L'épave de la voiture qui appartenait à Yusuf Ahmed Abukar, tué lors de l'explosion d'une bombe en juin 2014. Au moins 30 journalistes ont été assassinés en toute impunité en Somalie depuis 2008. (AP/Farah Abdi Warsameh)
L'épave de la voiture qui appartenait à Yusuf Ahmed Abukar, tué lors de l'explosion d'une bombe en juin 2014. Au moins 30 journalistes ont été assassinés en toute impunité en Somalie depuis 2008. (AP/Farah Abdi Warsameh)

Meurtres de journalistes restés impunis


L’Indice de l’impunité du CPJ en 2015 : un rapport qui met en lumière les pays dans lesquels les assassins de journalistes échappent à la justice.

Publié le 8 octobre 2015

L’embuscade d’un convoi au Soudan du Sud et l’assassinat à coups de machette de blogueurs au Bangladesh cette année ont propulsé ces deux pays dans l’Indice de l’impunité du CPJ, qui met en lumière les pays où les assassins de journalistes échappent à la justice. La Colombie, en revanche, n’apparaît plus dans l’indice car les violences meurtrières infligées aux journalistes se sont encore éloignées dans le passé de ce pays.

Pour la première fois depuis que le CPJ a commencé à compiler son indice en 2008, l’Irak ne remporte pas la première place, maintenant occupée par la Somalie. Ce changement reflète un nombre de victimes en croissance continue dans ce pays, où un ou plusieurs journalistes sont assassinés chaque année depuis la dernière décennie, et où le gouvernement s’est montré incapable ou peu disposé à enquêter sur les attaques.

Le passage de l’Irak à la deuxième place repose sur plusieurs facteurs, peu encourageants avec une seule condamnation. L’Indice de l’impunité examine les meurtres non élucidés de la décennie précédente et pour lesquels le journalisme est le motif confirmé. Les premières années de la guerre en Irak ne font plus partie de la dernière période de dix ans, et les exécutions ciblées ont diminué au cours de la deuxième moitié de la décennie par rapport aux sommets des années 2006 et 2007. Plus récemment, les membres du groupe militant État islamique ont enlevé et tué au moins deux journalistes. À ce jour, le contrôle forcé que le groupe exerce sur l’information a empêché le CPJ de documenter avec précision les autres cas et d’en déterminer les motifs.

La brutalité de l’État islamique à l’encontre des journalistes est également à l’origine du passage de la Syrie de la cinquième à la troisième place de l’indice. Depuis le mois d’août 2014, ses militants ont décapité trois correspondants internationaux, et fait circuler les vidéos des exécutions sur les médias sociaux. Comme en Irak, on pense que ce groupe est responsable d’autres enlèvements et assassinats de journalistes en Syrie, que le CPJ n’a pas été en mesure de confirmer. La Syrie est le lieu le plus dangereux au monde pour les journalistes, avec un nombre record d’enlèvements et attaques perpétrés non seulement par l’État islamique, mais aussi par d’autres factions militantes et les forces loyales au régime d’Assad.

À la quatrième place, les Philippines sont le seul des cinq premiers pays n’étant pas en situation de conflit armé à grande échelle.

Publié en amont de la deuxième Journée internationale contre l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies et prévue pour le 2 novembre, l’Indice de l’impunité calcule le nombre de meurtres de journalistes non élucidés par rapport à la population d’un pays. Dans cette édition, le CPJ a examiné les meurtres de journalistes qui se sont produits dans chaque pays du monde entre le 1er septembre 2005 et le 31 août 2015. L’indice n’inclut que les pays ayant enregistré cinq cas non élucidés ou plus. Cette année, quatorze pays ont rempli les critères de l’indice, par rapport à treize dans l’édition précédente. Les cas sont considérés comme non élucidés lorsqu’aucune condamnation n’a été prononcée ; les cas où les suspects sont tués pendant l’arrestation, ou bien où certains auteurs mais pas tous sont amenés devant la justice, sont considérés comme une impunité partiale et ne sont pas inclus au compte du seuil de cinq cas. Le nombre total de cas analysés pour l’indice de cette année s’élève à 270.

