Juillet 16, 2020
Son Excellence Évariste Ndayishimiye
Président de la République du Burundi
Par courrier électronique : [email protected]
Votre Excellence,
Nous, membres du Comité pour la protection des journalistes, une organisation non gouvernementale qui défend la liberté de la presse dans le monde, prenons note de vos engagements prises à l’occasion de votre investiture pour promouvoir les droits de l’homme, respecter la liberté d’opinion et garantir la justice pour tous les citoyens. Nous pensons que votre administration pourrait réaliser des progrès rapides et significatifs dans le cadre de ces engagements en rompant avec les antécédents du Burundi en matière de répression des médias et en favorisant un environnement où les journalistes peuvent opérer librement et en toute sécurité. À cette fin, nous vous exhortons à libérer les quatre journalistes incarcérés du groupe de médias Iwacu, à lever les interdictions sur les radiotélédiffuseurs, à effectuer des enquêtes crédibles sur les attaques contre les journalistes, et à mettre un terme aux perturbations d’Internet comme moyen de contrôler la circulation de l’information.
Les quatre journalistes d’Iwacu, Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Égide Harerimana et Térence Mpozenzi ont été arrêtés en octobre 2019 alors qu’ils couvraient des affrontements à Bubanza. En janvier ils ont été condamnés à 2,5 ans de prison et en juin leur appel a été rejeté. Ces journalistes ne faisaient qu’essayer d’accomplir leur devoir d’information auprès des Burundais. L’injustice qu’ils ont subie est aggravée par le risque accru pour leur santé auquel ils sont confrontés derrière les barreaux en pleine crise de pandémie de COVID-19, préoccupation partagée par l’Organisation mondiale de la santé. Nous demandons qu’ils soient libérés immédiatement et sans condition.
Un autre journaliste d’Iwacu, Jean Bigirimana, a disparu à Bujumbura le 22 juillet 2016. Peu avant sa disparition, Bigirimana a reçu un appel d’une source du renseignement, selon les recherches du CPJ. Les collègues et la famille de Bigirimana attendent des réponses depuis bientôt quatre ans. Nous exhortons votre gouvernement à s’opposer vigoureusement à l’impunité dans les attaques contre la presse et de lancer une enquête crédible et impartiale sur la disparition de Bigirimana.
Au cours des dernières années, la pluralité des sources d’informations disponibles aux Burundais s’est érodée. Au milieu des troubles de mai 2015, le CPJ a documenté des attaques contre cinq organes de radiodiffusion. Trois d’entre eux – Bonesha FM, Radio Publique Africaine, et Renaissance Radio and Television – n’ont pu reprendre leurs opérations au Burundi. Depuis 2018, la British Broadcasting Corporation et Voice of America sont interdites au Burundi. Le gouvernement devrait immédiatement lever les interdictions pesant sur les médias et garantir qu’ils peuvent opérer librement, sans crainte de représailles.
Dans votre discours d’investiture vous avez souhaité la bienvenue à tous les réfugiés burundais. Plus de 100 journalistes burundais sont en exil, la plupart d’entre eux s’étant enfuis à la suite des attaques de 2015 contre les médias, selon les recherches du CPJ et l’Union burundaise des journalistes. L’Union elle-même a été suspendue de ses opérations au Burundi dès 2016, et sept journalistes exilés font partie d’un groupe pour lequel le gouvernement burundais a émis des mandats d’arrêt, selon des rapports et des documents judiciaires examinés par le CPJ. L’année dernière, un tribunal burundais a ordonné la saisie des biens de ces journalistes, selon des articles de presse et une requête de 2019 adressée à la Cour de Justice de l’Afrique de l’Est. Afin que les journalistes se sentent suffisamment en sécurité pour regagner leur patrie, nous demandons au gouvernement de lever la suspension du syndicat et de mettre un terme aux affaires pénales en cours contre les journalistes en exil.
Le gouvernement précédent recourait aux perturbations d’Internet pour contrôler le flux d’informations pendant les périodes de tension politique, comme l’a documenté le CPJ lors des élections de mai 2020 et en 2015. Plusieurs médias sont restés bloqués au Burundi depuis mai 2020, comme le CPJ et 30 autres organisations l’ont noté dans une lettre au Président d’alors, Pierre Nkurunziza. Non seulement les coupures d’Internet portent atteinte au droit des citoyens d’accéder à l’information, mais elles rendent aussi le travail des journalistes difficile et dangereux. Votre gouvernement doit débloquer les sites d’actualités et garantir un accès Internet ininterrompu aux Burundais.
Les objectifs de bonne gouvernance et de droits de l’homme évoqués dans votre discours d’investiture sont à la fois nobles et nécessaires et nous vous exhortons, vous et votre gouvernement, à prendre des mesures immédiates pour les réaliser. Nous partageons votre attachement au dialogue et sommes ouverts à d’éventuelles discussions avec votre gouvernement sur la consolidation de l’environnement de la presse au Burundi.
Avec nos salutations sincères,
Joel Simon
Directeur exécutif
Comité pour la protection des journalistes