Attaques contre la presse en 2009: Zambie

Principaux développements
• Des militants du parti au pouvoir agressent des journalistes en toute impunité.
• Le gouvernement lance des poursuites politisées contre le quotidien The Post

Statistique clé
400: personnes participant à une manifestation contre le harcèlement de la presse.

ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2009
Préface
Introduction
Analyse
Ethiopie
Gambie
Madagascar
Niger
Nigeria
Ouganda
RDC
Somalie
Zambie
Zimbabwe
En bref

La liberté de la presse s’est détériorée durant toute la première année de la présidence de Rupiah Banda. Une montée de tension entre le gouvernement et le premier quotidien indépendant du pays The Post, s’est manifestée avec des incidents d’agressions physiques et un contentieux en justice qui a attiré l’attention internationale.

Le CPJ a documenté sept cas où les militants du Mouvement pour la démocratie multipartite (MMD) au pouvoir ont harcelé ou bastonné des journalistes du Post dans l’exercice de leur fonction. Le journal a indiqué dans un reportage en juillet que le MMD était allé même jusqu’à désigner des agents pour harceler ses journalistes.

La réaction du gouvernement a été plutôt ambigüe. Alors que le président Banda et d’autres autorités ont condamné les attaques, ils semblaient dans la même foulée encourager l’hostilité envers The Post. « Le journal The Post récolte ce qu’il a semé, car on ne peut pas avoir un journal qui fait des reportages négatifs au sujet du président de la République la plupart du temps », a déclaré le ministre de l’Information, Ronnie Shikapwasha lors d’une conférence de presse en mai. Les attaques ciblaient divers employés des médias. Un vendeur du The Post, Deaven Mwanamwale, a été agressé et ses journaux confisqués en mai à Solwezi, capitale de la province du Nord-Ouest, a rapporté le journal. En juillet, des militants du MMD ont agressé les reporters du Post et du journal d’État, Times of Zambia, qui étaient à l’aéroport international de Lusaka, la capitale, pour faire un reportage sur un voyage du président en Ouganda, selon les médias et l’Union des journalistes zambiens.

Face à la recrudescence de harcèlement, environ 400 journalistes, membres de la société civile et étudiants se sont réunis le mois suivant à l’Olympia Park de Lusaka pour protester contre la violence, selon Henry Kabwe, président de la section zambienne de l’Institut des médias d’Afrique australe. Le vice-président zambien, George Kunda, a rassuré l’assemblée que les assaillants seraient poursuivis en justice, selon des journalistes locaux. Le même mois, le président de la ligue de la jeunesse du MMD à Lusaka, Chris Chalwe, a été arrêté sur des accusations liées à l’agression à l’aéroport. L’affaire était encore en instance à la fin de l’année dernière. M. Banda, un vétéran du gouvernement et ancien vice-président, a succédé au président Levy Mwanawasa, décédé d’une attaque cérébrale en août 2008. Banda a ensuite remporté les élections d’octobre 2008, mais ses premiers mois au pouvoir ont été marquées par l’animosité envers la presse. Le président Banda semblait personnellement s’offenser de la couverture du Post. En février, s’exprimant lors d’une cérémonie organisée par le MMD, M. Banda a affirmé que le quotidien agissait comme un mouvement d’opposition, selon des médias locaux. « Le journal The Post m’attaque depuis que vous m’avez choisi comme candidat présidentiel », a-t-il dit.

Une fois au pouvoir, le gouvernement de M. Banda a pris des mesures plus restrictives envers la presse. Au début de l’année, il a ainsi annoncé qu’il donnerait aux représentants de la presse un délai de six mois pour mettre en place un organisme d’autoréglementation ou alors il élaborerait un projet de loi de régulation des médias avec des dispositions non spécifiées. Un groupe de représentants de médias d’État et privés a dit au gouvernement qu’il élaborerait un projet d’autorégulation, soulignant qu’il aurait besoin de beaucoup plus de temps, a dit M. Kabwe. La question était pendante à la fin de l’année dernière.