La Colombie, seul pays à sortir de l’indice cette année, a moins de cinq cas non élucidés pour la période de temps examinée. Des condamnations ont été prononcées pour deux meurtres de journalistes depuis 2009 ; dans ces deux affaires, justice a été pleinement rendue aux victimes avec des sentences imposées aux cerveaux des attaques. Cette amélioration de la situation en Colombie est aussi largement le fruit d’une baisse de la violence politique au niveau national ainsi que d’un programme de protection des journalistes mis en place par le gouvernement. Néanmoins, les journalistes subissent des menaces à de nombreuses occasions, selon les recherches du CPJ. Par ailleurs, le 10 septembre, un homme armé non identifié a tué la journaliste colombienne Flor Alba Núñez Vargas devant sa station de radio. La collègue de la victime a confirmé que Núñez avait reçu des menaces liées à ses reportages.

Des condamnations ont également été prononcées l’année dernière dans trois pays de l’indice – la Russie, l’Irak et le Brésil, mais dans un cas seulement  la personne ayant commandité le meurtre a été emprisonnée : l’homicide de la journaliste russe Anastasiya Baburova en 2009.

L’apparition sur l’indice du Soudan du Sud, où cinq journalistes qui voyageaient avec un convoi politique ont été piégés et tués cette année, illustre bien les obstacles qui empêchent que justice soit faite dans les régions ravagées par la guerre, ou encore là où de puissants groupes armés illégaux menacent activement les journalistes, comme au Pakistan et au Nigeria, en 9e et 13e position de l’indice respectivement.

Parallèlement, plus de la moitié des pays figurant sur l’indice sont des démocraties qui disposent d’institutions d’application de la loi et judiciaires qui fonctionnent ; il s’agit notamment des Philippines, de la Russie, du Brésil, du Mexique et de l’Inde, qui ensemble, ont laissé les assassins de quatre-vingt-seize journalistes au moins échapper à la justice ces dix dernières années. Ces chiffres indiquent que la volonté politique nécessaire pour poursuivre ceux qui réduisent au silence les journalistes, dont beaucoup enquêtent sur la corruption ou font des reportages critiques à l’égard de leurs autorités, fait défaut.

En mai cette année, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l’unanimité la résolution 2222 qui appelle les États à renforcer la protection des journalistes en période de conflit armé et à veiller à ce que justice soit rendue pour les crimes commis contre eux. Cette résolution est la plus récente d’une série de mesures adoptées par l’ONU pour résoudre ce problème. Dans son rapport spécial de 2014 intitulé « Le Chemin vers la justice : Briser le cycle de l’impunité en matière de crimes contre les journalistes », le CPJ conclut qu’en dépit de l’attention croissante sur la scène internationale, peu de progrès ont été réalisés sur le plan du nombre d’arrestations.

Parmi les autres conclusions tirées des données qui ont servi à compiler l’Indice de l’impunité du CPJ, les points suivants ont été relevés :

