Attaques contre la presse en 2010: La République démocratique du Congo

Principaux Développements
• Plusieurs journalistes arrêtés par le gouvernement sous des accusations de diffamation.
• Les journalistes craignent le durcissement de la répression à l’approche des élections présidentielles de 2011.

Statistique Cle
Le journaliste Tumba Lumembu est détenu au secret par des agents de renseignement pendant 2 semaines.

Le gouvernement du président Joseph Kabila, sur la défensive face aux critiques au sujet de son record en matière de droits de l’homme et sa gestion du conflit avec les rebelles dans l’est du Congo, a censuré la le traitement de l’information par la presse et détenu plusieurs journalistes au cours de l’année.

ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2010
Préface
Introduction
Analyse sur L’Internet
Analyse Afrique
Afrique du Sud
Angola
Cameroun
Ethiopie
Nigeria
RDC
Rwanda
Somalie
Ouganda
Zimbabwe
En bref

Étant donné le record du gouvernement congolais en matière de harcèlement de la presse, les journalistes locaux et une organisation de défense de la liberté de la presse basée à Kinshasa, Journaliste en danger (JED), ont exprimé leurs craintes que le gouvernement ne durcisse la répression à l’approche des élections présidentielles prévues en novembre 2011. Les responsables de JED eux-mêmes ont été convoqués par les services de sécurité à trois reprises en 2010 pour des raisons non précisées, bien qu’ils aient refusé de rendre à chaque convocation, a dit le président de JED, Donat Mbaya. L’historique élection présidentielle et parlementaire de 2006, la première depuis l’indépendance du pays vis-à-vis de la Belgique en 1960, a été marquée par des arrestations, la censure et des attaques contre la presse, selon les recherches du CPJ. Les figures de l’opposition, Jean-Pierre Bemba et Étienne Tshisekedi, étant en exil, le président Kabila semblait être assuré de sa réélection en novembre 2011, le deuxième scrutin présidentiel depuis la fin de la guerre de 1998 à 2003, qui a fait environ 5 millions de victimes. Mais les divisions au sein de la coalition au pouvoir de Kabila, l’emprisonnement et les assassinats de ses détracteurs, la pauvreté subsistante, le mandat expirant des forces internationales de maintien de la paix et les conflits persistants dans les provinces de l’Est, ont plongé le pays dans une incertitude politique.

La mort mystérieuse en juin du militant des droits humains de premier plan Floribert Chebeya a également éveillé les craintes quant au durcissement de la répression. Chebeya, directeur de la Voix des Sans Voix, a été retrouvé mort dans sa voiture, les mains liées derrière le dos, peu après avoir répondu à une convocation du chef de la police nationale, John Numbi. Son dernier texto à son épouse disait que le rendez-vous avait été annulé.

Aggravant le climat de psychose fut la mort en octobre dans un camp militaire d’un homme qui avait été arrêté pour avoir jeté des pierres sur le cortège de Kabila. Selon les autorités, l’homme s’est suicidé, mais sa famille a dit qu’il avait été maltraité au cours de sa détention. Kabila a même fait l’objet de critiques pour le record de son pays en matière de droits humains en octobre lors d’un sommet des chefs de gouvernements francophones du monde entier. «Le gouvernement congolais est déterminé à veiller à ce que tout crime, que ce soit contre un journaliste ou contre la population de Kinshasa, de l’est, ou de l’ensemble du pays, ne reste pas impuni», a rapporté l’Agence France-Presse, citant le président congolais.

En ce qui concerne les violations de la liberté de presse, la plupart d’entre elles se sont produites dans la province du Bas-Congo située à l’ouest du pays, le chef-lieu de capitale, Kinshasa, et le siège du gouvernement national, selon des recherches du CPJ. Les autorités ont détenu plusieurs journalistes dans le Bas-Congo sur des plaintes en diffamation déposées par des autorités pour des articles ayant fait des analyses détaillées sur la corruption et la mauvaise gouvernance. En novembre par exemple, un juge de Kinshasa a condamné Achille Kadima Mulamba, directeur de publication éditeur du journal Africa News, à huit mois de prison sous des accusations de diffamation à l’encontre d’Alexis Thambwe Mwamba Junior, coordonnateur et ordonnateur national délégué de la Cellule d’appui du Fonds européen de développement (COFED), pour un article ayant fait des allégations de détournement de fonds publics, selon les journalistes locaux. Mulamba était libre en attendant un appel, qui était en encore pendant à la fin de l’année.

L’Agence nationale de renseignement (ANR) de la RDC a continué à s’engager dans des pratiques de longue date, prédatrices envers la presse, procédant ainsi à des arrestations arbitraires et la détention au secret des journalistes. En septembre, Tumba Lumembu, reporter du journal Tempête des Tropiques, a disparu pendant deux semaines après avoir été arrêté par l’ANR. Suite à l’insistance de la Division des droits de l’homme de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), l’ANR a finalement admis détenir le journaliste, selon JED. Un procureur a finalement inculpé Lumembu d’outrage au chef de l’Etat à travers des commentaires que le journaliste aurait fait dans la rue, mais les confrères de Lumembu ont estimé que cette affaire était en représailles pour ses chroniques politiques, qui critiquaient l’administration. Une fois inculpé Lumembu, a été transféré en novembre au Centre pénitencier et de rééducation de Kinshasa, a déclaré au CPJ Jean-Claude Katende, un avocat de droits de l’homme.

