Les nouveaux contrats pétroliers suscitent l’optimisme, mais le public est peu informé sur leurs détails. Par Tom Rhodes

(AFP/Tullow Oil Uganda)
 

Pétrole, argent et culte du secret en Afrique de l’Est

Par Tom Rhodes

Les autorités en Afrique de l’Est anticipent avec exubérance les futurs revenus du pétrole: un nouvel accord de production a été signé au Soudan du Sud; en effet, de nouvelles découvertes ont été faites et des accords de forage signés au Kenya et en Ouganda. Mais à moins que les journalistes soient autorisés à publier les détails des contrats et de la redistribution des ressources, les risques de corruption et de dégradation de l’environnement seront aussi colossaux que le potentiel de croissance économique. Et chacun de ces pays d’Afrique de l’Est est connu pour ses atteintes notoires à la liberté de la presse, en témoignent notamment les cas de violences orchestrées par le gouvernement au Kenya et en Ouganda, et l’interdiction de mener des enquêtes minutieuses au Soudan du Sud.

Une vue aérienne d'un site de forage pétrolier à Buliisa, en Ouganda. (AFP/Tullow Oil Uganda)

Le pétrole représente la quasi-totalité des revenus du gouvernement du Soudan du Sud. Bien que le pays ait conclu un accord sur le partage de la manne pétrolière avec le Soudan et que les deux pays aient défini le montant de leur contribution respective pour le transport du pétrole, la Banque Mondiale estime que le plus jeune des pays d’Afrique regorge de réserves inexploitées. En Ouganda, les réserves estimées à 3,5 milliards de barils pourraient doubler la croissance économique du pays, tandis que de nouvelles réserves ont été découvertes au Kenya dans le comté nord de Turkana et près de la frontière éthiopienne.

Pour que tout ce pétrole profite au citoyen moyen, il faudra d’abord et avant tout s’assurer que les contrats d’extraction s’exécutent de manière ouverte et transparente. Une comparaison entre le Brésil et le Nigeria en témoigne de fort belle manière. En effet, le pays sud-américain poste des mises à jour mensuelles sur la production de pétrole sur un site internet d’État. Le Brésil est devenu la septième économie mondiale grâce à la production pétrolière, avec un revenu par habitant de 12.594 dollars en 2011, selon des statistiques de la Banque Mondiale. Au Nigeria par contre, cinq décennies de production de pétrole ont été enveloppées d’un nuage de secret et ont vu le pays s’enliser dans des conflits. Bien que les exportations de pétrole du pays soient comparables à celles du Brésil, son revenu par habitant ne vaut que de 1.452 dollars.


A ce jour, les autorités du Kenya, de l’Ouganda et du Soudan du Sud n’ont publié que quelques communiqués de presse occasionnels et des informations générales relatives aux emplacements de forage et aux prévisions de production sur les sites internet du gouvernement. Mais il existe peu de précisions sur les montants investis par les sociétés privées et les gouvernements dans les projets pétroliers, dont les recettes seront partagées, et sur les taux d’imposition appliqués aux entreprises pétrolières. « Pour l’heure, les informations détaillées sur les contrats et la rémunération perçue ne sont pas disponibles pour l’usage des journalistes. Il faut beaucoup d’efforts pour obtenir de telles informations », a déclaré le journaliste ougandais Joe Nam, qui fait des reportages sur l’exploitation pétrolière et collabore avec le quotidien New Vision. « Dans la plupart des cas, les informations ne sont pas du tout disponibles sauf si elles sont divulguées par une source digne de foi », a-t-il dit.

Les journalistes de l’Ouganda et du Soudan du Sud empruntent des voies de recours juridiques pour accéder aux informations sur la production pétrolière, mais les autorités des deux pays font souvent entorse à ces règles d’accès à l’information. Bien que la loi ougandaise de 2005 sur l’accès à l’information prenne théoriquement en compte les documents échangés entre le gouvernement et les entreprises privées, les contrats pétroliers incluent généralement des dispositions spéciales en vertu desquelles les deux parties doivent donner leur consentement avant que l’information soit donnée à un tiers, selon Gilbert Sendugwa, coordonateur du Centre africain pour la liberté d’information basé en Ouganda. Les clauses de confidentialité interdisent même au parlement d’obtenir des informations clés, selon Dickens Kamugisha, directeur général de L’Institut africain pour la gouvernance énergétique, un groupe de réflexion basée à Kampala qui plaide en faveur des politiques énergétiques transparentes.

