Comment robuste sont les garde-fous institutionnels qui sous-tendent la vision de Nelson Mandela d’une presse sud-africaine forte et indépendante? Par Sue Valentine
En 2002, lorsque l’Institut sud-africain pour la promotion du journalisme fêtait son 10e anniversaire, Anton Harber, co-fondateur et ancien directeur de publication du journal Weekly Mail, s’apprêtait à recevoir un invité de marque, en l’occurrence le défunt Nelson Mandela.
Lorsque Harber s’approcha, Mandela alors âgé de 83 ans avait l’air perplexe, comme s’il essayait de se rappeler le visage de Harber qu’il avait vu lors d’une précédente réunion. Le directeur de publication du Weekly Mail tendit la main et se présenta. « M. Mandela, je suis Anton Harber », a-t-il dit. « Ah, vous vous souvenez de moi », s’écria Mandela, affichant son large sourire caractéristique.
Nombre d’anecdotes témoignent de la grâce et du charme de Mandela, dont il a si bien su faire usage pendant la transition politique sous haute tension de l’Afrique du Sud en 1994 et au cours de son unique mandat de cinq ans comme premier président démocratiquement élu de l’Afrique du Sud. Mandela est décédé le 5 décembre 2013. Il a légué à son pays une presse libre et dynamique, un des fleurons de son riche héritage.
Aujourd’hui, près de 20 ans plus tard, la liberté de la presse en Afrique du Sud reste ancrée dans la constitution, jouit d’une protection de l’appareil judiciaire, et est soutenue par une société civile dynamique à une période où le pays se prépare à sa cinquième élection démocratique en 2014.
Pourtant, c’est précisément l’exposition médiatique implacable de la corruption, de la médiocrité des services publics, et de la pauvreté déstabilisante qui donne du fil à retordre au Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir depuis que l’apartheid a cédé la place à la règle de la majorité.
Même lorsque Mandela défendait la liberté de la presse, les défis de la gouvernance d’une société hargneuse et toujours polarisée lui ont donné à réfléchir. Cette tension entre les idéaux et les réalités de la gestion du pouvoir est devenue encore plus prononcée à une période où l’ANC exerce un monopole continu sur le pouvoir.
Aujourd’hui, sous l’administration du président Jacob Zuma, le discours politique critique à l’égard des médias d’information a durci, le culte du secret est en plein essor, et Zuma lui-même, avant de prendre le pouvoir et en tant que président, n’a pas tardé à menacer les journaux, chroniqueurs et caricaturistes de poursuites judiciaires. Un projet de loi en cours d’examen au Parlement pourrait restreindre les libertés de la presse sud-africaine, qui reste la plus libre d’Afrique. Et, dans certains milieux, les promoteurs des «bonnes nouvelles» apparaissent avec leur discours en faveur des reportages positifs pour contrer la litanie des informations sur les échecs du gouvernement, la corruption et les politiciens qui servent leurs propres intérêts.
La question est de savoir quel est le degré d’enracinement de cette démocratie qui a vu le jour il y a deux décennies et le degré de solidité des pilotis institutionnels qui soutiennent la vision de Mandela, celle d’une presse forte et indépendante.
Selon Afrobaromètre, un groupe de recherche indépendant qui mesure les sentiments sociaux, politiques et économiques dans les pays africains, les citoyens sud-africains expriment une « demande accrue de démocratie ». Mais, lorsqu’il s’agit de la liberté des médias, les résultats sont plutôt en demi-teinte. Une forte majorité de 70 pour cent pense que les médias devraient continuer à enquêter sur la corruption, une hausse par rapport à 2008 où seulement la moitié de la population était du même avis. Cependant, l’étude a révélé que, bien que 60 pour cent des Sud-Africains estiment que les médias ont le droit de publier l’actualité en toute indépendance de tout contrôle du gouvernement, le pourcentage est en baisse par rapport à 2008 quand 80 pour cent de personnes étaient de cet avis. Le nombre de personnes qui estiment que le gouvernement a le droit d’empêcher les médias de publier des choses qui « pourraient nuire à la société » a doublé, passant de 16 à 33 pour cent .
