La reporter sénégalaise Ndèye Maty Niang, alias Maty Sarr Niang, célèbre sa libération le 12 mars. (Capture d'écran : Pulse Senegal/YouTube)

Le CPJ appelle les candidats à l’élection présidentielle du Sénégal à mettre en œuvre des réformes en matière de liberté de la presse après la libération de 5 journalistes

Dakar, le 19 mars 2024 — Les candidats à l’élection présidentielle de dimanche au Sénégal doivent s’engager à décriminaliser le journalisme et à abandonner toutes les poursuites judiciaires contre les journalistes, a déclaré mardi le Comité pour la protection des journalistes.

Après un report de dernière minute du scrutin en février dernier qui a déclenché des manifestations, les Sénégalais sont appelés aux urnes le 24 mars pour élire l’un des 19 candidats en lice pour diriger le pays. L’actuel président, Macky Sall, qui a déjà effectué deux mandats, ne se présente pas. 

Au cours des dernières années, le CPJ a observé un recul de la liberté de la presse au Sénégal, caractérisé par des arrestations et des poursuites pénales répétées de journalistes, des attaques des forces de sécurité contre des reporters couvrant des manifestations, des coupures d’Internet et d’autres tactiques de censure. Le recensement carcéral de 2023 du CPJ place le Sénégal parmi les pays qui emprisonnent le plus de journalistes en Afrique.

Le 12 mars, les autorités sénégalaises ont libéré cinq journalistes emprisonnés depuis l’année dernière, dont Ndèye Maty Niang, alias Maty Sarr Niang, et quatre journalistes du média Allô Sénégal qui font toujours l’objet de poursuites, selon Niang et Famara Faty, avocat des journalistes d’Allô Sénégal, qui se sont tous deux entretenus avec le CPJ. 

« La libération d’au moins cinq journalistes sénégalais emprisonnés depuis 2023 est une bonne nouvelle, mais ils n’auraient jamais dû être arrêtés et leurs cas soulignent l’impératif de réformes juridiques pour empêcher une telle criminalisation de la presse à l’avenir », a déclaré Angela Quintal, responsable du programme Afrique du CPJ. « Tous les candidats à l’élection du prochain président du Sénégal doivent s’engager à prendre des mesures rapides pour s’assurer que l’exercice du journalisme n’est plus jamais considéré comme un crime, et à abandonner toutes les poursuites engagées contre les journalistes dans le pays, y compris les quatre membres du personnel d’Allô Sénégal récemment libérés. » 

Reporter pour le site d’information privé Kéwoulo, Niang était emprisonnée depuis mai 2023 mais a bénéficié d’une mise en liberté provisoire le 12 mars, laquelle ne signifiait pas la fin des poursuites.

Cependant, l’avocat de Niang, Moussa Sarr, a déclaré au CPJ que le cas de la journaliste tombe désormais sous le coup de la loi d’amnistie adoptée par le parlement sénégalais le 6 mars et mise en application quelques jours après sa libération.

La loi d’amnistie efface les poursuites judiciaires pour des infractions présumées « liées à des manifestations ou ayant des motivations politiques » commises dans le contexte de la crise politique dans le pays de mars 2021 à février 2024, selon l’examen de la loi par le CPJ.

Quatre journalistes d’Allô Sénégal pourraient retourner en prison  

Incarcérés depuis novembre 2023, les quatre journalistes d’Allô Sénégal – la présentatrice du journal télévisé Ndèye Astou Bâ, le chroniqueur Papa El Hadji Omar Yally, le caméraman Daouda Sow et le manager Maniane Sène Lô – ont été libérés sous contrôle judiciaire et doivent comparaître chaque mois devant un tribunal de Dakar, selon Faty, ajoutant que leurs cas ne tombaient pas sous le coup de la loi d’amnistie. 

Le reporter d’Allô Sénégal, Mamadou Lamine Dièye, et le technicien Moussa Diop ont également été arrêtés en novembre, suite à une plainte déposée par le ministre sénégalais du Tourisme et des Loisirs, Mame Mbaye Kan Niang, portant sur une émission dans laquelle des allégations d’adultère de la part de Niang ont été évoquées, avant d’être libérés sous contrôle judiciaire.

Les journalistes d’Allô Sénégal font l’objet de divers chefs d’accusation, dont celui                d’« usurpation de la fonction de journaliste » qui découle de l‘application combinée du code de la presse et du code pénal sénégalais, et qui est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Ndèye Maty Niang a également été mise en examen pour « usurpation de la fonction de journaliste », entre autres.

En mai 2023, un autre journaliste, Serigne Saliou Gueye, rédacteur en chef du journal Yoor-Yoor, a également été arrêté et accusé d’usurpation de la fonction de journaliste et d’outrage à magistrat. Il a été remis en liberté provisoire après presque un mois, est  tenu de se présenter au bureau du procureur chaque mois et n’a pas le droit de quitter le Sénégal sans autorisation.

Au moins quatre autres journalistes – Pape Sané, Pape Alé Niang, Pape Ndiaye et Babacar Touré – ont été arrêtés en 2023 en lien avec leur travail. Ils sont visés par des accusations réprimées par le code pénal, notamment la diffusion de fausses nouvelles et des comportements de nature à porter atteinte à la sécurité publique, et ont été libérés sous des conditions strictes. Le CPJ n’a pas pu confirmer dans l’immédiat si leurs cas tombaient sous le coup de la loi d’amnistie, bien que leur avocat Sarr ait déclaré qu’ils devraient « en principe » être inclus.