Attaques contre la presse en 2009: Nigeria

Principaux développements
•Des agents du PDP au pouvoir agressent les journalistes en toute impunité.
•Un rédacteur en chef tué à son domicile en dehors de Lagos. Sa femme promet de poursuivre son travail.

Statistique clé
21: quotidiens nationaux, un nombre qui reflète le vaste environnement médiatique des médias du Nigeria.

ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2009
Préface
Introduction
Analyse
Ethiopie
Gambie
Madagascar
Niger
Nigeria
Ouganda
RDC
Somalie
Zambie
Zimbabwe
En bref

Avec 21 quotidiens nationaux, 12 stations de télévision et plusieurs sites d’information en ligne émergents, le Nigeria a continué de se vanter d’avoir l’une des cultures médiatiques les plus dynamiques sur le continent. Mais une série d’attaques a suscité des craintes dans la presse et a incité à l’autocensure. Un directeur de publication qui a fait des reportages sur des sujets politiques sensibles a été assassiné à son domicile en dehors de Lagos, tandis que des agents du Parti démocratique populaire (PDP) au pouvoir ont agressé des journalistes en toute impunité plusieurs fois, y compris dans des édifices du gouvernement.

À cause de ces attaques, les journalistes ont souligné les pressions potentielles qu’ils pourraient subir lors des élections présidentielles et parlementaires de 2011. Le PDP a connu peu de difficultés au pouvoir depuis le retour à un régime civil en 1999, mais les partis d’opposition du pays ont parlé de la formation d’une coalition en 2011, une mesure qui rendrait les élections plus compétitives et plus difficiles à couvrir.

Le Nigeria n’a relativement pas connu de violence meurtrière contre la presse au cours de cette décennie, mais les journalistes ont été surpris par l’assassinat de leur confrère, un dimanche matin en septembre. Six assaillants sont venus chez Bayo Ohu, rédacteur en chef adjoint et reporter politique du quotidien privé The Guardian, et l’ont criblé de balles, selon des médias et des membres de sa famille. Les assaillants ont pris son téléphone cellulaire et l’un de ses deux ordinateurs portables. L’Union des journalistes nigérians a déclaré qu’elle estimait que M. Ohu a été tué pour ses reportages. Il avait récemment fait une analyse sur des allégations de fraude dans le Département des douanes et avait fait un reportage sur l’élection controversée du gouverneur dans l’État d’Ekiti au sud-ouest du pays. Sa veuve, Blessing, a déclaré au CPJ qu’elle poursuivrait le travail de M. Ohu. «La raison pour laquelle j’embrasse le métier de journaliste, c’est de savoir pourquoi il a été tué et de continuer à faire des reportages sur ces choses que ses meurtriers voulaient tenir secrètes, a-telle dit. Deux suspects ont été arrêtés en fin octobre, mais aucun motif n’a été immédiatement divulgué.

Les élections dans l’État d’Ekiti au printemps ont été marquées par plusieurs cas de violence et d’obstruction. En avril, des agents du PDP ont malmené trois photographes et endommagé leur matériel à un barrage de police près de la maison du sénateur Ayo Arise à Oyo-Ekiti, a déclaré l’un des journalistes, Segun Bakare du quotidien The Punch. Le même mois, l’organe de régulation des médias du Nigeria, la Commission nationale de l’audiovisuel, a infligé à la radio privée Adaba FM à une amende de 500.000 naira (3350 dollars américains) pour la diffusion d’un contenu qui aurait incité à la violence publique.

L’agression la plus flagrante s’est produite à la résidence du gouverneur à Ado-Ekiti, la capitale de l’État où les partisans du gouverneur du PDP, Segun Oni, ont agressé trois journalistes qui étaient venus interviewer un directeur de campagne. L’un des reporters, Ozim Gospel du journal National Guide, a déclaré que l’attaque perpétrée en avril s’est produite après que les journalistes soient tombés sur les partisans de M. Oni en train de remplir ce qui semblait être les bulletins de vote frauduleux. Les journalistes, qui ont déposé une plainte auprès des autorités, ont demandé des soins hospitaliers pour leurs blessures; la majeure partie de leur matériel a été détruite. Un témoin a filmé l’attaque et l’a postée sur YouTube. M. Oni a été réélu lors du scrutin dans l’État d’Ekiti. Á la fin de l’année dernière, aucune arrestation n’a été enregistrée dans le cadre de l’incident à la résidence du gouverneur.