« Les Sud- Africains peuvent ne pas vouloir prendre des risques si le contrôle de l’information leur est présenté comme une chose positive », a déclaré Paul Graham, conseiller à Afrobaromètre. La coalition de la société civile Right2Know créée en 2010 a été efficace, mais c’est une « campagne élitiste », a déclaré Graham. « Il ne fait aucun doute que nous sommes suspendus entre la Russie et la Chine, et le Brésil et l’Inde », faisant allusion à l’adhésion de l’Afrique du Sud au groupe des pays émergents appelés BRICS. « Ce n’est pas pour dire que nous ne sommes pas libres. Nous sommes logés à une bien meilleure enseigne qu’auparavant, mais nous pourrions devenir plus autocratiques et restreindre nos libertés civiles plus que nous l’espérons », a-t-il ajouté.
Dans la période de l’apartheid, le Parti national au pouvoir s’est servi de la haineuse Loi sur la sécurité intérieure de 1982, dont les sources remontent à la législation des années 1950, pour étouffer la liberté d’expression et d’association. Cette loi a permis d’interdire des journaux, d’emprisonner des journalistes et de censurer des informations considérées comme étant une « atteinte à la sécurité de l’Etat ou à l’ordre public ».
L’ensemble des médias de grande diffusion appartenait à quatre conglomérats, représentant les sociétés minières et des intérêts commerciaux. Tandis que certains journalistes et rédacteurs en chef de ces organes de presse étaient opposés à l’apartheid, les propriétaires quant à eux ont soutenu le statu quo, soit activement ou passivement. Ils contrôlaient également leurs propres réseaux d’impression et de distribution. L’audiovisuel était entièrement contrôlé par l’État; le groupe public South African Broadcasting Corporation (SABC) exerçait un monopole sur les médias audiovisuels et a servi comme un outil de propagande du gouvernement, émettant en 11 langues.
Dans les années 1980, lorsque la minorité blanche était au pouvoir, les médias « alternatifs » tels que Weekly Mail, New Nation, South et Vrye Weekblad, ont pris les devants en dénonçant la brutalité de l’apartheid. La plupart de ces organes de presse comptaient sur le soutien de bailleurs de fonds internationaux.
A l’approche des premières élections démocratiques du pays en 1994, Mandela, dans un de ses discours les plus fréquemment cités – déclara à l’Institut international de la presse au Cap :
Une presse critique, indépendante et d’investigation est la pierre angulaire de toute démocratie. La presse doit être libre de toute ingérence de l’État. Elle doit avoir la force économique pour résister aux flatteries des autorités gouvernementales. Elle doit avoir suffisamment de détachement par rapport aux intérêts pour être audacieuse et curieuse sans crainte ni favoritisme. … Seule une telle presse libre peut tempérer le désir d’un gouvernement d’accaparer le pouvoir au détriment du citoyen. … Le Congrès national africain n’a pas à craindre la critique. Je peux vous le promettre, nous ne fléchirons pas sous l’étroite surveillance. Nous considérons que ces critiques ne peuvent que nous aider à grandir, en attirant l’attention sur nos actions et omissions qui ne sont pas à la hauteur des attentes et des valeurs démocratiques de notre peuple auxquelles nous souscrivons.
Cependant, Mandela n’a pas toujours soutenu la liberté des médias. En 1996, sa critique, à l’encontre des journalistes et éditeurs noirs qu’il considérait comme déloyaux, était un signal d’alarme aux yeux des défenseurs de la liberté de la presse. En juin 1997, Mandela a rencontré les membres du Forum national des éditeurs d’Afrique du Sud dans une impasse tendue. Selon des extraits de l’échange publiés dans le magazine Rhodes Journalism Review, Mandela a allégué que les journalistes n’étaient pas libres dans leurs écrits parce que pour gagner leur vie, ils devaient « faire plaisir à leurs éditeurs blancs. » Mandela s’est également plaint que les éditeurs « supprimaient » les droits de réponses de l’ANC suite aux articles de presse.
