Dans les points chauds du contient africain, les journalistes sont contraints à l’exil
par Tom Rhodes
Un grand nombre de journalistes locaux ont fui plusieurs pays d’Afrique ces dernières années après avoir été agressés, menacés ou emprisonnés, laissant un vide profond dans le reportage professionnel. Les exemples les plus frappants se sont produits dans des nations de la Corne de l’Afrique tels que la Somalie, l’Éthiopie et l’Érythrée, où des dizaines de journalistes ont été contraints à l’exil. Le Zimbabwe, le Rwanda et la Gambie ont également perdu une grande partie du corps des journalistes face à l’intimidation et la violence.
ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2009
Préface
Introduction
Analyse
Ethiopie
Gambie
Madagascar
Niger
Nigeria
Ouganda
RDC
Somalie
Zambie
Zimbabwe
En bref
Ceux qui fuient leurs pays d’origine payent un prix fort: étant confrontés à des obstacles culturels, linguistiques et juridiques, ils se débattent pour trouver du travail dans leur profession. Les recherches du CPJ montrent que seul le tiers d’entre eux est en mesure de continuer à travailler comme journaliste. Mais le public aussi paie cher pour l’exode des professionnels, des reporters locaux de ces pays, qui tous ont connu des conflits internes ayant des implications internationales. Ces journalistes de première ligne étaient non seulement des informateurs pour les audiences nationales mais aussi des bases de nouvelles pour les reporters internationaux qui dépendaient de leurs confrères locaux pour obtenir le type de sources et de connaissances que seul un natif du pays peut avoir.
Pourtant, cela n’a pas simplement entrainé un manque d’informations fiables, disent les journalistes. Paradoxalement, dans certains cas, l’exode des journalistes professionnels a permis à des gouvernements ou des factions politiques d’exercer un contrôle éditorial sur les organes de presse jadis indépendants. «Les taux élevé d’exil des journalistes ont causé plus de désinformation que de déficit d’information», a déclaré Abdiaziz Hassan, un correspondant en Somalie de l’agence de presse britannique, Reuters. « Cela incite à d’autres conflits», a-t-il ajouté.
Parmi les plus durement touchés figure Radio Shabelle, une station somalienne qui avait un renom pour ses reportages indépendants. Située dans le marché de Bakara à Mogadiscio, qui abrite beaucoup d’organes de presse mais qui est aussi une base d’opérations du mouvement des insurgés d’Al-Shabaab, la station a vu cinq de ses journalistes tués, de nombreux membres de son personnel menacés et plusieurs autres contraints à l’exil. Faute de suffisamment de gestion sur place, la station a été sensible à la pression du mouvement Al-Shabaab pour censurer sa couverture et même diffuser la propagande de ce groupe, selon Mohamed Amin, un ancien directeur adjoint de Radio Shabelle qui est maintenant en exil.
Au total, le CPJ a documenté les cas de 30 journalistes somaliens qui sont partis en exil dans cette décennie, le quatrième nombre le plus élevé dans le monde au cours de cette période. Les données du CPJ sur les journalistes exilés n’incluent que les journalistes qui se sont enfui en raison de la persécution liée au travail, qui sont restés en exil pendant au moins trois mois et dont les endroits où ils se trouvent et les activités sont connus. Les organisations locales utilisant des critères différents rapportent des nombres plus élevés. Par exemple, l’Union des journalistes somaliens en exil compte environ 80 journalistes en exil. La plupart de ces exilés se sont enfuis face à une violence étonnante: Vingt et un journalistes somaliens ont été tués en rapport direct avec leur travail depuis 2005, certains par les forces gouvernementales, un grand nombre par des mouvements militants comme Al-Shabaab.
Voici un autre point commun: la plupart des journalistes somaliens exilés parlent anglais. Ce n’est pas une coïncidence, a souligné l’ancien reporter de Shabelle Ahmednor Mohamed, qui a dit que les insurgés voyaient les journalistes anglophones à Mogadiscio comme des «espions». Cela, en retour, a un effet de blocage sur les reportages internationaux.
Parmi les organes de presse internationaux, seules les chaînes par satellite Al-Jazira et Al-Arabiya ont maintenu une présence continue dans ce pays à la fin de l’année dernière. Paul Salopek, un journaliste lauréat du prix Pulitzer, qui a couvert le continent pendant des années, a souligné que peu de journalistes internationaux s’aventurent en Somalie, en particulier à Mogadiscio, en raison des risques graves. Les correspondants internationaux sont plutôt contraints de faire leurs reportages par téléphone à partir de Nairobi, au Kenya. « Voilà comment nous sommes devenus isolés des événements sur le terrain », a déclaré M. Salopek, qui a qualifié la guerre et la sécheresse en Somalie comme « l’une des pires crises humanitaires dans le monde ». En l’absence de reporters locaux fiables pour fournir des informations de base, la tâche consistant à raconter l’histoire somalienne au monde est devenue extraordinairement difficile. « Il y a peu de doute que la décimation des journalistes somaliens, par l’assassinat ou à travers l’exil, a réduit la quantité et la qualité des nouvelles en provenance de ce pays », a déclaré M. Salopek. « Ils étaient les premiers intervenants, si vous voulez, pour recueillir les nouvelles de dernière minute en Somalie. Et la plupart d’entre eux sont partis », a-t-il dit.
