Des policiers et des soldats à Cotonou, au Bénin, le 12 avril 2021. Au moins deux journalistes ont été emprisonnés en 2021 en vertu du code numérique du pays après qu'un article de leur journal a été partagé sur les réseaux sociaux. (AFP/Pius Utomi Ekpei)

Au Bénin, inquiétudes croissantes face à la loi qui peut emprisonner les journalistes pour avoir publié des actualités en ligne

Par Jonathan Rozen/Chercheur principal pour l’Afrique au CPJ

Publié sur Facebook depuis l’Office central de répression de la cybercriminalité du Bénin le 18 novembre, le journaliste Patrice Gbaguidi a écrit que les autorités l’avaient convoqué une deuxième fois en deux semaines pour une plainte en diffamation au sujet d’un de ses articles. Ce jour-là, lui et Hervé Alladé, propriétaire du journal Le Soleil Bénin Infos dont Gbaguidi est le rédacteur en chef, ont été inculpés en vertu du code numérique du Bénin et envoyés en prison.

Le 7 décembre, Gbaguidi et Alladé ont été reconnus coupables et condamnés à six mois de prison avec sursis et à une amende de 500 000 francs CFA (861 $US), avant d’être libérés, a déclaré leur avocat, Narcisse Atoun, au CPJ via une application de messagerie. Étant donné que les deux journalistes étaient tous deux en détention le 1er décembre, ils figurent dans le recensement carcéral du CPJ de 2021, qui documente les journalistes emprisonnés en raison de leur travail à travers le monde ce jour-là.

Au moins trois autres journalistes qui étaient derrière les barreaux à ce moment-là au Bénin — Gilbert Dagan, Anatole Adahou et Argos Adihounda — ne figurent pas sur ce recensement, car le CPJ continue d’enquêter pour déterminer si leur emprisonnement est directement lié à leur profession de journaliste. Mais leurs arrestations et condamnations en vertu du même code numérique soulignent la façon dont la loi promulguée en 2018 dans ce pays ouest-africain et criminalisant l’expression en ligne menace la liberté de la presse.

« Il y a quelque chose qui ne va pas dans le code [numérique], » a déclaré au CPJ par téléphone Bashola Moustapha, l’éditeur du journal local Afrique Média. « À chaque fois que l’on publie quelque chose, par exemple un sujet d’actualité, à chaque fois que c’est publié sur un réseau social, on risque d’être puni », a-t-il déclaré.

Formulé en des termes généraux, l’article 550 du code numérique porte sur le « harcèlement par le biais d’une communication électronique » et prévoit jusqu’à deux ans d’emprisonnement et/ou des amendes pouvant atteindre dix millions de francs CFA (17 196 USD) pour divers crimes. Toute personne qui, par exemple, « initie une communication électronique qui contraint, intimide, harcèle ou provoque une détresse émotionnelle » ou « initie ou relaie une fausse information contre une personne par le biais des réseaux sociaux » peut être inculpée.

Dagan, Adahou et Adihounda ont été arrêtés en vertu de l’article 550 le 6 septembre et condamnés le 22 septembre pour des messages partagés sur leurs comptes personnels de réseaux sociaux, selon les mandats d’arrêt des journalistes, que le CPJ a examinés, les médias locaux, et Moustapha. Les trois hommes ont été condamnés à six mois de prison — dont trois avec sursis — et libérés le 6 décembre après avoir purgé cette peine, selon Moustapha, qui a indiqué avoir assisté à leur procès.

Moustapha a déclaré au CPJ et a écrit sur sa page Facebook que les messages de Dagan, Adahou et Adihounda étaient en réponse à un enregistrement audio partagé sur les réseaux sociaux par une femme d’affaires béninoise, qui appelait le maire de la ville béninoise de Savalou à ne pas permettre à un artiste local de musique folklorique de s’y produire. Au début mars, Dagan a écrit sur Facebook que sa publication était « fausse » et qu’il faisait son « mea-culpa ».

De même, les poursuites intentées à l’encontre de Gbaguidi et d’Alladé en vertu de l’article 550 ont été déclenchées lorsqu’un rapport publié dans leur journal a été partagé sur les réseaux sociaux, a déclaré au CPJ Brice Ogoubiyi, ami d’Alladé et directeur du journal local Nouvelle Expression.

Les questions du CPJ envoyées via une application de messagerie à Jules Ahoga, le procureur dans chacune des affaires, sont restées sans réponse.  

L’arrestation de Gbaguidi et d’Alladé « vient rappelle la nécessité d’intensifier les efforts pour la relecture dans les meilleurs délais du Code du numérique qui fait planer sur la tête des acteurs des médias l’épée de Damoclès », a déclaré Zakiatou Latoundji, président de l’Union des professionnels des médias du Bénin (UPMB), dans une communiqué le 19 novembre.

En décembre 2019, le journaliste d’investigation Ignace Sossou a été arrêté, condamné et emprisonné pendant six mois en vertu du code numérique suite à des publications sur les réseaux sociaux qui citaient le procureur béninois Mario Mètonou, a rapporté le CPJ à l’époque. Paradoxalement, Sossou a été emprisonné pour avoir cité Mètonou qui avait décrit le code numérique comme « une arme » qui peut être utilisée contre la presse, selon un article de Benin Web TV, le site d’actualités pour lequel Sossou travaillait. Sossou a également été condamné en vertu de l’article 550 dans une autre affaire en août 2019 suite à une plainte d’un homme d’affaires local, a rapporté le CPJ ; il a été condamné à une amende et à une peine de prison d’un mois avec sursis.

En avril 2019, le CPJ a rapporté que le rédacteur en chef béninois Casimir Kpedjo avait été détenu pendant cinq jours et accusé de diffuser de fausses informations en vertu de l’article 550 du code numérique. Kpedjo a déclaré au CPJ au début décembre 2021 qu’il était toujours visé par cette même affaire et que sa prochaine audience était prévue pour le 22 janvier 2021.

Le droit du cyberespace est de plus en plus utilisé pour cibler la couverture de l’actualité dans des pays comme le Pakistan ou le Nicaragua. Gbaguidi, Alladé, Dagan, Adahou et Adihounda ne sont peut-être plus derrière les barreaux, mais alors que le journalisme s’exerce de plus en plus en ligne, la menace posée par les lois comme le code numérique du Bénin devrait se faire encore plus pressante.

« Nous ne pouvons pas parler de [numérisation de la presse] et punir les journalistes qui utilisent les nouveaux outils de communication », a expliqué Moustapha. « Notre combat en tant que journalistes consiste maintenant à renverser ce code et à demander aux parlementaires de retourner au Parlement pour le réviser. »

Note de l’éditeur: L’orthographe du nom d’Ignace Sossou a été corrigée au paragraphe 11.