Le rédacteur en chef d’alors du Sowetan, Mike Siluma, s’est interrogé sur l’insistance de Mandela sur la race, en faisant valoir que l’accent devrait être mis sur le rôle des médias dans une démocratie. « Vous pouvez vraiment changer la couleur des patrons de presse, mais les publications ne suivront pas automatiquement les mêmes opinions que le gouvernement, car il y aura toujours des désaccords, comme il devrait y en avoir, autant que de besoin. Nous nous écartons de l’essentiel lorsque nous sommes obsédés par l’aspect racial », a-t-il écrit dans le magazine Rhodes Journalism Review.
Pourtant, les deux successeurs de Mandela se sont constamment rebiffé contre la presse privée, arguant que les journaux du pays en particulier font un traitement peu objectif de l’actualité au détriment de l’ANC.
Au milieu des années 1990, avant son élection, Thabo Mbeki accusait la presse d’ « avoir tendance à chercher des crises … fautes et erreurs ». Selon Mark Gevisser, biographe de Mbeki, « En septembre 1995, Mbeki qualifiait toute critique des médias à l’encontre de l’ANC comme raciste ».
Après avoir été élu président en 1999, Mbeki a initié en 2001 une lettre hebdomadaire en ligne intitulée ANC Today pour contrer ce qu’il percevait comme des médias hostiles. « Mbeki avait un effet dissuasif grave sur les médias du fait qu’il jouait la carte raciale », a déclaré Gevisser. « Il a attaqué ses détracteurs – noirs et blancs – et les a diabolisés, taxant ses détracteurs noirs d’ « Oncles Tom ».
Ce n’est qu’en fin 2007, lorsque Zuma a succédé à Mbeki à la tête de l’ANC, que l’organisation a adopté une résolution pour se pencher sur l’éventuelle création d’un Tribunal d’appel des médias. Le discours a continué à se durcir : un porte-parole de l’ANC, Jackson Mthembu, a déclaré aux journalistes en juillet 2010 qu’ils méritaient d’être punis s’ils étaient reconnus coupables par un tribunal des médias. « Si vous devez aller en prison, soit », a déclaré Mthembu. «Si vous devez payer des millions pour diffamation, soit. Si les journalistes doivent être licenciés parce qu’ils ne contribuent pas à l’édification de l’Afrique du Sud que nous voulons, soit », a-t-il martelé.
Un document de travail élaboré par l’ANC en septembre 2010 disait qu’un bref survol de la presse écrite « révèle un degré étonnant de malhonnêteté, de manque d’intégrité professionnelle et d’indépendance », soulignant un « conglomérat croissant de la propriété et une homogénéisation des contenus ».
En 2011, alors que les membres de l’ANC appelaient de plus en plus à la création d’un tribunal des médias par le Parlement, les patrons de presse conjointement avec le Forum national des éditeurs d’Afrique du Sud ont mis en place une Commission de la liberté de la presse, comprenant neuf membres n’appartenant pas au corps de la presse et présidée par un juge du tribunal constitutionnel à la retraite.
Le rapport d’avril 2012 de la commission a conclu qu’un mécanisme de régulation indépendant serait mieux pour la liberté de la presse. Il a souligné que le Conseil de la presse de l’Afrique du Sud devrait être composé en majorité de représentants du secteur public, que les normes éthiques devraient être renforcées et soutenues par une hiérarchie de sanctions, et que l’accès du public au conseil devraient être amélioré. L’ANC s’est félicité de ce rapport, mais il n’a pas écarté la possibilité d’une enquête parlementaire sur la presse écrite.
Malgré les critiques de l’ANC à l’encontre de la presse, seul Zuma, avant et après son élection et, depuis, a intenté des actions en justice contre les médias. Entre 2006 et 2010, Zuma a intenté une action en justice dans le cadre de 15 affaires – poursuivant des journaux, une station de radio, des caricaturistes, un chroniqueur, des éditorialistes et d’autres journalistes.