La loi sur l’information n’a pas été d’une grande utilité pour Angelo Izama et Charles Mwanguhya, deux journalistes travaillant pour le principal quotidien Ougandais Daily Monitor, qui ont entamé une procédure en février 2010 pour avoir accès aux contrats pétroliers en évoquant le motif d’intérêt général. Selon des journalistes et des médias, le juge Deo Ssejjemba a jugé que les requérants n’avaient pas prouvé l’intérêt public de la divulgation de l’information. Deux autres affaires relatives à l’accès à l’information soumises par des journalistes et des organisations de la société civile sont en instance devant la Haute Cour de l’Ouganda depuis quatre ans, a déclaré Kamugisha.

Etant donné que très peu d’autorités ougandaises accèdent aux requêtes formulées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, rares sont les journalistes qui y font recours. Sendugwa a souligné que tous les ministres sont tenus de rendre compte de la façon dont ils appliquent la loi sur l’information. «Nous avons décidé de tester la loi et d’envoyer une demande d’information au Parlement en Novembre 2010 pour solliciter les rapports des ministres sur leur application de la Loi sur l’accès à l’information…Il se trouve qu’à ce jour, aucun n’a respecté cette loi », a-t-il dit.

De même, la Loi sur l’acquisition foncière oblige le ministère ougandais des ressources foncières à élaborer une politique d’indemnisation des personnes affectées par l’exploitation du pétrole, mais selon Kamugisha, cela est resté lettre morte. « En conséquence, les citoyens doivent continuer à s’en remettre aux pouvoirs discrétionnaires du gouvernement pour déterminer la modalité de l’indemnisation», a-t-il dit. La politique ougandaise de gestion des recettes pétrolière et gazière de 2012 contient une petite section sur la transparence, qui dispose que « toutes les parties impliquées dans la gestion des revenus du pétrole et du gaz sont tenues de respecter les plus hautes normes de transparence », mais elle ne précise pas la manière dont cela doit s’effectuer. Les journalistes restent sceptiques face à trois projets de loi relatifs au pétrole proposés au Parlement en 2012. Aucun des trois projets de loi – notamment le projet de loi sur les ressources pétrolières, le projet de loi sur l’ajout de valeur et le projet de loi sur la gestion des recettes pétrolières – ne contient des clauses portant sur l’accès aux contrats pétroliers, selon le journaliste Edward Ssekika du journal The Observer. L’organisme de lutte et de recherche sur la corruption Global Witness a également analysé ces projets de loi et conclu que tous les trois n’offrent aucune garantie en matière de transparence dans l’exécution des contrats et la gestion financière.

Au Soudan du Sud, le ministre du Pétrole et des Mines, Stephen Dhieu Dau, a déclaré que la Loi sur le pétrole veille à ce que les membres de la société en général « soient en mesure de déterminer l’origine de nos ressources, la gestion et l’usage qui en sont faits». Bien que la loi dispose que l’information sur le pétrole reste publique, une disposition particulière permet au ministère de déterminer si un contrat pétrolier particulier doit être publié ou pas, a déclaré Dana Wilkins, une militante de Global Witness. Jusqu’à cette fin d’année 2012, aucun contrat n’a été rendu public.

