Au Djibouti, un journaliste toujours prêt à relever le défi malgré ses incarcérations répétitives

Tom Rhodes / Consultant du CPJ pour l’Afrique de l’Est

Le journaliste en ligne Houssein Ahmed Farah a passé plus de trois mois en prison à Djibouti avant d’être finalement libéré au mois de novembre par une cour d’appel du pays – ce après que la défense a demandé sa libération sous caution à trois reprises, a indiqué Houssein. Pour son crime, autant dire que rien ne lui est reproché officiellement. « Cela apparait comme une arrestation arbitraire car il n’y a toujours pas de preuve dans mon dossier », a dit Houssein. Il a expliqué qu’il a été accusé d’avoir distribué des cartes d’identité pour l’opposition, mais aucune charge n’a été officiellement retenue contre lui.

Ce journaliste du site d’informations en ligne, La Voix de Djibouti, très critique à l’égard du régime et géré depuis l’étranger, dormait sur un matelas fourni par sa famille dans une cellule de 24 mètres carrés partagée avec 75 détenus et dotée de deux toilettes qui fonctionnaient par intermittence. La capacité de la prison centrale de Gabode à Djibouti ville, la capitale, est de 500 personnes, mais 735 détenus y séjournent actuellement, a fait remarquer le journaliste. Diabétique, il n’a pu compter que sur les visites de médecins effectuées une fois tous les 15 jours et sur un long circuit bureaucratique pour recevoir des médicaments. « En fait, tout doit passer par le directeur de la prison, un ancien policier fidèle au régime, donc je n’étais pas suivi médicalement, et je n’étais pas autorisé non plus à faire des exercices physiques pour réduire mon taux de glycémie», a déploré le journaliste.

Houssein et ses collègues de La Voix de Djibouti sont habitués aux harcèlements des autorités. «Depuis ma libération, je vais tous les jeudis signaler ma présence à la cour », a-t-il indiqué, « le juge Lamisse Mohamed m’a dit que je fais toujours l’objet de deux poursuites dont l’une remonte à février 2011, quand ils m’ont accusé d’avoir participé à un mouvement insurrectionnel ».

En février 2011, Houssein a été arrêté avec cinq de ses collègues et avait passé quatre mois en détention préventive à Gabode pour avoir participé à une manifestation, ont indiqué des journalistes locaux. Cette rare série de manifestations a été organisée par la société civile et les partis d’opposition pour protester contre un amendement constitutionnel qui a permis au président Ismaël Omar Guelleh de briguer un troisième mandat, selon les médias. (Guelleh a été réélu en avril 2011). Au mois de février de cette année, la police a bastonné le journaliste Abadid Hildid de La Voix de Djibouti dans la capitale avant de le maintenir en détention pendant environ 24 heures, le sommant de cesser ses reportages, ont informé les journalistes locaux.

Cela n’a rien d’étonnant, La Voix de Djibouti fait l’objet de restrictions systématiques à l’intérieur du pays et son personnel est confronté à d’énormes difficultés. Djibouti est géré comme une propriété familiale depuis l’indépendance du pays en 1977, avec une tolérance zéro envers les dissidents. Ce site d’information est géré par le frère de Houssein, Daher Ahmed Farah, chef de file de l’un des principaux partis d’opposition du pays, le Mouvement pour le renouveau démocratique (MRD). En 2008, le président Guelleh a interdit les activités du parti, l’accusant de soutenir l’Erythrée voisine dans un complot visant à envahir le pays, selon les Nations Unies. Le parti a interjeté appel de l’interdiction auprès de la Cour suprême, ont dit des journalistes locaux, et dans une résolution adoptée en 2009, le Parlement européen a exhorté le gouvernement à laisser le parti reprendre ses activités.

Comme dans de nombreuses autocraties, de rares médias indépendants comme La Voix de Djibouti ont tendance à être très critiques à l’égard du régime, faisant office de légers contrepoids pour les médias d’État. La chaîne d’information publique, la Radio Télévision de Djibouti, détient un quasi-monopole sur les fréquences radio et fonctionne comme une caisse de résonance du parti au pouvoir, diffusant machinalement les visites et rendez-vous du président. Seulement 7 pour cent des Djiboutiens utilisent Internet, selon l’Union internationale des télécommunications, et le seul fournisseur d’accès internet contrôlé par l’État assure la censure du Web, ont indiqué des journalistes locaux. En dépit des garanties constitutionnelles protégeant la liberté d’expression, les lois pénales sur la diffusion de «fausses nouvelles» et la diffamation sont utilisées pour étouffer la critique. Il n’y a presque pas d’organisations indépendantes de la société civile, ont dit des journalistes locaux, et la quasi-totalité des emplois étant contrôlés par l’État, les critiques à l’égard du parti au pouvoir pourraient compromettre toute possibilité d’emploi.

Et pourtant, vous n’entendrez presque jamais la moindre protestation de la part de la communauté internationale. Le consulat des États-Unis a  effectivement rendu visite à Houssein en prison, mais celle-ci n’a pas été médiatisée, selon des journalistes locaux. Bien que Djibouti soit petit, ce pays côtier revêt une importance capitale pour le monde occidental et les autres. Le Camp Lemonnier de Djibouti, base opérationnelle du Commandement américain pour l’Afrique compte 2.000 soldats américains en plus des forces navales occasionnelles, selon des médias. Le port du pays est devenu une base centrale pour les activités de lutte contre la piraterie menées par les Américains, les Européens et par l’OTAN – son emplacement stratégique sur la mer Rouge et dans le golfe d’Aden permet de protéger certaines des voies maritimes les plus fréquentées du monde.

Houssein a une longue histoire de rédaction d’articles critiques à l’égard du régime pour La Voix de Djibouti, portant par exemple sur la détention en cours de prisonniers politiques, les pénuries d’eau chroniques, et la corruption dans la gestion par le gouvernement des feux de circulation. Malgré les arrestations répétitives, Houssein promet de continuer. «Mon arrestation rappelle que la liberté de la presse est bafouée à Djibouti», a-t-il souligné. « Je vais continuer à écrire, même si cela n’est pas sans risques, parce que le pouvoir utilise toujours la répression pour museler les dissidents», a-t-il martelé.