  • Les quatorze pays de l’indice représentent ensemble 83 pour cent des meurtres non élucidés qui se sont produits dans le monde pendant la période de dix ans qui s’achève le 31 août 2015.
  • Neuf des quatorze pays qui figurent sur l’Indice de l’impunité y ont été répertoriés chaque année depuis que le CPJ a commencé son analyse annuelle en 2008, ce qui démontre la persistance du cycle de violence et d’impunité.
  • Environ 96 pour cent des victimes sont des journalistes locaux. La majorité effectuait des reportages dans leur pays d’origine, sur la politique et la corruption.
  • Les menaces précèdent souvent les meurtres. Dans au moins quatre meurtres sur dix commis à l’encontre de journalistes, les victimes avaient reçu des menaces de mort. Ces menaces font rarement l’objet d’enquêtes de la part des autorités.
  • Presque un tiers des journalistes assassinés sont retenus captifs avant d’être tués et la majorité d’entre eux sont torturés – clairement une tentative d’envoyer un message d’intimidation aux médias.
  • Les groupes politiques, y compris les factions armées, sont les auteurs présumés de 46 pour cent des meurtres, ce qui représente une augmentation de six points de pourcentage par rapport à l’indice de 2014. Les responsables gouvernementaux et militaires sont considérés comme les principaux suspects dans presque 25 pour cent des cas.
  • Les cerveaux ont été appréhendés et traduits en justice dans seulement 2 pour cent des cas.
  • Dans le cadre du dernier rapport biennal (2014) de la Directrice générale de l’UNESCO sur le danger d’impunité, l’UNESCO étant l’organisme de l’ONU chargé de promouvoir la liberté d’expression, la moitié des pays qui figurent sur l’Indice de l’impunité – l’Afghanistan, le Bangladesh, le Nigeria, l’Inde, le Soudan du Sud, la Somalie et la Syrie, n’ont pas fourni d’informations de mise à jour concernant les enquêtes sur les meurtres de journalistes, démontrant par là un manque de redevabilité au plan international.

Pour une explication détaillée de la méthodologie du CPJ, veuillez cliquer ici.


Juba Monitor, un journal du Soudan du Sud rapporte le meurtre de Peter Julius Moi, tué par balle en août. Ce pays nouvellement indépendant apparaît sur l'Indice de l'impunité suite à une série d'assassinats de journalistes.  (AFP/Samir Bol)
Juba Monitor, un journal du Soudan du Sud rapporte le meurtre de Peter Julius Moi, tué par balle en août. Ce pays nouvellement indépendant apparaît sur l’Indice de l’impunité suite à une série d’assassinats de journalistes. (AFP/Samir Bol)

L’indice

Voici les 14 pays où au moins cinq journalistes ont été assassinés sans qu’un seul auteur ne soit condamné. L’indice couvre les meurtres qui ont eu lieu entre le 1er septembre 2005 et le 31 août 2015.


1 La Somalie

Pas une année ne s’est écoulée durant la dernière décennie sans qu’un journaliste soit assassiné dans ce pays ravagé par la guerre civile qu’est la Somalie, et qui a figuré sur l’indice pour la première fois en 2008. Au moins trente journalistes ont été assassinés sans aucune conséquence pour les auteurs de l’acte au cours de cette période de l’indice ; la majorité étaient des cibles des militants d’Al-Shabaab qui, des années durant, a menacé et agressé des journalistes à cause de leur couverture des activités du groupe. Tandis que le gouvernement a attribué son problème d’impunité à l’instabilité politique et au manque de ressources infligés par vingt ans de guerre civile, les journalistes affirment que les autorités ne mènent pas d’enquêtes, même minimes, lorsqu’un journaliste est tué. Par ailleurs, une nuit d’avril, des hommes armés non identifiés se sont introduits par effraction dans le foyer de Daud Ali Omar et l’ont assassiné dans son sommeil, ainsi que sa femme. Daud était producteur pour une station de radio privée pro-gouvernementale, et les journalistes locaux et la police ont déclaré qu’ils soupçonnaient Al-Shabaab d’en être responsable.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 2,857 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé deuxième avec un taux de 2,549


