Une rue de Bujumbura, au Burundi, photographiée le 9 juin 2020. Plusieurs médias restent interdits au Burundi, même si le régulateur des médias du pays a déclaré qu’elle autoriserait deux médias précédemment interdits à opérer dans le pays. (Reuters/Evrard Ngendakumana)

Le CPJ appelle le gouvernement burundais à laisser tous les organes de presse fonctionner sans conditions

Nairobi, le 8 juillet 2022 — À la lumière de la décision du Burundi de lever l’interdiction de la British Broadcasting Corporation (BBC) et du site d’information pro-gouvernemental Ikiriho, le Comité pour la protection des journalistes a appelé le pays à réintégrer tous les médias interdits. Le CPJ a également exprimé son inquiétude devant les conditions que Voice of America (VOA), financée par le Congrès américain, s’est vu imposer par les autorités pour sa réintégration dans le pays. 

Le 16 juin, le régulateur burundais des médias, le Conseil national de la communication (CNC), a déclaré que la BBC, interdite depuis mai 2018, pourrait demander à nouveau une licence pour opérer dans le pays, selon la BBC, la déclaration du régulateur, que le CPJ a examinée, et des rapports de presse. Le CNC a également annoncé la levée d’une interdiction de 2018 d’Ikiriho, selon des tweets de ce média ; des reportages de 2018 indiquaient qu’Ikiriho avait été interdit dans le cadre d’une enquête pour diffamation.

Plusieurs autres médias ne peuvent toujours pas opérer au Burundi, dont VOA, qui est suspendu depuis 2018 pour avoir prétendument diffusé des contenus manquant d’équilibre et préjudiciables aux relations du Burundi avec les Nations unies, comme cela a été documenté par le CPJ à l’époque. Dans un courriel du 23 juin, VOA a indiqué au CPJ que les autorités avaient conditionné la levée de l’interdiction à la « remise d’un journaliste swahili de VOA que les autorités burundaises veulent arrêter », ce que le média « ne négociera pas. » Le porte-parole de VOA n’a pas nommé le journaliste.

Dans des déclarations envoyées via une application de messagerie, le vice-président du CNC, Laurent Kaganda, a déclaré au CPJ que le régulateur n’avait pas exigé d’arrestation mais que l’interdiction de VOA ne serait levée « [qu]’une fois la question du journaliste en conflit avec la loi burundaise épuisée » 

« Malgré des gestes timides visant à permettre à un plus grand nombre de médias de travailler, l’exigence scandaleuse qu’un journaliste soit remis aux autorités avant que la suspension de VOA puisse être levée et la réduction au silence continue d’autres médias montrent que le Burundi reste un environnement fondamentalement hostile à la presse », a déclaré le représentant du CPJ pour l’Afrique subsaharienne, Muthoki Mumo. « Les autorités devraient accélérer le rétablissement de la licence de la BBC ; lever la suspension de VOA sans condition ; lever toutes les restrictions sur les autres médias ; et garantir que les journalistes puissent opérer librement. »

En 2019, le CNC a renouvelé indéfiniment sa suspension de VOA, citant l’emploi par la station de Patrick Nduwimana, un journaliste burundais en exil qui, selon les autorités, était recherché par les forces de l’ordre, comme le CPJ l’a documenté. À l’époque, VOA avait déclaré au CPJ que Nduwimana travaillait pour son service en kiswahili. Kaganda a confirmé au CPJ que Nduwimana est le journaliste de VOA en question.

En février de cette année, la Cour suprême du Burundi a rendu publique la condamnation en juin 2020 de sept journalistes en exil, dont Nduwimana, jugés par contumace et sans représentation légale, pour complicité présumée dans une tentative de coup d’État en 2015, selon une copie de l’annonce de la Cour examinée par le CPJ. Dans des commentaires récents publiés dans un reportage de VOA le 2 juillet, Nduwimana a qualifié de « fausses et sans fondement » les allégations selon lesquelles il aurait été impliqué dans des violences lors du coup d’État de 2015.