Le Soudan du Sud a obtenu son indépendance du Soudan en juillet 2011, héritant de deux tiers de la manne pétrolière du Soudan d’avant partition, mais il reste entièrement tributaire de Khartoum pour le traitement et l’exportation du produit. Les activités de forage au Soudan du Sud se sont estompées en janvier 2012 suite à une dispute qui a éclaté au sujet des montants que le Soudan du Sud devrait verser au Soudan au titre des frais de transit. Les deux pays ont conclu un accord en septembre 2012 pour mettre fin à l’impasse sur la production et le transport, mais le pacte est loin de fournir l’accès du public aux données financières, selon Global Witness. « Les citoyens soudanais et sud- soudanais sont les principaux propriétaires des ressources naturelles de leurs pays », a déclaré Mme Wilkins dans un communiqué. « Pourtant, ils ont été totalement occultés dans ce nouvel accord pétrolier, et ne disposent d’aucun moyen pour vérifier la quantité de pétrole et les montants des fonds qui seront transférés entre leurs deux gouvernements.» Le journaliste sud-soudanais, Richard Ruati, a affirmé qu’il n’est pas surpris par le manque de transparence dans le dernier accord en date, puisque la presse a été maintenue dans le flou tout au long de ce processus. « Jusqu’à présent, aucune conférence de presse digne de ce nom n’a été organisée pour informer à la fois les médias nationaux et internationaux de ces contrats ou accords pétroliers», a-t-il dit. « Mais il semble que des compagnies pétrolières aient déjà démarré le forage dans les champs pétrolifères en toute clandestinité », a-t-il ajouté. Le Soudan du Sud ne dispose pas de loi sur la liberté d’information.

Au Kenya, où l’exploration pétrolière est à un stade plus précoce, il n’existe pas non plus de loi sur la liberté d’information, mais les journalistes espèrent que la nouvelle et robuste constitution du pays, adoptée en août 2010, fera en sorte que les contrats pétroliers à venir soient ouverts au public. « Il est encore trop tôt pour le dire, mais fort heureusement, la nouvelle constitution n’offre pas une grande marge de manœuvre permettant aux hauts cadres de signer des contrats secrets», a déclaré Charles Onyango-Obbo, rédacteur en chef du groupe de presse kenyan « Kenyan Nation Media Group ». La constitution stipule que toute opération portant sur les cessions de droits ou concessions pour l’exploitation de toute ressource naturelle doit être soumise à l’approbation du Parlement, selon Cathy Mputhia, journaliste spécialisée dans les questions relatives aux affaires. Le document indique également que les accords portant sur les ressources naturelles doivent être publiés d’ici à 2015.

Les futurs contrats pétroliers ont été présentés au Parlement en juin 2012, et le gouvernement envisage de mettre des informations sur les transactions pétrolières sur une plate-forme en ligne d’accès libre. « Nous sommes à la recherche des données», a déclaré le secrétaire permanent du ministère de l’Information du Kenya, Bitange Ndemo. «La plupart des ministères n’ont pas très bien compris le nouvel ordre constitutionnel, mais nous sommes déterminés à obtenir l’information et à la publier en ligne », a-t-il ajouté. Jusqu’à présent, les journalistes n’ont eu aucune difficulté à accéder aux rapports sur les communautés vivant à proximité des sites de forage pétrolier dans le comté de Turkana, au nord du Kenya, selon William Oloo Janak, président de l’Association kenyane des correspondants de presse. « Mais c’est lorsque la production de pétrole commencera que les problèmes potentiels pour les journalistes et les Kenyans en général feront surface en termes de confidentialité et d’éventuelles questions environnementales », a déclaré Janak. Par le passé, des journalistes ont été harcelés ou arrêtés pour avoir fait des reportages sur la fronde organisée contre d’importants projets de développement, et plus récemment lorsque les autorités ont confisqué en mars 2012 les notes et la carte mémoire du photographe indépendant, Abdalla Bargash, pour avoir essayé de faire un reportage sur les membres de la communauté locale de l’île de Lamu qui étaient opposées à un projet portuaire qui inclut la construction d’un oléoduc.


Les journalistes ougandais et sud-soudanais affirment que leurs tentatives d’interviewer les populations vivant à proximité des sites de forage de pétrole dans ces pays se heurtent souvent aux manœuvres des autorités locales. Le journaliste Ssekika du journal The Observer, qui vit près de l’un des sites de Buliisa, à l’ouest de l’Ouganda, a déclaré que c’est seulement en décembre 2011 lorsqu’il a tenté d’interroger les habitants des zones d’exploitation pétrolière, qu’il a été informé qu’il devait avoir l’autorisation de l’agent chargé de la sécurité intérieure de la région qui, à son tour, a indiqué au journaliste qu’il serait autorisé à travailler uniquement sous escorte policière. Après que Ssekika a refusé cette escorte, l’agent de sécurité lui a alors dit qu’il fallait l’autorisation du ministère des mines à Kampala pour mener des entretiens avec les populations locales. « Personnellement, j’ai travaillé avec des journalistes auxquels je servais de guide dans la région pétrolifère, mais ils ont été arrêtés et déportés à Kampala », a déclaré Kamugisha de l’Institut Africain pour la gouvernance énergétique. « Leur seul crime était d’avoir essayé de demander aux populations locales quels étaient leurs défis », a-t-il souligné.