2 L’Irak

Pour la première fois depuis que le CPJ compile l’Indice de l’impunité, l’Irak n’obtient pas la première place de premier pays meurtrier de journalistes dans le monde. Son nombre de meurtres non élucidés reste toutefois sidérant – 84 journalistes ont été massacrés en toute impunité au cours de la dernière décennie, beaucoup plus que tous les autres pays – mais les violences meurtrières contre la presse, même si elles restent fréquentes, ont chuté par rapport à leur sommet de 2006 et 2007 où 55 journalistes au total ont été assassinés. On estime que des douzaines d’attaques allant de l’enlèvement au meurtre se sont déroulées dans les territoires contrôlés par les militants de l’État islamique, mais ce groupe exerce un contrôle étroit sur l’information, ce qui a empêché le CPJ de confirmer la plupart des attaques et d’inclure ces victimes à cette liste, un fait qui donne une fausse image de l’amélioration apparente de l’Irak. Seul un cas a fait l’objet d’un certain niveau de justice en Irak, et il s’est produit dans la région autonome du Kurdistan. En octobre 2014, un tribunal correctionnel a condamné un suspect à mort pour l’assassinat de Kawa Garmyane, rédacteur en chef d’un magazine mensuel au Kurdistan en 2013. Bien que cette condamnation, une première en Irak, constitue une grande avancée dans la lutte contre l’impunité, les progrès de l’affaire ont été remis en question en janvier cette année lorsque le même tribunal a acquitté le commandant militaire accusé d’avoir ordonné l’assassinat.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 2,414 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé premier avec un taux de 3,067


3 La Syrie

La Syrie, déchirée par la guerre, a gagné deux places, en passant de la cinquième à la troisième position. Onze journalistes ont été tués délibérément depuis 2012, en toute impunité. La violence contre la presse est de plus en plus utilisée en Syrie, non seulement comme moyen de contrôler la couverture de l’information mais aussi comme stratégie de propagande. Les militants de l’État islamique ont décapité trois correspondants étrangers début août 2014 et filmé ces actes effroyables pour les médias sociaux. De plus, les journalistes locaux qui couvrent ce conflit dévastateur au sein de leurs propres communautés ne sont pas seulement les cibles des groupes militants, mais aussi celles des forces de sécurité et des rebelles syriens. La Syrie est le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes. Depuis le début du conflit en 2011, au moins quatre-vingt-cinq journalistes ont été victimes de tirs croisés, tués lors de missions périlleuses ou assassinés.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,496 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé cinquième avec un taux de 0,313


4 Les Philippines

Même si elles sont passées de la troisième à la quatrième position dans l’Indice de l’impunité, les Philippines restent le seul pays des cinq premiers champions de l’impunité à ne pas être plongé dans un conflit et une grande instabilité politique. Au moins quarante-quatre meurtres se sont produits en toute impunité depuis septembre 2005, dont sept sous l’actuel gouvernement du président Benigno Aquino III. La justice pour les trente-deux journalistes et les vingt-six autres personnes tuées lors du massacre de Maguindanao en 2009 semble plus inaccessible que jamais. Encore personne n’a été reconnu coupable de ce crime, et au bout de six ans de procédures judiciaires prolongées, le cerveau présumé est décédé de causes naturelles. La conviction en 2013 de l’homme qui a assassiné le journaliste Gerardo Ortega fut un développement bien accueilli, mais les deux politiciens défunt, accusés d’avoir subventionné le crime, n’ont pas encore eu leurs journée en cours.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,444 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé troisième avec un taux de 0,527


5 Le Soudan du Sud

Le Soudan du Sud apparaît sur l’Indice de l’impunité quatre ans à peine après avoir gagné son indépendance. Cinq journalistes ont été tués le 25 janvier 2015, lorsque des hommes armés non identifiés ont piégé un convoi officiel au Bahr al Ghazal occidental, un état du Soudan du Sud. Onze personnes au total ont perdu la vie dans cette attaque. D’après des témoins, des coups de feu ont été tirés sur les victimes, qui ensuite ont été attaquées avec des machettes avant d’être brûlées. Le CPJ enquête sur le meurtre d’un sixième journaliste, le reporter Peter Julius Moi, abattu d’une balle dans le dos alors qu’il rentrait chez lui à pied le 19 août 2015. Aucun agresseur n’a été appréhendé pour ces deux incidents. Ces massacres hissent à un tout nouveau niveau l’intimidation des médias du Soudan du Sud déjà à bout de souffle. Depuis que la guerre civile a éclaté en 2013, les agents de sécurité harcellent la presse et font des descentes dans les organes de presse pour limiter la couverture des activités des groupes rebelles, selon les recherches du CPJ. Le Soudan du Sud arrive maintenant deuxième en matière d’impunité en Afrique, après la Somalie.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,420 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : le Soudan du Sud n’a jamais figuré dans les indices précédents.


