalistes non élucidés en pourcentage de la population de chaque pays. Pour le présent indice, le CPJ a examiné les meurtres de journalistes non élucidés survenus entre le 1er septembre 2014 et le 31 août 2024. Seuls les pays comptant au moins cinq cas non élucidés sont pris en compte dans l’indice. Le CPJ définit le meurtre comme l’assassinat ciblé d’un(e) journaliste, qu’il soit prémédité ou spontané, en lien direct avec le travail du (de la) journaliste. Les affaires sont considérées comme non élucidées dès lors qu’aucune condamnation n’a été obtenue, même si des suspects ont été identifiés et sont en détention. Les affaires dans lesquelles certains des suspects, mais pas tous, ont été condamnés sont considérées comme relevant d’une impunité partielle. Les affaires dans lesquelles les auteurs présumés ont été tués lors de leur arrestation sont également classées dans la catégorie de l’impunité partielle. L’indice ne recense que les meurtres ayant été commis en toute impunité et ne comptabilise pas ceux pour lesquels une justice partielle a été rendue. Les données démographiques tirées des Indicateurs du développement dans le monde 2023 de la Banque mondiale, consultés en septembre 2024, ont été utilisées pour établir le classement de chaque pays. Les régions à l’intérieur d’un pays qui sont partiellement contrôlées ou occupées par ce pays, comme la région du Kurdistan irakien, et Gaza et Israël, sont comptabilisées dans les chiffres de la population de ce pays.