En Éthiopie et en Érythrée, les emprisonnements de masse des journalistes au début de la décennie ont été suivis par des années de répression constante. La menace de la prison a poussé au moins 41 journalistes éthiopiens et 24 autres érythréens en exil, selon des données du CPJ, bien que des organisations locales suggèrent que les chiffres peuvent être beaucoup plus élevés.
Les autorités éthiopiennes ont régulièrement utilisé la loi comme moyen de pression contre la presse, en adoptant deux textes de loi en 2009 qui répriment davantage la couverture de l’actualité. Une mesure anti-terroriste établit des peines de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans pour toute personne qui « écrit, édite, imprime, publie, fait connaître ou diffuse » des déclarations que le gouvernement décrit vaguement comme la promotion des intérêts terroristes. La fameuse Loi sur les médias de masse et la liberté d’information durcit les sanctions pour diffamation et donne aux procureurs de la République le pouvoir de censurer des publications pour des raisons de sécurité nationale.
Pour le corps des journalistes éthiopiens qui ont vu 13 de leurs confères emprisonnés dans une vague de répression massive en 2005, l’adoption d’une nouvelle loi restrictive était un message clair: le gouvernement du Premier ministre Meles Zenawi était de nouveau prêt à emprisonner les journalistes et les directeurs de publication contestataires. « Tout est devenu illégal », a déclaré Wondrad Debretsion, un ancien directeur de publication éthiopien qui a choisi l’exil en juillet. « Même les reporters soutenus par l’État ont commencé à fuir le pays ». L’exode continu a affaibli l’indépendance de la presse éthiopienne restante.
Aucun gouvernement n’a décimé la presse de manière aussi profonde que celui de l’Érythrée, où, en 2001, l’administration du président Isaias Afewerki a jetté en prison 18 directeurs de publication et reporters de médias privés. Les journalistes restent détenus sans procès et dans des lieux tenus secrets jusqu’à ce jour. La répression a contraint d’autres reporters indépendants à l’exil et a efficacement éliminé la presse indépendante dans ce pays au bord de la Mer Rouge. La répression autoritaire du gouvernement a aussi forcé les journalistes des médias d’État à prendre des risques mortels pour fuir le pays. En 2007, le présentateur Paulos Kidane a perdu la vie en tentant de quitter le pays à pied pour se rendre au Soudan.
Les autorités gambiennes ont également utilisé des méthodes d’intimidation: sept directeurs de publication et journalistes ont été incarcérés pendant un mois en 2009 sur de fausses accusations de sédition; le journaliste « Chief » Ebrima Manneh était présumé détenu dans une prison secrète du gouvernement et ce dernier a continué de manifester peu d’intérêt dans l’élucidation de l’assassinat en 2004 du directeur de publication Deyda Hydara. Ces méthodes ont poussé au moins 13 journalistes à s’enfuir depuis 2007, selon l’Union de la presse gambienne. Ce nombre est révélateur si l’on considère que la Gambie n’a que deux journaux indépendants pour une population de 1.7 millions d’habitants. Les journalistes qui restent dans ce pays censurent souvent leur travail ou évitent tout simplement les sujets sensibles.
« Il n’y a plus de motivation pour le reportage de fond ou le journalisme d’investigation puisque ce faisant on peut s’attirer des ennuis avec les autorités », a déclaré Musa Saidykhan, un journaliste gambien qui s’est enfui après avoir été torturé par des agents de sécurité de l’État en 2008.
Le harcèlement du gouvernement a également eu un impact au Rwanda, où au moins 10 journalistes indépendants se sont enfuis. La moitié de ces journalistes étaient des correspondants de médias étrangers, selon des recherches du CPJ. Robert Mukombozi, un Rwandais dont le travail en tant que correspondant pour le quotidien ougandais The Monitor avait offusqué les autorités, a été ordonné de sortir du pays en 2009 sous de fausses accusations selon lesquelles il n’avait pas la citoyenneté. Lucie Umukundwa, un correspondant de la Voix de l’Amérique, une chaîne financée par le gouvernement américain, a quitté le Rwanda en 2006 après que des hommes non identifiés ont agressé son frère, en représailles pour ses reportages. « J’étais habituée aux arrestations et aux intimidations, mais c’était la première fois que ma famille était attaquée », a déclaré Mlle Umukundwa au CPJ.