6 Le Sri Lanka

Le Sri Lanka est passé de la quatrième à la sixième place sur l’indice de cette année ; mais cette amélioration n’est pas le fruit de poursuites judiciaires. En effet, ce pays insulaire maintient son bilan parfait de l’impunité en matière de meurtres de journalistes, et l’amélioration découle plutôt du fait qu’aucun journaliste n’a été assassiné à cause de son travail depuis la fin de la guerre civile en 2009. Jusqu’à présent, le président Maithripala Sirisena, investi dans ses fonctions en janvier cette année, a fait preuve d’une plus grande volonté politique de faire régner la justice que son prédécesseur Mahinda Rajapaksa, sous le mandat duquel se sont produits neuf meurtres de personnel des médias, dont cinq dans la période de cet indice. En mai, Sirisena a promis de rouvrir les enquêtes sur les journalistes tués ou disparus au cours des trente dernières années, et il avait mentionné l’assassinat du rédacteur en chef connu Lasantha Wickramatunga et la disparition du caricaturiste Prageeth Eknelygoda comme des cas prioritaires. Depuis, au moins sept officiers militaires ont été arrêtés dans le cadre de l’affaire Eknelygoda, tandis que le massacre de Wickramatunga et les autres restent à élucider.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,242 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé 4e avec un taux de 0,443


7 L’Afghanistan

Personne n’a été tenu responsable d’aucunes des cinq attaques ciblées qui se sont déroulées en Afghanistan pendant la décennie couverte par l’indice de cette année. Les cas en question incluent Zakia Zaki, tuée en 2007 lorsque des hommes armés ont pris d’assaut sa maison et ont tiré sur elle sept fois. Zaki avait reçu des avertissements lui intimant de fermer la station de radio indépendante qu’elle dirigeait, qui abordait les questions de droits de l’Homme et de politique nationale. Les journalistes étrangers sont aussi souvent des cibles en Afghanistan. Parallèlement, après les élections de l’année dernière qui ont donné le jour à l’administration du président Ashraf Ghani Ahmadzai, le premier vice-président afghan Abdul Rashid Dostum a marqué la première Journée internationale contre l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes en se réunissant avec des journalistes et en promettant d’apporter son soutien aux médias, selon les informations. Il a cependant averti les journalistes qui profanent la religion : « J’étranglerai moi-même une telle personne. »

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,158 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé 6e avec un taux de 0,168

 


Des amis et collègues de Rubén Espinosa soulèvent leurs appareils photo lors de l'enterrement du photographe, assassiné à Mexico. Le taux d'impunité du Mexique a presque doublé depuis 2008. (AFP/Alfredo Estrella)
Des amis et collègues de Rubén Espinosa soulèvent leurs appareils photo lors de l’enterrement du photographe, assassiné à Mexico. Le taux d’impunité du Mexique a presque doublé depuis 2008. (AFP/Alfredo Estrella)