Il est tout aussi difficile d’obtenir des informations de responsables locaux et des populations vivant dans les régions productrices de pétrole du Soudan du Sud. « J’ai essayé de poser des questions aux autorités de la région d’Unity au sujet des fonds requis pour le dédommagement des habitants, mais aucune d’entre elles n’a pu me donner des informations claires», a déclaré le journaliste indépendant Bonfiacio Taban Kuich, qui est basée dans l’Etat pétrolifère situé à la frontière avec le Soudan. «La plupart des personnes ici, surtout dans les zones de production de pétrole, n’ont pas la moindre idée des revenus du pétrole au Soudan du Sud », a-t-il dit.

Les autorités et les compagnies pétrolières de l’Ouganda essayent d’avoir un contrôle sur l’information en organisant des visites guidées des installations de forage pétrolier. Le document de communication stratégique de 2011 du ministère de l’Énergie et des Mines recommande deux tournées de communication dans la région pétrolifère du Graben Albertine chaque année. « Bien sûr, il est facile d’aller dans les zones pétrolifères lors des événements organisées par la compagnie pétrolière…Vous pouvez vous adresser aux autorités de région, etc., mais quand vous partez seul, c’est une autre paire de manches », a déclaré Ssekika.

Les compagnies pétrolières, qui bénéficient de la réduction des coûts et de l’accélération de la production, pourraient ne pas être très favorables à la transparence. Taimour Lay, un journaliste spécialiste de la production de pétrole, affirme que les compagnies ont contraint les états de l’Afrique de l’Est à signer des accords sans débat public, affirmant que ceux-ci doivent approuver rapidement les contrats de forage, faute de quoi, elles iraient travailler ailleurs dans cette région riche en pétrole. «Lorsque la China National Offshore Oil Corporation [CNOOC] a conclu un accord avec Tullow Oil pour exploiter des champs pétrolifères en Ouganda, elle a mis en garde [le président Yoweri] Museveni qu’il n’y avait pas le temps d’attendre les débats parlementaires sur la question, et que si le pays trainait, cela pourrait faire perdre à l’Ouganda son ticket gagnant de loterie au profit du Kenya, » a écrit Lay sur le site d’information African Arguments. La Responsable de la Communication de Tullow basée à Kampala, Cathy Adengo, a réfuté ce portrait que l’on dresse de sa société. « Tullow n’a pas contraint les autorités ougandaises à faire quoique ce soit, car nous savions que nous avions un délai d’attente de deux ans avant la ratification de l’accord avec la CNOOC », a affirmé Adengo.

Tout en montrant des signes d’adhésion aux exigences de transparence, généralement pour toute demande d’informations sur les contrats et d’autres informations, les compagnies pétrolières renvoient les journalistes vers les autorités locales. «J’ai essayé de communiquer avec eux, mais ils m’ont plutôt orienté vers les autorités locales», a déclaré Kuich, journaliste indépendant sud-soudanais. Levi Obonyo, l’ancien président du Conseil des médias indépendants du Kenya, a déclaré sans ambages que les compagnies pétrolières se cachent derrière les gouvernements pour éviter de faire l’objet d’un examen public. «Malheureusement, en ce qui concerne les compagnies pétrolières, les demandes d’accès à l’information sont adressées au gouvernement et au secteur public plutôt qu’au secteur privé», a déclaré Obonyo. «Trop souvent, nous avons tendance à traiter les entreprises privées comme des intouchables », a-t-il ajouté.

Adengo de la société Tullow Oil a déclaré au CPJ qu’il appartient au gouvernement ougandais de déterminer si un contrat doit être publié ou pas, bien que la société « soit disposé à accueillir favorablement la publication de tous nos contrats signés avec tous les gouvernements. » Le géant pétrolier français Total, qui détient une participation d’un tiers dans les sites d’exploration pétrolière de Tullow en Ouganda depuis février 2012, adhère à l’exigence de transparence dans la gestion des revenus pétroliers, mais la décision finale appartient en dernier ressort au gouvernement, a déclaré Ahlem Friga-Noy, directrice des affaires publiques et de la communication externe. « La publication du contrat pétrolier est une décision qui appartient au gouvernement et non à la société….Total est prêt à publier le contrat si les autorités ougandaises en décident ainsi », a-t-elle dit.

