Dakar, le 14 février 2024 — Les autorités sénégalaises doivent identifier et demander des comptes aux policiers qui ont agressé, harcelé, aspergé de gaz lacrymogène ou détenu au moins 25 journalistes qui couvraient les manifestations contre le report des élections dans le pays, et permettre à la presse d’informer en toute sécurité et sans crainte d’intimidation, a déclaré mardi le Comité pour la protection des journalistes.
« La police sénégalaise devrait s’efforcer de protéger la presse, au lieu d’attaquer et de lancer des gaz lacrymogènes sur les journalistes pour les empêcher de couvrir les manifestations politiques », a déclaré Angela Quintal, responsable du programme Afrique du CPJ, à New York. « L’arrestation et le passage à tabac de la journaliste Absa Hane sont une indication particulièrement alarmante des mesures que la police sénégalaise semble prête à prendre pour mettre fin à une couverture médiatique qui lui déplait. »
Alors que les forces de sécurité sénégalaises tentaient de réprimer les manifestations du 9 février contre le report de l’élection présidentielle au 15 décembre, le CPJ a documenté au moins six incidents dans la capitale, Dakar, au cours desquels au moins 20 journalistes ont été agressés physiquement, brièvement détenus, visés par des tirs de gaz lacrymogènes ou harcelés d’une quelque autre façon par la police :
- Les policiers ont empoigné Absa Hane, une journaliste du site d’information privé Seneweb, puis l’ont giflée et frappée à coups de pied jusqu’à ce qu’elle perde brièvement connaissance alors qu’elle était détenue depuis environ 30 minutes dans un véhicule de police, ont déclaré au CPJ Hane et Mor Amar, un journaliste du journal privé EnQuête. Après l’incident, Hane a publié sur X un résumé de l’attaque « brutale », indiquant qu’elle connaissait le numéro d’identification d’un officier responsable et qu’elle demanderait des comptes.
Selon Amar, un autre policier l’a également frappé avec son poing et l’a insulté à plusieurs reprises en même temps, comme on peut le voir dans une vidéo enregistrée par un troisième journaliste. Les journalistes ont déclaré qu’ils étaient en train de quitter la zone, conformément aux instructions de la police, lorsque les policiers leur ont lancé des grenades lacrymogènes.
- Le journaliste français indépendant Thomas Dietrich a publié une vidéo sur les réseaux sociaux et a déclaré au CPJ qu’un policier avait lancé une grenade lacrymogène à quelques centimètres de son visage après lui avoir ordonné de quitter une manifestation.
- Un policier a lancé une grenade lacrymogène en direction d’au moins cinq journalistes qui se trouvaient dans une rue, a déclaré l’une des journalistes, Fana Cissé, au CPJ. Une vidéo publiée par le site d’information privé PressAfrik, où Cissé travaille comme reporter, montre le policier s’approchant des journalistes, lançant la grenade, et les journalistes courant pour se mettre à l’abri lorsqu’elle explose. Selon Cissé, un policier l’aurait également attrapée et lui aurait tordue le bras et, une fois dans sa voiture, l’aurait menacée de jeter une autre grenade lacrymogène dans son véhicule si elle baissait la vitre.
Un communiqué du groupe de média Leral a également décrit le policier prenant pour cible les journalistes avec des gaz lacrymogènes et a déclaré que le même officier avait également endommagé une caméra de l’un de leurs reporters en arrachant le câble de son microphone. La vidéo de PressAfrik montre le policier en train de lâcher le câble.
- Isabelle Bampoky, reporter pour le site d’information privé Adtv, a déclaré au CPJ que des policiers avaient lancé une grenade lacrymogène en direction du groupe de journalistes avec lequel elle se trouvait, et qu’elle avait explosé près de son pied. Sur une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, on voit quelqu’un l’aider à marcher après avoir inhalé le gaz lacrymogène.
- La police a lancé une grenade lacrymogène contre Sadikh Diop, caméraman pour le site d’information privé Sénégal 7, alors qu’il filmait un convoi de véhicules de la police, a déclaré au CPJ un autre journaliste de Sénégal 7, Matar Cissé. Une vidéo de l’incident filmée par Diop montre le convoi et Diop en train de parler, puis de crier après l’explosion de la cartouche.
- El Hadj Mané, caméraman de la chaîne de télévision en ligne privée Flash Info, et Amidou Sall, caméraman de Sénégal 7, ont déclaré au CPJ que la police avait tiré des gaz lacrymogènes dans leur direction, ainsi qu’en direction d’un groupe d’au moins huit autres journalistes qui faisaient une interview près d’une manifestation. Mané a ajouté qu’il s’était disloqué l’épaule droite et s’était blessé au coude droit en tombant alors qu’il essayait d’échapper aux gaz lacrymogènes.
Le CPJ a également documenté des incidents impliquant cinq autres journalistes dans les jours précédents :
- Le 5 février, des policiers ont ordonné à Ngoné Diop, reporter pour le site d’information privé Sans Limites, de s’éloigner alors qu’elle couvrait l’arrestation d’un parlementaire de l’opposition qui participait à un rassemblement interdit, a déclaré la journaliste au CPJ. Ngoné Diop a ajouté qu’elle s’était déplacée, mais que la police avait lancé une grenade lacrymogène dans sa direction, puis, après s’être rendue sur un toit voisin pour continuer à filmer, un policier l’a suivie, lui a de nouveau ordonné de partir et l’a empêchée de filmer. Une vidéo publiée par Sans Limites montre Diop alors qu’on lui ordonne de partir.
- Lors de trois incidents survenus le 4 février, des officiers de la gendarmerie ont brièvement détenu ou harcelé quatre journalistes qui couvraient les manifestations contre le report des élections annoncé la veille.
Lors d’un autre incident survenu le 9 février, des policiers ont tiré des gaz lacrymogènes dans la cour des bureaux du groupe de média Wal Fadjri, à Dakar, alors que ses employés organisaient un sit-in pour exiger le rétablissement du signal de sa chaîne Walf TV, qui avait été coupé le 4 février, selon Ayoba Faye, journaliste du groupe de média et les médias. Walf TV a repris la diffusion de ses émissions le 11 février, après une réunion entre les dirigeants du groupe de média et le président, selon un communiqué du ministère de la Communication.
Le porte-parole de la police, Mouhamed Guèye, a déclaré au CPJ qu’il ne se trouvait pas à Dakar au moment des incidents, mais que des consultations seraient bientôt organisées avec les journalistes pour leur permettre, ainsi qu’aux officiers de police, de travailler « en harmonie ».