New York, le 18 janvier 2024 – Sur fond de guerre qui dure depuis des mois, Israël est devenu pour la première fois l’un des pays qui emprisonnent le plus de journalistes au monde, avec 17 journalistes derrière les barreaux au 1er décembre 2023, selon le recensement carcéral annuel du Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Il s’agit du plus grand nombre de journalistes palestiniens en détention depuis que le CPJ a commencé à documenter les arrestations en 1992, et c’est la première fois qu’Israël occupe la sixième place du recensement. Ce classement intervient alors que plus de 80 journalistes ont été tués depuis le début de la guerre entre Israël et Gaza le 7 octobre.
À l’échelle mondiale, 320 journalistes étaient emprisonnés en lien avec leur travail au 1er décembre 2023, soit le deuxième chiffre le plus élevé depuis que le CPJ a commencé à enregistrer ces données. Le précédent record avait été établi en 2022, lorsque plus de 360 journalistes figuraient dans la base de données du CPJ. En 2023, les trois plus grandes prisons de journalistes – la Chine (44 journalistes derrière les barreaux), le Myanmar (43) et la Biélorussie (28) – détenaient plus d’un tiers (35,8 %) des journalistes incarcérés le jour du recensement. La Russie (22e) et le Vietnam (19e) complètent le top 5 des prisons de journalistes.
« Nos recherches montrent à quel point l’autoritarisme est enraciné à l’échelle mondiale, alors que les gouvernements se sont enhardis, se permettant d’éliminer les reportages critiques pour ne pas avoir de comptes à rendre au public. Pendant ce temps, la position occupée par Israël dans le recensement carcéral de 2023 du CPJ est la preuve qu’une norme démocratique fondamentale – la liberté de la presse – est en train de s’effriter, alors que le pays emploie des méthodes draconiennes pour réduire au silence les journalistes palestiniens. Cette pratique doit cesser », a déclaré Jodie Ginsberg, directrice générale du CPJ.
Le classement sans précédent d’Israël s’explique par son recours à la détention administrative en Cisjordanie occupée, qui est un type d’incarcération permettant à un commandant militaire de détenir quelqu’un sans inculpation – et de prolonger sa détention un nombre illimité de fois – au motif de l’empêcher de commettre une infraction future. La détention administrative a atteint des sommets au cours du conflit en cours, comme en attestent les milliers de Palestiniens en détention.
Dans un monde où les journalistes sont régulièrement vilipendés par les dirigeants politiques, la majorité des journalistes figurant dans le recensement font l’objet d’accusations de complot contre l’État, telles que la diffusion de fausses nouvelles et le terrorisme, en représailles à leur couverture critique. Plus de 60 journalistes à travers le monde sont détenus sans qu’aucun chef d’inculpation n’ait été communiqué. Les détentions provisoires prolongées et les traitements cruels sont monnaie courante, tandis que certains gouvernements, comme en Russie et en Éthiopie, persécutent même les journalistes au-delà des frontières. Au Vietnam, en Égypte et dans d’autres pays, même après leur libération, les journalistes continuent d‘être soumis à des interdictions de voyager, à d’autres restrictions de mouvement et à des mesures qui entravent de fait leur liberté.
« Aux quatre coins du monde, nous sommes arrivés à un moment critique. Nous devons mettre un terme à l’instrumentalisation des lois qui réduisent les journalistes au silence et veiller à ce qu’ils puissent informer en toute liberté. Au cours d’une année électorale exceptionnelle, où des milliards de personnes se rendent aux urnes à travers le monde, agir autrement ferait du tort à la démocratie et nous nuirait à tous », a déclaré Ginsberg.
L’Asie reste la région qui compte le plus grand nombre de journalistes emprisonnés, selon le recensement carcéral de 2023. Outre les principales prisons – à savoir la Chine, le Myanmar et le Vietnam – des journalistes étaient également incarcérés en Inde, en Afghanistan et aux Philippines. Les élections en Inde prévues en avril 2024 devraient être un test pour la liberté de la presse dans un pays où les accusations de terrorisme, les lois dangereuses et les descentes de police régulières dans les salles de rédaction sont devenues la norme.
Du fait de la censure omniprésente en Chine, qui figure depuis des années parmi les plus grandes prisons de journalistes au monde, il est notoirement difficile de déterminer le nombre exact de journalistes emprisonnés dans ce pays. Néanmoins, le pays continue d’exercer son régime de censure en procédant à des arrestations à Hong Kong suite à la promulgation par Pékin d’une loi implacable en matière de sécurité nationale sur fond de manifestations pro-démocratie de masse. Jimmy Lai, fondateur du journal pro-démocratie Apple Daily, aujourd’hui fermé, a passé près de 1 100 jours derrière les barreaux avant que son procès pour collusion avec l’étranger, qui est en cours, ne s’ouvre enfin.