La BBC a été suspendue de ses activités au Burundi en mai 2018, après que le régulateur l’a accusée de diffuser des commentaires « exagérés, non vérifiés et diffamatoires » sur le président de l’époque, Pierre Nkurunziza, comme le CPJ l’a documenté à l’époque (Nkurunziza est décédé en 2020). En 2019, le CNC a retiré la licence de la BBC après que le média a diffusé un documentaire sur des allégations de torture, qui, selon les responsables, était faux et diffamatoire, comme l’a documenté le CPJ.

Dans un courriel adressé au CPJ, un porte-parole de la BBC a salué la déclaration du CNC autorisant la chaîne à demander une nouvelle licence et a déclaré que le diffuseur « [avait] hâte de déterminer les prochaines étapes » des négociations. Dans ses messages du 28 juin au CPJ, Kaganda a déclaré que le CNC attendait toujours que la BBC soumette une demande de nouvelle licence, et que le régulateur répondrait à cette demande dans une journée, suivie de discussions sur « les droits et obligations de la BBC et du CNC » avant que le diffuseur ne puisse rouvrir dans le pays. Contacté via une application de messagerie, le directeur d’Ikiriho, Philippe Ngendakumana, a refusé de parler au CPJ.

Parmi les autres médias interdits au Burundi figurent la station privée Radio Publique Africaine, a déclaré au CPJ son directeur Bob Rugurika via une application de messagerie, et la station privée Radio-Télé Renaissance, a déclaré au CPJ son directeur Innocent Muhozi via une application de messagerie. Ils ont déclaré que les deux stations, qui opèrent désormais depuis l’exil, ne peuvent plus opérer au Burundi depuis 2015. Rugurika et Muhozi font également partie des sept journalistes en exil condamnés par contumace pour leur implication présumée dans la tentative de coup d’État de 2015.

Interrogé sur le statut de ces deux stations, Kaganda a affirmé que les médias n’avaient pas répondu à une invitation lancée en février 2021 à une réunion entre le CNC et les médias interdits, pour discuter de leur réouverture. Rugurika et Muhozi ont déclaré au CPJ que leurs stations n’avaient reçu aucune communication des autorités burundaises. 

En février, la CNC a promis de lever un blocage datant de 2017 sur le site Internet du groupe de médias indépendants Iwacu, selon un reportage du média. Contrairement à l’affirmation de Kaganda selon laquelle le site Internet a été débloqué au Burundi, un rapport du 22 juin du groupe de défense des droits numériques basé en Ouganda, la Collaboration on International ICT Policy in East and Southern Africa (CIPESA), a déclaré que le site restait inaccessible dans le pays. S’exprimant par l’intermédiaire d’une application de messagerie, le fondateur d’Iwacu, Antoine Kaburahe, a déclaré au CPJ qu’à partir du 6 juillet, le site d’information n’est accessible que via l’utilisation de réseaux privés virtuels (VPN) ou d’un site « miroir »

L’année dernière, le CPJ a écrit au président du Burundi, Évariste Ndayishimiye, quelques semaines après sa prise de fonction en juin 2020, l’invitant à rompre avec l’histoire de la répression médiatique du pays, notamment en levant l’interdiction des médias et en mettant fin aux poursuites pénales contre les journalistes. Quatre journalistes d’Iwacu ont été graciés et libérés en décembre après plus d’un an d’emprisonnement, selon les médias. Cependant, le 21 juin, le CPJ et 11 organisations ont noté que « l’environnement médiatique au Burundi reste sévèrement restreint », dans une lettre conjointe exhortant l’Union européenne à donner la priorité aux droits humains dans les négociations diplomatiques en cours avec le Burundi.  

Joint par téléphone le 24 juin, le porte-parole de la présidence, Willy Nyamitwe, a demandé au CPJ de le rappeler dans 10 minutes. Il n’a pas répondu aux appels ultérieurs du CPJ les 24 et 25 juin, et n’a répondu ni aux questions envoyées par SMS, ni à un courriel du CPJ, ni à un message soumis par le biais de son site Internet personnel.