Seuls deux hebdomadaires indépendants restent à Kigali, la capitale du Rwanda. Charles Kabonero, directeur de l’un de ces journaux, a déclaré que la perte de ses collègues n’a pas seulement abaissé les normes professionnelles, les journalistes restés au pays se sentent aussi isolées et moins motivés à garder l’indépendance de leur ligne éditoriale. L’hebdomadaire privé Rushashya, qui avait été connu comme une source d’information indépendante, a publiquement annoncé en 2009 qu’il adopterait une ligne éditoriale plus progouvernementale.
Beaucoup de journalistes africains exilés sont confrontés à de grands défis et des risques continus. L’Union des journalistes exilés somaliens a déclaré qu’environ la moitié de ses membres mène une existence précaire dans les rues dangereuses de la capitale kényane, Nairobi. La plupart se sont enfuis si précipitamment qu’ils n’ont emportés que quelques affaires ou papiers d’identification. L’Union des journalistes exilés, ainsi que l’Union nationale des journalistes somaliens, ont déclaré qu’il leur a été rapporté que les exilés somaliens ont été victimes de harcèlement et de détentions arbitraires de la part de la police kenyane.
Le rwandais M. Mukombozi a déclaré au CPJ que les membres de sa famille ont été agressés à deux reprises à Kigali après qu’il a été contraint à l’exil. « Tout cette pression psychologique plus que triple lorsque de tels incidents se produisent, et la communication restreinte entre le journaliste exilé et sa famille rend le dommage des deux côtés énorme ». a-t-il déclaré par courriel.
Les journalistes gambiens cherchent généralement refuge à Dakar, la capitale sénégalaise, mais ils y sont rarement à l’aise en raison de la présence suspectée d’agents de sécurité gambiens, a déclaré Demba Jawo, ancien directeur de l’Union des journalistes gambiens. «Parfois, les journalistes gambiens exilés se sentent obligés de se déplacer régulièrement pour éviter d’être détectés par ces agents de sécurité », a-t-il dit.
Même ceux qui sont dans de bonnes conditions de sécurité sont confrontés à d’énormes défis professionnels. Au moins 48 journalistes zimbabwéens ont été contraints à l’exil depuis 2000, la plupart d’entre eux dans la première moitié de la décennie au cours de la vague de harcèlement soutenue par le gouvernement du président Robert Mugabe, selon des recherches du CPJ. Dans des interviews avec le CPJ, beaucoup de ces journalistes zimbabwéens ont dit qu’il leur a fallu des années pour se rétablir professionnellement et trouver un équilibre économique pour leurs familles. Beaucoup ont du abandonner leur carrière de journaliste.
Pourtant, certains qui ont relancé leur carrière ont également créé un médium d’information dynamique au niveau de la diaspora. Gerry Jackson, une journaliste zimbabwéenne en exil, a lancé en 2001 SW Radio, une station basée à Londres. La station diffuse ses émissions concernant le Zimbabwe en langues anglaise, shona et ndébélé. Wilf Mbanga, un autre journaliste exilé, a lancé le journal The Zimbabwean en 2005. Basé à son nouveau domicile en Angleterre, M. Mbanga produit un hebdomadaire diffusé au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, au Zimbabwe. Abel Mutsakani, qui est parti en Afrique du Sud en 2004, a rejoint d’autres confrères pour lancer la publication en ligne, ZimOnline.
Les journalistes éthiopiens et érythréens exilés ont également lancé des sites Web, qui généralement mettent l’accent sur les événements qui se passent dans leurs pays. Bien que limités en matière de reportage de première main, ces sites reçoivent et rapportent des documents divulgués, interviewent des sources gouvernementales mécontentes et offrent des commentaires politiques indépendants.
Le journaliste zimbabwéen Geoff Hill a remarqué l’ironie que les journalistes exilés continuent de glisser des reportages d’actualités et des commentaires indépendants dans leurs pays d’origine. « Depuis la nationalisation de la presse en 1981, M. Mugabe a fait de son mieux pour contrôler le flux de l’information, mais maintenant il ya tellement de fuites dans le seau que c’est plutôt comme un arrosoir », a déclaré M. Hill, également journaliste en exil, qui fait encore des reportages d’actualités sur son pays. « Presque tout le mérite revient à cette bonne génération de journalistes zimbabwéens, restés au pays ou en exil, qui refusent de céder », a-t-il ajouté
Tom Rhodes est le coordonnateur de la section Afrique du CPJ.