Une agression similaire a été signalée à la résidence du gouverneur de l’État d’Imo, au sud-est du pays, en septembre. Un agent de sécurité a frappé avec sa chaussure le correspondant de Radio Nigeria, Wale Olukun, en présence de l’attaché de presse du gouverneur de l’État, selon des médias et des journalistes locaux. Trois autres agents se sont joints à l’agression, a déclaré M. Olukun au CPJ. Le journaliste a déclaré qu’il a récemment diffusé un reportage sur un jeune ayant une déficience visuelle qui protestait contre des défaillances perçues dans les services publics.

Faire des reportages dans la région agitée du Delta du Niger, riche en pétrole, a été exceptionnellement difficile durant la première moitié de 2009, sur fond de luttes entre les forces gouvernementales et les militants qui exigeaient une meilleure allocation des recettes pétrolières, a déclaré au CPJ Ibiba Don Pedro, directrice de publication de l’hebdomadaire privé, National Point. Sowore Omoyele, éditeur du site Web d’information Sahara Reporters, a déclaré que rares étaient les journalistes qui prenaient le risque de faire des reportages de première main au cours de cette période. « Le gouvernement a déclaré à la presse locale qu’il ne pouvait pas garantir leur protection en pleine violence, de sorte que la plupart se sont tenus à l’écart, comptant sur les communiqués de presse publiés par les parties belligérantes », a dit M. Omoyele.

Les conditions dans le delta du Niger se sont légèrement améliorées en juin, après que le gouvernement a accordé l’amnistie à certains militants locaux, permettant davantage de reportages de première main, ont dit au CPJ plusieurs journalistes. Cependant, les forces de sécurité ont continué à harceler et à intimider les journalistes perçus comme étant contestataires, ce qui a entrainé une autocensure continue, ont-ils dit. En novembre, les forces de sécurité ont placé en détention trois journalistes pendant deux jours sur des accusations de « publication de fausses nouvelles » dans le cadre de leurs reportages sur un conflit entre les habitants de Port Harcourt et des soldats, ont dit au CPJ des journalistes locaux. Les développements dans la région ont des répercussions énormes au niveau local en raison de la dégradation de l’environnement et de la santé causée par la production pétrolière. La région a également un impact international important compte tenu de l’étendue de ses réserves. Le Nigeria est le premier producteur de pétrole de l’Afrique.

La pénétration d’Internet était estimée à seulement 7 pour cent en 2009, selon Internet World Statistics, une société d’études de marché, mais les publications en ligne ont commencé à devancer les médias traditionnels en publiant des révélations qui influencent la couverture médiatique. Shu’aibu Usman, secrétaire national de l’Union des journalistes nigérians, a déclaré au CPJ que les journaux reprenaient ou suivaient les articles qui apparaissaient en ligne.

Pour avoir relayé des informations en ligne, certains éditeurs de la presse écrite se sont retrouves dans le collimateur du gouvernement. En juillet par exemple, la police de l’État de Kano, au nord du pays, a interrogé Tukur Mamu, directeur de publication de l’hebdomadaire privé Desert Herald, après que son journal a repris un article de Sahara Reporters portant sur un assassinat non élucidé, a déclaré au CPJ le journaliste. M. Mamu a été relâché le lendemain mais il a été à nouveau arrêté en octobre après la publication par son propre article d’un article alléguant que l’épouse du président avait pris en charge la supervision de certains marchés publics de construction, a-t-il dit. À ces deux occasions, a souligné M. Mamu, les agents l’ont interrogé sur ses relations avec Sahara Reporters.

Certains journalistes ont reproché aux propriétaires de médias d’avoir permis à la pression politique d’influencer indûment leur ligne éditoriale. M. Usman, secrétaire national de l’Union des journalistes nigérians, a déclaré que la grande partie des médias reste entre les mains des « politiciens ou hommes d’affaires qui permettent à leurs préoccupations personnelles de dominer leurs publications ». En octobre, le président nigérian Umaru Yar’Adua a menacé de retirer la licence de la chaîne privée Africa Independent Television (AIT) pour « menaces à la sécurité nationale ». L’avertissement était apparemment lié à une émission politique intitulée « Focus Nigeria », selon des médias locaux. La station a rapidement remplacé l’animateur populaire de l’émission, Gbenga Aruleba, qui était connu pour son style provocateur. Le directeur d’AIT, Raymond Dokpesi, a dit que la pression du gouvernement n’avait rien à voir avec ce remplacement.

Toutefois, un journal a infligé un revers au président Yar’Adua dans une action en justice. En effet, en juin, la Cour d’appel a jugé que le président ne pouvait pas déposer une plainte pour diffamation contre le quotidien privé Leadership tant qu’il exercice sa fonction de chef de l’État, selon des médias. Cette plainte est liée à un article publié en novembre 2008 par Leadership, alléguant que le président était malade, a dit Aniebo Nwamu, directeur exécutif dudit quotidien.