En octobre 2012, quelques jours avant que l’affaire ne soit portée devant la justice, Zuma a retiré l’une de ses plaintes qui ont le plus défrayé la chronique- un procès pour diffamation et une demande de 500.000 dollars américains de dommages et intérêts contre le caricaturiste Jonathan Shapiro, alias « Zapiro ». En 2008, Zapiro a publié une caricature de Zuma, s’apprêtant à violer une femme représentant la justice. La femme était maintenue par terre par ses principaux alliés qui ont l’ont aidé à renverser Mbeki à la tête de l’ANC lors du congrès du parti en 2007. (En 2006, Zuma avait été accusé de viol et acquitté).
En mai 2013, Zuma avait abandonné toutes les poursuites en instance contre les médias. Son porte-parole a déclaré que, compte tenu des défis auxquels faisait face le pays, Zuma avait décidé qu’il « devait se montrer indulgent ». Des médias ont souligné que la décision pourrait également avoir été due au fait que l’équipe juridique de Zuma n’ait pas soumis dans les délais les documents juridiques concernant six plaintes contre des médias et des individus.
Par ailleurs, le pouvoir judiciaire a constamment défendu la liberté des médias alors que des politiciens et de grandes entreprises ont eu recours aux tribunaux civils pour empêcher la publication d’informations ou poursuivre des organes de presse. Toutefois, l’approbation du projet de loi sur la protection des informations d’État par le Parlement en avril 2013 reste la menace la plus tangible à la liberté de la presse.
Face à une résistance féroce, le « projet de loi sur le secret », comme il était surnommé par ses adversaires, a été considérablement amélioré depuis qu’il a été introduit en 2008. Mais dans sa forme actuelle, cette loi continue de constituer une menace contre le rôle de veille des journalistes avec des peines de prison allant jusqu’à 25 ans– sans possibilité d’évoquer la défense de l’intérêt public–pour toute personne qui divulgue des informations classifiées « dans le but de révéler la corruption ou d’autres activités criminelles » .
À la mi- septembre 2013, près de six mois après l’approbation du projet de loi par le Parlement, Zuma a annoncé que le texte « n’était pas constitutionnellement acceptable » avant de le renvoyer au Parlement. Un comité ad hoc a fait une révision superficielle, en apportant des modifications techniques mineures, mais les membres de l’ANC majoritaires dans le comité ont refusé d’examiner le projet de loi dans ses grandes lignes. En novembre, le Parlement a adopté cette version du projet de loi et l’a renvoyé à Zuma pour qu’il le promulgue. Le président pourrait le signer ou le soumettre à la Cour constitutionnelle pour examen. Si le projet de loi est signé, un éventail d’organisations est prêt à saisir les tribunaux.
« Nous pouvons gagner cette bataille, mais le plus grand danger reste la culture dominante au sein de l’ANC qui est contre la liberté d’expression et l’ouverture » a dit au CPJ Mondli Makhanya, ancien rédacteur en chef du Sunday Times et commentateur politique. Il a souligné que les dirigeants actuels de l’ANC n’inculquent pas les valeurs de la Constitution à ses membres, mais plutôt le contraire, décrivant les médias comme l’opposition, même « l’ennemi ».
Quand bien même le projet de loi sur la Protection des Informations d’État est né de la nécessité légitime de réviser une loi datant de l’époque de l’apartheid, il n’en demeure pas moins que cette urgence a fait l’objet d’une application sélective. En réponse aux révélations de la presse de septembre 2012 sur la modernisation de la résidence de Zuma sise à Nkandla au coût de 25 millions de dollars américains aux frais des contribuables, le gouvernement s’est empressé de brandir une célèbre loi sur la sécurité nationale, The National Key Points Act de 1980[La loi sur les Points Stratégiques Nationaux], afin d’empêcher l’accès du public à la propriété. La déclaration de la propriété de Zuma comme faisant partie des « Points Stratégiques » a entravé toute enquête journalistique sur les lieux.
