Le journaliste français Olivier Dubois à Nioro, au Mali, le 14 septembre 2020. Il y a six mois, il a disparu dans la région de Gao au Mali, et est apparu dans une vidéo non vérifiée dans laquelle il déclare avoir été enlevé par un groupe djihadiste. (AFP/Michele Cattani)

La conjointe du journaliste disparu au Mali déclare qu’elle ne sera en paix que lorsqu’il sera de retour à la maison

Par Angela Quintal/Coordinatrice du programme Afrique

Le journaliste indépendant français Olivier Dubois, 47 ans, a fait ce qu’il aurait normalement fait avant une mission. Il a remis à sa conjointe et mère de ses enfants, Deborah Al Hawi Al Marsi, un morceau de papier sur lequel figurait des noms et des numéros de téléphone à appeler en cas d’urgence. Chaque fois qu’Olivier rentrait sain et sauf dans la capitale malienne, Bamako, Al Marsi retirait la note du tiroir et la détruisait. Il n’aurait pas dû en être autrement en avril dernier. Avant le vol de Dubois à destination de Gao le 8 avril, où il espérait interviewer un dirigeant local du groupe affilié à Al-Qaïda Jamaa Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), il a donné à Al Marsi une note sur laquelle figurait des contacts d’urgence, comme d’habitude.

Lorsque Dubois n’est pas monté à bord du vol retour vers Bamako le 10 avril, Al Marsi a récupéré ce morceau de papier et a commencé à appeler les numéros d’urgence. L’enlèvement de Dubois a finalement été rendu public dans une vidéo diffusée sur Internet dans la soirée du 4 mai. Dubois était assis dans une tente et expliquait qu’il était détenu par le JNIM. Comme l’a documenté le CPJ, Dubois a exhorté sa famille, ses amis et les autorités françaises à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour obtenir sa libération.

À part cette vidéo de 21 secondes, Al Marsi est sans nouvelles de Dubois ou de ses ravisseurs. Elle n’a reçu également aucune information des autorités françaises et maliennes sur le lieu où il se trouve et sur son état de santé.

Le 8 octobre, cela fera exactement six mois que Dubois a quitté sa maison pour une mission que les publications françaises auxquelles il contribuait régulièrement avaient rejetée car jugée trop dangereuse. Dans un article publié en 2020, la BBC décrit le Tchad, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Mauritanie comme une « ligne de front dans la guerre contre le militantisme islamiste depuis près d’une décennie ». La région du Sahel a été mortelle pour les journalistes. Deux journalistes espagnols, David Beriain et Roberto Fraile, ont été tués après avoir été enlevés fin avril dans l’est du Burkina Faso alors qu’ils travaillaient sur un documentaire.

En 2013, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, deux journalistes de la radio publique française Radio France Internationale (RFI) ont été tués après avoir été enlevés par des hommes armés dans la ville malienne de Kidal alors qu’ils terminaient une interview avec un dirigeant séparatiste touareg. Dubois est le seul ressortissant français actuellement retenu en otage dans le monde et est le premier à être kidnappé au Mali depuis l’enlèvement de la travailleuse humanitaire française Sophie Pétrolin à Gao en 2016. Ironie du sort, six mois avant sa disparition, Dubois couvrait la libération de Pétrolin en octobre 2020 après près de quatre ans de captivité.

Dans un entretien écrit réalisé via une application de messagerie avec la coordinatrice du programme Afrique du CPJ, Angela Quintal, Al Marsi déclare rester convaincue qu’elle sera de nouveau réunie avec lui, et ses enfants avec leur père.

L’entretien a été remanié pour des raisons de clarté et de longueur.

Le 8 octobre, cela fera six mois qu’Olivier a disparu à Gao le 8 avril. Que vous disent les autorités françaises et maliennes sur l’état de leurs enquêtes, le lieu où il se trouve et son état de santé ?

Les autorités françaises et maliennes sont très discrètes sur la situation, et je le comprends. C’est logique. Elles doivent préserver les efforts qu’elles déploient pour protéger et libérer Olivier. En fait, je suis sans nouvelles d’Olivier, et je n’ai pas non plus d’information de la France et du Mali. Je fais confiance aux autorités, mais je dois admettre que même si je comprends le silence qu’elles doivent maintenir, c’est douloureux. Nous aimerions savoir ce qui se passe, mais nous n’avons pas d’autre choix que de faire confiance.

Le journaliste français Olivier Dubois avec sa conjointe, Deborah Al Hawi Al Marsi. (Photo: Al Marsi)

Olivier vous a-t-il donné des détails sur sa mission avant de partir pour Gao ? Si oui, que vous a-t-il dit ?