Les compagnies pétrolières ont parfois payé le prix fort pour avoir été cachottières et pour avoir foulé aux pieds les communautés locales. En 2009, le géant pétrolier hollandais Shell a conclu un règlement de 15,5 millions de dollars dans un procès fintenté contre elle aux États-Unis d’Amérique sur des accusations de violation des droits de l’homme dans le delta du Niger. La société a été accusée d’avoir financé les milices qui ont fait usage de leur force meurtrière pour réprimer les habitants qui protestaient contre la présence de Shell. La société a été confrontée à de nouvelles poursuites judiciaires pour pollution dans le Delta et ses liens présumés avec l’armée nigériane, selon l’agence de presse britannique Reuters. « Figurez-vous, il a fallu une action en justice lancée en Amérique pour que les pratiques des compagnies pétrolières soient révélées au grand jour », a déclaré Omoyele Sowore, ancien résident de la région du Delta du Niger et fondateur de Sahara Reporters, un site Internet spécialisé dans la lutte contre la corruption. Les batailles judiciaires ont occasionné une perte estimée à un million de barils de pétrole par jour pour le gouvernement nigérian et les compagnies privées, selon l’écrivain nigérian Orikinla Osinachi.

Le secret et la corruption ont marqué plus de 50 ans de production pétrolière au Nigeria, dissimulant et limitant vraisemblablement les gains financiers pour les citoyens et conduisant à la dégradation significative de l’environnement. Les revenus pétroliers comptent pour 80 pour cent du budget national, mais le gouvernement n’est pas en mesure de déterminer la quantité de pétrole extraite de son territoire, selon Alex Awiti, écologiste à l’Université Aga Khan de Nairobi. En 2011 une étude du Programme des Nations Unies pour l’Environnement a révélé la pollution par hydrocarbures dans le sol, l’air et l’eau du Delta, et a déclaré que l’eau potable locale est contaminée à hauteur de 900 fois la teneur en benzène, une matière cancérigène, fixée par l’Organisation Mondiale de la Santé. Pourtant, selon Sowore, le Nigéria se sert toujours du prétexte de la sécurité nationale pour tenir secrètes les informations sur l’exploitation pétrolière.

Le Nigeria n’est pas un cas isolé. En effet, bien que l’Angola soit le deuxième plus grand producteur de pétrole en Afrique avec un PIB annuel de 101 milliards de dollars et un revenu par habitant de près de 9.000 dollars, plus des deux tiers de ses huit millions de d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté avec moins de 2 dollars par jour, selon la Banque mondiale et les informations publiées dans les médias. Ces statistiques, a déclaré Awiti, trouvent leurs racines dans le manque de transparence dans la production pétrolière de l’Angola, ce qui favorise la corruption, avec des millions de dollars planqués à l’étranger, et les revenus cachés dans un « budget parallèle » tenu secret. En 2012, le Fonds Monétaire International a attribué le déficit de 32 milliards de dollars observé dans les fonds publics 2007-2010 de l’Angola aux «opérations quasi-budgétaires effectuées par la compagnie pétrolière d’État ».


D’ores et déjà, des allégations de corruption dans les transactions pétrolières se font entendre au Kenya, en Ouganda et au Soudan du Sud. En octobre 2011, Gerald Karuhanga, un député ougandais, a accusé trois autorités – le Premier ministre Amama Mbabazi, l’ancien ministre des Affaires étrangères Sam Kutesa, et l’ancienne ministre de l’Energie Hilary Onek – d’avoir reçu des milliards de shillings de pots de vin de Tullow Oil en Ouganda. Les trois individus et Tullow Oil rejettent de telles accusations d’actes répréhensibles. Une commission d’enquête a été mise sur pied pour enquêter sur ces allégations, mais jusqu’en cette fin 2012, elle n’est parvenue à aucune conclusion, selon des médias locaux.