Cependant, la progression de certaines lois a été bloquée. La Loi sur l’Autorité indépendante de l’audiovisuel, qui allait créer un organe indépendant de régulation de l’audiovisuel, et la Loi (Amendement) sur la Société nationale de l’Audiovisuel de Zambie, qui allait permettre de transformer la télévision et la radio nationale en un média indépendant, ont été votées par le Parlement depuis 2002 mais n’ont jamais été mises en œuvre. L’Institut des médias d’Afrique australe et des journalistes ont appelé le gouvernement à donner suite à ces lois, et ont exhorté le Parlement à réagir par rapport à un projet de loi sur la liberté d’information qui a été introduite il y a plusieurs années.

Les médias d’État sont dominants en Zambie. Le pays compte trois quotidiens, deux appartenant à l’État et un indépendant, et trois hebdomadaires privés. L’industrie de la radiodiffusion s’est étendue, mais la Société nationale de l’audiovisuel domine le marché grâce à son signal de qualité supérieure, ont dit des journalistes locaux au CPJ. M. Kabwe a dit que le gouvernement impose généralement de strictes restrictions sur les rayons de signal dans les licences de radiodiffusion. Ainsi, cinq chaînes de télévision privées diffusent depuis la capitale, mais leur portée est limitée. Environ 30 stations de radio locales et communautaires couvrent la campagne, mais la station Radio Christian Voice et la chaine de radiodiffusion d’État ont les signaux les plus dominants. En septembre, le ministère de l’Information a rejeté une demande de la station privée Phoenix FM d’émettre en ligne.

En novembre, un magistrat de Lusaka a acquitté la directrice de l’information du Post, Chansa Kabwela, pour des accusations sans fondement d’obscénité dans une affaire qui a suscité une controverse internationale. Mme Kabwela avait été arrêtée en juin, après avoir publié des photos inédites d’une femme accouchant sans assistance médicale en dehors de l’Hôpital universitaire d’enseignement de Lusaka, lors d’une grève des travailleurs de la santé. Mme Kabwela avait envoyé les photos au vice-président, au ministre de la Santé, au secrétaire du Cabinet, à l’archevêque de Lusaka et à deux organisations de la société civile, avec une lettre demandant instamment que la grève soit résolue. Après avoir pris connaissance des photos, le président Banda les a qualifiées de pornographie, martelant: «Tu devrais avoir honte, toi le photographe qui a pris des photos de nos mères nues».

Les photos avaient été prises par le mari de la femme, qui les a données au The Post parce qu’il croyait que ce qui s’est passé ne devrait pas se répéter, selon Sam Mujida, directeur adjoint dudit journal. M. Mujida a déclaré que les rédacteurs du journal avaient décidé que les photos étaient trop choquantes pour être publiées, mais qu’il était important de sensibiliser les responsables du gouvernement et de la société civile sur l’impact humain de la grève. Le bébé est mort peu après sa naissance, selon des médias.

Dans une interview en novembre avec le CPJ, Mme Kabwela a qualifié l’acquittement de disculpation. « J’ai été diabolisée comme si j’étais insensible aux questions de culture et de vie privée», a-t-elle dit, ajoutant qu’elle était satisfaite par le « soutien écrasant» du public sur le plan national et international. Le déluge de soutien est venu, entre autres, de groupes de soutien sur Facebook qui ont attiré plusieurs centaines d’alliés.

Le quotidien The Post a subi un harcèlement juridique sur une affaire connexe. En effet, un magistrat a inculpé d’outrage au tribunal Fred M’membe, rédacteur en chef du journal et lauréat en 1995 du prix de la liberté de la presse du CPJ, à la suite d’un éditorial publié en août sur l’affaire Kabwela, selon l’avocat de la défense, Remmy Mainsa. L’auteur de l’éditorial, un juriste zambien basé aux États-Unis d’Amérique, Muna Nduko, qui est également professeur de droit à l’Université Cornell, avait critiqué les poursuites contre Kabwela. M’membe a plaidé non coupable, et l’affaire était en instance à la fin de l’année dernière.