En Europe et en Asie centrale, la Biélorussie et la Russie – alliées dans la guerre menée par Moscou contre l’Ukraine – détiennent un nombre disproportionné de journalistes derrière les barreaux. Depuis 2020, les autorités biélorusses emprisonnent de plus en plus de journalistes en raison de leur travail, suite à des manifestations de masse contre la réélection contestée du président biélorusse Alexandre Loukachenko. Plus de 70 % des journalistes détenus en Biélorussie font l’objet d’accusations de complot contre l’État, et près de la moitié d’entre eux purgent des peines de cinq ans ou plus.
La Russie est devenue experte en matière d’emprisonnement de reporters étrangers, 12 des 17 journalistes étrangers emprisonnés dans le monde étant détenus par la Russie, parmi lesquels Evan Gershkovich et Alsu Kurmasheva, tous deux citoyens américains en détention provisoire. La répression transnationale de Moscou s’est également traduite par une série de mandats d’arrêt lancés contre des journalistes russes vivant dans d’autres pays.
En Afrique subsaharienne, le nombre de journalistes emprisonnés au 1er décembre est passé de 31 en 2022 à 47, l’Érythrée, l’Éthiopie et le Cameroun se classant parmi les trois plus grandes prisons de la région. Parmi les personnes détenues en Érythrée figurent certains des cas les plus anciennement connus de journalistes emprisonnés dans le monde, dont aucun n’a jamais été inculpé. L’Éthiopie, qui a contraint un journaliste à rentrer d’exil à Djibouti pour qu’il réponde d’accusations de terrorisme, détenait huit journalistes au 1er décembre, alors que la liberté de la presse reste menacée malgré l’accord de paix de 2022 qui a mis fin à deux ans de guerre civile.
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les chiffres de l’Iran ont fortement baissé par rapport à 2022, année où le pays a été désigné comme la plus grande prison de journalistes suite à la répression de la couverture des manifestations nationales menées par des femmes et déclenchées par la mort de Mahsa Amini, 22 ans. Bon nombre des 62 journalistes figurant dans le recensement de 2022 ont depuis été libérés sous caution dans l’attente d’une inculpation ou d’une condamnation, ce qui souligne la répression persistante des médias par l’Iran.
L’Égypte, qui figure régulièrement parmi les pays qui emprisonnent le plus de journalistes au monde, occupe avec la Turquie le neuvième rang pour le nombre le plus élevé de journalistes emprisonnés dans le monde – 13 – dans le recensement de 2023. Depuis quelques années, l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Maroc et le Kurdistan irakien recourent de plus en plus à des accusations de diffusion de fausses nouvelles, de terrorisme et de complot contre l’État à l’encontre des journalistes.
Bien que peu de journalistes aient été emprisonnés en Amérique latine et dans les Caraïbes à la date du recensement – un au Guatemala, un au Nicaragua et un à Cuba respectivement – les menaces qui pèsent contre les médias continuent d’entraver la liberté de la presse. Dans ces trois pays, de nombreux journalistes ont déjà été contraints à l’exil, notamment suite à une expulsion massive du Nicaragua.
Au Guatemala, José Rubén Zamora reste en prison même après qu’un tribunal a annulé sa condamnation pour blanchiment d’argent en juin 2023 et ordonné un nouveau procès, prévu pour février 2024. Zamora, qui a été contraint de changer d’avocat à huit reprises depuis son incarcération en juillet 2022, a été placé à l’isolement et a subi de mauvais traitements tout au long de son incarcération.
Pour faire face à ces défis, le CPJ apporte aux journalistes un soutien financier visant à couvrir les frais juridiques, ainsi que des ressources destinées à aider les journalistes et les salles de rédaction à mieux se préparer ou à atténuer les menaces de harcèlement et de poursuites judiciaires. L’organisation déploie également des efforts concertés pour plaider en faveur de la libération de journalistes tels que ceux mentionnés précédemment, dont les cas pourraient inverser ou endiguer la vague de criminalisation.
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À propos du Comité pour la protection des journalistes
Le Comité pour la protection des journalistes est une organisation indépendante à but non lucratif qui promeut la liberté de la presse dans le monde entier. Nous défendons le droit des journalistes à informer en toute sécurité et sans crainte de représailles.
Le rapport du CPJ est disponible sur cpj.org en arabe, anglais, espagnol, français, portugais, russe, kurde, chinois et hébreu.
Le recensement carcéral du CPJ est un aperçu instantané des personnes incarcérées au 1er décembre 2023 à 00h01. Il ne répertorie pas les nombreux journalistes emprisonnés et libérés au cours de l’année ; des informations concernant ces affaires sont disponibles sur le site http://cpj.org. Les données du CPJ comprennent des informations détaillées sur chaque journaliste emprisonné dans chaque pays répertorié, y compris les circonstances de leur incarcération, les procédures judiciaires et les actions de plaidoyer mises en place pour chaque cas particulier.
Personne-ressource pour les médias : [email protected]