8 Le Mexique

Le taux d’impunité au Mexique a plus que doublé depuis sa première apparition sur l’indice en 2008. Dix-neuf journalistes couvrant les crimes et la corruption ont été assassinés impunément au cours de la dernière décennie. En 2013, le Mexique a adopté une loi pour permettre aux autorités fédérales mexicaines de poursuivre les auteurs de crimes à l’encontre des journalistes, mais cette mesure n’a pas donné lieu à des poursuites, ce qui a déçu à la fois journalistes et défenseurs de la liberté d’expression. Depuis son adoption, six autres journalistes ont été assassinés impunément. En juillet dernier, le photographe mexicain Rubén Espinosa a été torturé et assassiné à Mexico, une ville qui était pourtant considérée comme un lieu sûr pour les journalistes menacés à Veracruz et les autres états dominés par les cartels. Suite à ce meurtre, plus de 700 écrivains on signé une lettre adressée au président Enrique Peña Nieto et exigeant des enquête approfondies sur les crimes commis contre les journalistes. « Le crime organisé, la corruption des fonctionnaires et l’incapacité du système judiciaire de poursuivre en justice les criminels contribuent tous trois à l’extrême vulnérabilité des reporters », disait cette lettre, soutenue par le CPJ.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,152 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé 7e avec un taux de 0,132


9 Le Pakistan

L’espoir que la condamnation de six suspects l’année dernière pour l’assassinat du journaliste de télévision Wali Khan Babar annonçait une nouvelle ère pour les journalistes s’est éteint face aux nouvelles violences et à l’ensemble d’engagements contre l’impunité pris envers le CPJ qui n’ont pas été tenus. Trois journalistes ont été tués depuis la période du dernier indice, ce qui ramène à vingt-deux le nombre total de victimes au Pakistan pour la dernière décennie. Parmi elles on compte Shan Dahar, abattu alors qu’il enquêtait sur la vente illégale de médicaments de dons humanitaires dans un hôpital local. Hormis le cas de Babar, l’impunité reste la norme pour ces meurtres ainsi qu’une série d’attaques récentes, comme les coups de feu qui ont gravement blessé le célèbre présentateur des actualités Hamid Mir. Les menaces que subissent les journalistes proviennent de l’armée et des services de renseignement, de partis politiques, de groupes et de militants criminels, et de dirigeants politiques corrompus. Le Pakistan est le pays phare du Plan d’action des Nations unies sur la Sécurité des journalistes et la question de l’impunité, une initiative qui amélioré le dialogue et la coordination entre la société civile, les médias et le gouvernement mais qui n’a pas encore conduit à une diminution significative de l’impunité.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,119 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé 9e avec un taux de 0,123


10 La Russie

La condamnation en juillet du cerveau à l’origine du double meurtre de l’avocat spécialisé dans les droits de l’Homme Stanislav Markelov et de la journaliste de Novaya Gazeta, Anastasiya Baburova a apporté un léger soulagement face au sombre bilan de l’impunité. Mais avec onze cas non élucidés pour la période de cet indice, la Russie reste le pire pays d’Europe et de la région de l’Asie centrale sur le plan des poursuites contre les assassins de journalistes. Le cas de Baburova est unique ; dans presque 90 pour cent des meurtres de journalistes en Russie, personne n’est condamné. Ce fait est diamétralement opposé à une déclaration du directeur de la Commission d’enquête Aleksandr Bastrykin en 2014 selon laquelle 90 pour cent de tous les homicides en Russie sont résolus. Les quelques poursuites qui ont progressé, comme l’affaire très médiatisée d’Anna Politkovskaya, n’ont jusqu’à présent entraîné que la condamnation de ceux qui ont perpétré le crime – pas de ceux qui l’ont commandité. D’autres enquêtes sont au point mort. Malgré la promesse personnelle du président Vladimir Putin de traduire les assaillants en justice, pas une seule personne n’a été arrêtée pour l’attaque du journaliste écologiste Mikhail Beketov, qui a succombé en 2013 aux blessures qui lui avaient été infligées en 2008 lorsque des voyous avaient l’avait matraqué et plongé dans le coma. Le CPJ a appelé à rouvrir l’enquête sur cette agression au final mortelle.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,076 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé 10e avec un taux de 0,098