Dans une interview avec le CPJ en octobre, le ministre congolais de la Communication, Lambert Mende Omalanga, a reconnu que des journalistes avaient été arrêtés illégalement par des autorités militaires locales qui ont abusé de leur pouvoir. L’Organisation des Nations Unies, qui dirige dans ce pays la plus grosse force de maintien de la paix du monde, a publié un rapport en octobre qui a détaillé des centaines d’atrocités commises par les forces de sécurité congolaises et des groupes armés ainsi que les forces militaires de huit autres pays africains au cours d’une période de crises politiques, de guerres régionales et de conflits entre 1993 et 2003. En 2010, les violences sexuelles brutales et les meurtres ont continué dans les provinces riches en ressources minérales, tandis que les rebelles hutus rwandais en maraude et d’autres milices armées terrorisaient les civils.

Le gouvernement congolais a saisi le prétexte de préserver le moral des troupes combattant les groupes rebelles dans l’est pour réprimer les reportages indépendants sur le conflit. En avril, par exemple, un procureur de Kinshasa a ordonné l’emprisonnement de Jullson Eninga, directeur de publication du quotidien Le Journal, sous des accusations de trahison qui découlent de sa décision en septembre 2009 de publier une déclaration du groupe rebelle hutu rwandais dénommé le Front démocratique pour la Libération du Rwanda (FDLR), selon des journalistes locaux et des médias. La déclaration du FDLR avait accusé le gouvernement d’implication dans les massacres de réfugiés hutus rwandais au Nord-Kivu au début de l’été. Un juge de Kinshasa a acquitté Eninga en septembre 2010 et ordonné la libération du journaliste, qui avait été détenu pendant cinq mois, selon des journalistes locaux.

Après avoir frappé d’interdiction Radio France Internationale (RFI) pendant plus d’un an, le gouvernement a autorisé la station à reprendre ses émissions en modulation de fréquence (FM) en octobre. Le gouvernement avait pris pour cible les reportages de la journaliste Ghislaine Dupont sur l’armée pour censurer RFI en 2009. Dupont avait notamment rapporté que les troupes n’avaient pas été payées. Mais l’interdiction est restée impopulaire au niveau du public, pour lequel RFI constituait une source indépendante d’information. JED avait ainsi recueilli plus de 10.000 signatures sur une pétition demandant la levée de l’interdiction. Dans les mois ayant précédé la reprise de sa diffusion, RFI avait annoncé l’ouverture d’un bureau à Kinshasa et nommé le journaliste chevronné, Bruno Minas comme, chef de station. Le ministre de la Communication Omalanga a déclaré au CPJ que le gouvernement avait levé l’interdiction de RFI sans condition, avertissant cependant que la «démoralisation de l’armée congolaise, qui est au front, doit cesser ».

En outre, un journaliste a été tué dans l’Est du Congo dans des circonstances obscures. Des hommes armés en uniformes militaires ont abattu le journaliste indépendant Patient Chebeya devant son domicile dans la ville instable de Béni dans le Nord-Kivu. Chebeya, 35 ans, venait de rentrer après avoir terminé l’édition des images d’une visite d’un responsable des douanes à Béni. Sa femme, un témoin des faits, a déclaré aux journalistes locaux que les hommes armés ont déclaré qu’ils avaient été envoyés pour tuer Chebeya.

L’arrestation, l’inculpation et la condamnation de trois militaires dans l’affaire Chebeya, en 12 jours seulement après l’assassinat, a suscité des préoccupations chez les défenseurs locaux des droits de l’homme. La précipitation avec laquelle les autorités ont agi « compromet toute enquête sérieuse, approfondie et professionnelle», a dit au CPJ en avril Gilbert Kambale, un responsable de la société civile de Béni. La procédure, qui a abouti à des peines de mort pour deux suspects et une peine de cinq ans de prison pour un troisième, n’a éclairé ni le mobile du crime ni les circonstances, selon des journalistes locaux. Il n’était pas évident que les peines de mort seraient appliquées. La veuve de Chebeya a déclaré que les suspects ne correspondaient pas à l’apparence des tueurs, une affirmation qui a incité JED à appeler à un nouveau procès. Il faut souligner que les autorités congolaises ont été auparavant critiquées pour la conduite des enquêtes et des procès suite aux meurtres de journalistes, notamment dans le meurtre en 2007 du journaliste Serge Maheshe, d’avoir précipité le jugement des cas d’assassinats de journalistes et inventé des charges contre des accusés innocents.

La presse congolaise privée a été largement financée par de puissantes personnalités, et les journalistes ont opéré sous une pression politique et financière intense, selon des recherches du CPJ. « Aujourd’hui, la corruption est le fléau inquiétant qui sape la liberté de la presse », a déclaré Mbaya de JED, expliquant que peu de journalistes ont des qualifications professionnelles ou des ressources pour faire des reportages indépendants. Dans la perspective des élections de 2006, de riches hommes d’affaires, qui rivalisent pour des postes politiques, ont lancé des dizaines d’organes de presse pour soutenir leurs campagnes, selon des recherches du CPJ.