Comme il le faisait pour tous ses déplacements précédents dans le pays, il m’a laissé une procédure de sécurité à suivre en cas de problème. Il m’a toujours donné le strict minimum d’informations pour ne pas trahir les gens avec qui il travaille, mais suffisamment pour que j’alerte les autorités en cas de problème. D’habitude, je mets le papier dans un tiroir, et je le détruis à son retour. C’est la première fois que je dois l’utiliser.

Quelles autres menaces ou dangers Olivier a-t-il dû affronter en tant que journaliste au Mali ?

Olivier est quelqu’un de très intègre qui jouit d’une très bonne réputation grâce à son travail. Il n’a jamais été confronté à des menaces. Il est respecté pour le travail qu’il fait. C’est un très bon et très grand journaliste. Olivier n’a pas d’ennemis du fait qu’il relate des informations neutres, justes et précises. Une fois, Il a eu des problèmes avec l’armée, mais Olivier n’aime pas en parler, parce que pour lui ce n’est pas le plus important. La chose la plus importante pour lui, c’est de transmettre des informations détaillées – pas de travailler sur un scoop.

Y a-t-il eu d’autres nouvelles d’Olivier ou de ses ravisseurs depuis sa vidéo de mai ? Y a-t-il eu une demande de rançon ou d’autres demandes ?

Depuis la vidéo, c’est le silence total. Rien. Pas de nouvelles, pas de mots. Je ne suis au courant de rien.

Vous et la famille d’Olivier avez exhorté le gouvernement français à négocier avec ses ravisseurs. Quelle a été la réponse du gouvernement français ?

Le gouvernement français est très ferme et strict. La liberté d’Olivier est une priorité. Il comprend que nous ne voulons pas d’intervention militaire et que nous voulons une discussion diplomatique. Il m’a assuré qu’Olivier n’est pas oublié. Mais comme je l’ai dit, il doit travailler avec discrétion. Dans tous les cas, je lui fais confiance.

Comment vous et les enfants vivez-vous cette situation après tous ces mois sans savoir où il se trouve ?

La situation est très compliquée, parce qu’Olivier nous manque énormément tous les jours. On ne passe pas une minute sans penser à lui. Hier, mon fils de cinq ans m’a demandé : « Maman, quand on ira à Disneyland avec papa, est-ce qu’on prendra le métro ? » C’est une question simple, mais pour moi, ça veut tout dire. Olivier fait toujours partie de nos vies. Nos projets de vie l’incluent toujours et nous ne doutons jamais qu’il nous reviendra.

Les épreuves de la vie sont très dures, mais notre famille est forte et l’amour qu’Olivier nous a toujours donné est toujours dans nos cœurs. Son amour nous fait tenir debout. J’essaie d’être très humble au sujet de ma douleur, parce que je suis persuadée que je le reverrai.

La famille d’Olivier a publié une déclaration en août exhortant les gouvernements malien et français à coopérer. Y a-t-il eu des problèmes qui ont compromis les tentatives de libérer Olivier ?

Nous ne sommes au courant de rien. Mais ce que je peux dire, c’est que la situation géopolitique au Mali peut être effrayante quand on vit loin de cette région, surtout avec la dernière annonce concernant la présence militaire française au Mali. (En juillet, le président français Emmanuel Macron a annoncé que la France commencera à fermer ses bases militaires dans le nord du Mali alors qu’elle s’apprête à réduire ses activités dans la cadre de la lutte contre les extrémistes au Sahel). Cette déclaration a rappelé la situation d’Olivier, mais la situation d’Olivier est au-dessus de la géopolitique. La coopération entre la France et le Mali n’est pas nouvelle. J’ai l’assurance qu’ils n’abandonneront jamais Olivier, quelle que soit la situation politique.

Quel message avez-vous pour Olivier, ses ravisseurs et les gouvernements français et maliens ?

Si j’avais un message, ce serait pour Olivier. Je lui dirais qu’il est l’homme le plus fort que je connaisse et qu’il est ma force. Je lui dirais que je ne l’abandonnerai jamais et que je ne serai en paix que lorsqu’il sera de retour à la maison. Je lui dirais d’être patient et de prendre chaque jour qui s’est écoulé comme un jour de moins à attendre avant que notre famille soit réunie. Même si la question « quand ce jour arrivera-t-il ? » est douloureuse, nous sommes convaincus qu’il arrivera. Mais la chose la plus importante que je lui dirais, c’est que nos enfants et moi n’arrêterons jamais de l’aimer et d’espérer qu’il nous revienne. Nous le croyons du fond du cœur.