11 Le Brésil

Malgré le nombre croissant de condamnations, les violences meurtrières à l’encontre des journalistes continuent de prendre de vitesse la justice brésilienne. Avec onze cas non élucidés, ce pays maintient le même taux d’impunité que l’année dernière par rapport au reste du monde. Lors d’une réunion avec une délégation du CPJ en mai 2014, le président brésilien Dilma Rousseff a promis de viser « l’impunité zéro » et d’appuyer les efforts législatifs entrepris pour la fédéralisation des crimes contre la liberté d’expression. Depuis, les suspects des meurtres des journalistes spécialistes des affaires criminelles Rodrigo Neto et Walgney Assis de Carvalho en 2013 ont été jugés coupables et condamnés. Toutefois, comme dans la majorité des cas, seuls les auteurs du crime ont dû rendre des comptes, mais par leur commanditaire. Les poursuites contre ceux qui commanditent des meurtres de journalistes restent un obstacle essentiel à la fin du cycle de violence au Brésil, en particulier si l’on prend en compte le fait que les fonctionnaires des autorités locales sont les suspects principaux de la majorité des cas.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,053 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé 11e avec un taux de 0,045


Des fleurs sont déposées en hommage sous une photo de Niloy Neel en août. Neel est le quatrième blogueur tué à coups de machette par des extrémistes au Bangladesh en 2015. (AFP/ Munir uz Zaman)
Des fleurs sont déposées en hommage sous une photo de Niloy Neel en août. Neel est le quatrième blogueur tué à coups de machette par des extrémistes au Bangladesh en 2015. (AFP/ Munir uz Zaman)

12 Le Bangladesh

Une vague de violence contre les blogueurs a ramené le Bangladesh dans l’indice pour la première fois depuis 2011. Cette année seulement, au moins quatre blogueurs bangladais ont été tués à coups de machette par des extrémistes islamistes il semble, et cinq des sept victimes bangladaises dont les meurtres sont restés non élucidés au cours de la dernière décennie sont des blogueurs qui critiquaient l’extrémisme religieux. Une série d’arrestations ont suivi certaines attaques audacieuses contre des blogueurs comme l’américano-bangladais Avijit Roy, qui avait été assailli par des hommes armés de machettes  alors qu’ils rentrait en pousse-pousse d’un salon du livre à Dacca ; mais ce n’est que dans un cas depuis 2005, celui de Gautam Das, que les auteurs ont été jugés et condamnés. Le premier ministre Sheikh Hasina et le parti au pouvoir Awami League en théorie laïc en ont peu fait pour que justice soit rendue pour ces crimes, et ils ont laissé les intérêts politiques l’emporter sur l’État de droit. Une collègue a confié au CPJ : « Les autorités semblent se préoccuper davantage de ce que les blogueurs écrivent que de pourchasser leurs assassins ». Face à cette terreur incontrôlée, plusieurs blogueurs ont fui en exil.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,044 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : le Bangladesh ne figurait pas sur l’indice 2014.


13 Le Nigeria

Avec cinq meurtres non élucidés, le Nigeria figure sur l’Indice de l’impunité du CPJ pour la troisième année de suite. Au moins deux journalistes ont été tués par des individus affiliés à Boko Haram, selon des recherches du CPJ, tandis que les autres comme le célèbre rédacteur en chef Bayo Ohu ont été tués à cause de leurs reportages sur la politique du pays. Ohu a été abattu devant sa porte d’entrée en 2009 ; en 2012, trois suspects ont été acquittés de son meurtre car la police n’avait présenté aucune preuve. En outre, le Nigeria n’a pas donné suite aux demandes de la Directrice générale de l’UNESCO, l’organisme de l’ONU chargé de promouvoir la liberté d’expression, concernant l’état d’avancement des procédures pour cet assassinat et plusieurs autres. En juin 2015, le CPJ a écrit au président élu de l’époque Muhammadu Buhari pour lui demander de se démarquer de son prédécesseur, Goodluck Jonathan, en donnant la priorité aux poursuites contre les assassins de journalistes.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,028 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé 12e avec un taux de 0,030