Au Kenya, deux députés du comté de Turkana souhaitent l’organisation d’une enquête sur les allégations selon lesquelles une petite entreprise appartenant à un ministre s’est enrichie dans des transactions portant sur les licences de prospection pétrolière. Ils ont déclaré à l’assemblée nationale que des affaires louches auraient fait perdre au pays et au comté de Turkana plus de 3 milliards de shillings (soit 35 millions de dollars américains), selon les médias. « Nous exigeons que toutes les sociétés impliquées soient révélées, les montants perçus par le gouvernement, et la façon dont les terres et les droits ont été hypothéqués », selon des propos que les médias locaux attribuent à Josephat Nanok, député du comté de Turkana.

Le manque de transparence dans les transactions pétrolières signifie que les allégations de corruption peuvent être d’un flou exaspérant. En juin, le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, a accusé des fonctionnaires du gouvernement d’avoir dérobé 4 milliards de dollars des caisses du gouvernement, mais il n’a ni cité de noms ni fourni plus de détails. Si la véracité de ces accusations est établie, les fonds volés équivaudraient à plus de 30 pour cent des revenus pétroliers reçus par le gouvernement depuis 2005, ce qui est particulièrement grave, étant donné que le pétrole représente la quasi-totalité du revenu national. Toujours au Soudan du Sud, les autorités sont légalement tenus de veiller à ce qu’un pourcentage des profits du pétrole soit utilisé pour développer des communautés dans les zones de forage, mais comme l’indique le journaliste indépendant Kuich: «Je n’ai encore observé aucun signe de développement au sein des communautés vivant dans les zones pétrolifères même si elles restent les propriétaires de cette richesse ».

Les communautés locales des régions du Haut-Nil, de Warrap, et d’Unity du Soudan du Sud n’ont pas bénéficié de la manne pétrolière exploitée à proximité de leurs terroirs parce que les autorités ne leur ont pas révélé les informations relatives à la production de pétrole, affirme Jok Madut Jok, directeur exécutif de l’institut de recherche stratégique Sudd Institute. «Les collectivités territoriales n’ont aucune idée des quantités produites, des prix du baril, du produit national net et de la façon dont ces revenus sont distribués, et ne sont donc pas en mesure d’exiger que le gouvernement respecte son engagement d’investir une partie des revenus de ces ressources dans le développement des communautés directement touchées par la production pétrolière », selon Jok. Cependant, beaucoup en ont pâti, a-t-il dit. «Par exemple, la pose de clôture autour des territoires précédemment utilisés pour le pâturage, les investissements futurs dans le secteur agricole sur ces terres, la pollution de leurs sources d’eau potable et le déplacement des populations sont autant d’événements qui se produisent sans que les communautés ne soient consultées», a-t-il dit.

Avec la production de pétrole encore à l’état embryonnaire en Afrique l’Est, la région a le temps de s’inspirer des expériences des autres pays producteurs de pétrole. Le Tchad exploite son pétrole depuis 2003, mais les contrats pétroliers restent secrets. « Le fait est que les Tchadiens ne savent pas combien de barils sont effectivement produits et où va l’argent», a déclaré l’ancien journaliste de N’Djaména Hebdo Augustin Zusanne, qui travaille maintenant pour l’Organisation des Nations Unies. Sans ces informations, les habitants ne peuvent guère faire pression pour obtenir plus d’actions de développement. « Même la région pétrolifère de Doba ne bénéficie pas des revenus du pétrole. La population de cette région vit dans la pauvreté », a déclaré Eric Topona, journaliste de la chaîne de télévision d’Etat. Toutefois, les choses pourraient s’améliorer, maintenant que le Tchad a manifesté son désir d’adhérer à l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE), un forum international qui vise l’ouverture en veillant à ce que les transactions financières relatives aux produits pétroliers soient publiées chaque année. Les représentants du gouvernement, les compagnies pétrolières et les organisations de la société civile devraient superviser le processus.