14 L’Inde

Sur les onze meurtres de journalistes que le CPJ a confirmés comme étant liés au travail des victimes ces dix dernières années en Inde, tous ont été perpétrés impunément, garantissant ainsi à l’Inde une place sur l’Indice de l’impunité pour la huitième année consécutive. Presque toutes les victimes faisaient état de la corruption ou parlaient de politique, comme le journaliste freelance Jagendra Singh, qui a succombé à ses brûlures en juin. Singh faisait des reportages sur la politique et les activités minières illégales à Uttar Pradesh. Dans une déclaration qu’il a faite avant sa mort, il alléguait que la police l’avait brûlé sur ordre d’un ministre de son gouvernement. L’impunité continuelle en Inde encourage un climat de plus en plus dangereux pour les journalistes. Quelques jours à peine après le meurtre de Singh, un autre journaliste était battu et traîné derrière une moto, et un journaliste au Bengale occidental a disparu, entre autres agressions. Le Press Council of India (Conseil de la presse indienne), un organe prévu par la loi, a appelé à deux minutes de silence médiatique le 2 novembre pour protester contre l’impunité de ces dernières attaques de journalistes.

Pourcentage sur l’Indice de l’impunité : 0,008 meurtres non élucidés par million d’habitants

L’année dernière : pays classé 13e avec un taux de 0,006


Méthodologie

L’indice de l’impunité du CPJ calcule le pourcentage des meurtres de journalistes restés impunis, par rapport à la population de chaque pays. Pour cet indice, le CPJ a fait une analyse des meurtres de journalistes qui se sont produits dans la période du 1er septembre 2005 au 31 août 2015, et qui sont restés impunis. Seuls les pays ayant enregistré au moins cinq cas non élucidés sont inclus dans cet indice.

Le CPJ définit le meurtre comme une attaque délibérée contre un journaliste particulier, en représailles au travail de la victime. Selon des recherches menées par le CPJ, les meurtres représentent plus de 70 pour cent des décès liés au travail des journalistes. Cet indice n’inclut pas les cas de journalistes tués dans des combats ou au cours de missions dangereuses, telle que la couverture de manifestations de rue.

Les cas sont considérés comme impunis lorsqu’aucune condamnation n’a été obtenue. Les cas dans lesquels certains mais pas tous les suspects ont été condamnés sont considérés comme une impunité partiale dans la base de données exhaustive du CPJ sur les journalistes assassinés dans l’exercice de leurs fonctions. Les cas dans lesquels les auteurs présumés ont été tués lors de leur appréhension sont également considérés comme une impunité partiale. L’indice analyse uniquement les meurtres qui ont été perpétrés dans une impunité totale ; il n’inclut pas les cas où une justice partiale a été appliquée. Les données démographiques issues des Indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale en 2014 ont été utilisées pour calculer le taux de chaque pays.


Tableau statistique

Classement Pays Cas impunis Population (en millions)* Taux
1 La Somalie 30 10,5 2,857
2 L’Irak 84 34,8 2,414
3 La Syrie 11 22,2 0,496
4 Les Philippines 44 99,1 0,444
5 Le Soudan du Sud 5 11,9 0,420
6 Le Sri Lanka 5 20,6 0,242
7 L’Afghanistan 5 31,6 0,158
8 Le Mexique 19 125,4 0,152
9 Le Pakistan 22 185,0 0,119
10 La Russie 11 143,8 0,076
11 Le Brésil 11 206,1 0,053
12 Le Bangladesh 7 159,1 0,044
13 Le Nigeria 5 177,5 0,028
14 L’Inde 11 1295,0 0,008

L’Indice de l’impunité du CPJ est compilé dans le cadre de la Campagne mondiale contre l’impunité, qui est rendue possible grâce au généreux soutien de la Fondation Leon Levy.