Le président Salva Kiir a annoncé en décembre 2011 que le Soudan du Sud adhérerait à cette initiative ; un projet de loi portant sur la Gestion des Revenus du Pétrole exigerait également que le ministère des Finances fasse un compte-rendu trimestriel des recettes pétrolières et que des audits indépendants soient organisés pour vérifier les coûts de production et les charges d’exploitation. Dans sa politique pétrolière et gazière de 2008, l’Ouganda a déclaré qu’il allait soumettre sa demande d’adhésion à l’ITIE, mais selon des médias, le gouvernement n’a donné aucune précision concernant la date de cette adhésion et rien n’a été mis en œuvre à cet effet. «La façon dont la section portant sur son adhésion à l’ITIE est rédigée montre clairement que nous avons à faire à un gouvernement qui n’est ni sincère, ni prêt à mettre en œuvre quoique ce soit- le passage est si vague », a affirmé Kamugisha de l’Institut africain pour la gouvernance énergétique dans un commentaire formulé au sujet de cette politique de l’Ouganda. Le Kenya n’a pris aucun engagement à adhérer à l’initiative. Eddie Rich, directeur adjoint du secrétariat de l’ITIE, a confirmé que le Soudan du Sud et l’Ouganda ont pris des engagements publics pour mettre en œuvre l’initiative et a déclaré que « des partenaires internationaux travaillent avec ces gouvernements pour progresser vers une mise en application officielle de ces intentions exprimées. » Aucun des pays africains membre de l’ITIE ne divulgue des informations sur l’indemnisation des populations affectées par la production de pétrole, a déclaré Rich.

Il y a quelques raisons supplémentaires d’espérer que les gouvernements seront moins cachottiers sur la question. Yusuf Bukenya-Matovu, directeur de la communication du ministère de l’Énergie de l’Ouganda, a déclaré que son ministère « travaille en étroite collaboration avec le ministère de l’Eau et de l’Environnement et l’Ouganda Wildlife Authority [l’Autorité de la Faune Sauvage de l’Ouganda] pour assurer la protection de l’environnement pendant que les activités d’extraction de pétrole et de gaz sont en cours ». Une étude d’évaluation d’impact environnemental menée dans la région pétrolifère d’Albertine Graben devrait également être rendue publique prochainement, bien que des journalistes locaux aient affirmé qu’ils restaient sceptiques que cela se déroule dans les délais prévus.

Dana Wilkins, une militante de Global Witness, affirme que ces mesures sont loin d’être en phase avec les modèles de transparence tels que le modèle brésilien, où les statistiques mensuelles sur la production pétrolière sont publiées sur un site web ad’État et où la transparence est considérée par beaucoup comme étant logée à une bien meilleure enseigne qu’aux Etats-Unis d’Amérique. Mais l’Afrique n’a pas besoin de se tourner vers l’étranger pour trouver des sources d’inspiration: le Ghana, le Libéria et même la République Démocratique du Congo ont publié leurs contrats pétroliers. « Il a fallu des années, mais les contrats sont aujourd’hui rendus publics », a déclaré Charles Abugre, économiste de développement de nationalité ghanéenne, qui mène une vigoureuse campagne en faveur de la publication. Aujourd’hui, Abugre et d’autres personnes en provenance du Ghana se réunissent avec les dirigeants de la société civile du comté de Turkana pour les aider à réfléchir aux nouvelles découvertes de pétrole dans leur région reculée du Kenya. « Dans le comté de Turkana, il faut dire que les populations ne comprennent pas vraiment les contrats ou les obligations de transparence donc elles ne savent pas jusqu’à quel niveau il faut pousser les actions de plaidoyer, » a-t-il déclaré au CPJ.

La découverte tardive de réserves de pétrole dans la région peut permettre à l’Afrique de l’Est de s’y prendre avec davantage de recul. « Il doit y avoir une raison pour laquelle Dieu nous a fait attendre pour ensuite nous faire découvrir le pétrole maintenant…Peut-être qu’il voulait que nous tirions les leçons d’autres parties du monde, tout en travaillant parallèlement à la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel approprié », a déclaré Ndemo, un cadre du ministère de l’information du Kenya.


Tom Rhodes est le Consultant du CPJ pour l’Afrique de l’Est basé à Nairobi. Rhodes est l’un des fondateurs de Juba Post, le premier journal indépendant du Soudan du Sud. Il est l’auteur du rapport 2012 du CPJ intitulé « Un meurtre dans le Kenya profond jette l’émoi dans le pays et le monde ».


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