Jovial Rantao, rédacteur en chef du Sunday Tribune, a déclaré que tandis que les politiciens prétendent respecter la liberté d’expression et des médias, une vigilance constante est nécessaire en raison des lois telles que « National Key Points Act » et le projet de loi sur le secret de l’information ainsi qu’une tentative avortée d’introduire la présélection des publications des journaux par le biais d’un amendement à la Loi appelée « Film and Publications Act ». «Nous nous sommes opposés à l’ANC pour la majeure partie de la dernière décennie. Nous avons des garanties écrites, mais nous n’osons pas nous endormir sur nos lauriers. Nous devons faire en sorte qu’aucune de ces lois hostiles n’échappe à notre vigilance », a déclaré Rantao au CPJ.
Rantao, qui est également président du Forum des éditeurs d’Afrique australe, a souligné que tandis que les journalistes sud-africains sont confrontés à des défis, ils sont « très différents » de ceux des autres pays de la région où « nos collègues font face à des situations très graves ».
Après deux décennies de pouvoir de l’ANC, le parti a de « bonnes raisons » d’accuser la presse de ne pas évoluer, selon Libby Lloyd, ancienne journaliste sud-africaine et maintenant chercheure sur la liberté d’expression et la politique des médias. Elle cite les auditions parlementaires de 2011 sur la presse écrite révélant que 14 pour cent des médias sont détenus par des noirs, tandis que la représentation des femmes au niveau du conseil d’administration était de 4,4 pour cent. Cependant, la population des rédactions a changé : 65 pour cent des rédacteurs en chef des publications grand public étaient noirs en 2011, contre 7 pour cent en 1994, selon les mêmes auditions parlementaires.
Les bailleurs de fonds qui appuyaient les journaux indépendants ont réalloué leurs fonds après 1994. Seul le Weekly Mail a survécu au cours d’une décennie de démocratie en Afrique du Sud. L’appui du Guardian de Londres dans les années 1990 a permis de le rebaptiser Mail & Guardian. Les plus petits organes de presse, notamment les publications régionales s’efforcent maintenant de rivaliser avec les conglomérats.
Le changement le plus spectaculaire dans le paysage médiatique en Afrique du Sud depuis l’apartheid s’est produit à travers la re-réglementation des médias. Le paysage audiovisuel actuel, décrit dans un rapport de Lloyd, comprend environ 200 stations de radio communautaires, cinq chaînes de télévision communautaires, 20 stations de radio commerciales, une chaîne de télévision privée nationale, et une télévision numérique payante. La SABC reste le plus grand groupe de presse dans le pays avec comme mission la diffusion d’actualités, l’éducation et le divertissement pour tous les Sud-Africains, mais elle a été en proie à la mauvaise gestion financière et à l’ingérence de l’exécutif dans les pratiques éditoriales.
Un fait marquant récent dans le paysage médiatique en Afrique du Sud a été l’émergence de deux organes de presse privés appartenant à des investisseurs indiens ayant des liens étroits avec Zuma et un engagement déclaré de « célébrer » les réalisations de l’Afrique du Sud. Les intérêts commerciaux de frères Ajay, Atul, et Rajesh Gupta, qui ont émigré en Afrique du Sud dans les années 1990, selon des médias, sont répartis entre deux sociétés mères opérant dans le secteur de l’information et de la technologie et dans l’industrie minière. La famille vit dans une grande propriété dans une banlieue de Johannesburg dont la taille a fait l’objet de controverse. Le déballage sur les intérêts commerciaux de la famille s’est avéré difficile en raison d’un réseau complexe de fonds réciproques et d’administrateurs, selon les médias.
La famille Gupta a lancé le journal New Age en 2010. Ils sont copropriétaires d’Africa News Network 7, une chaîne de télévision payante lancée en août 2013. Zuma a visité les locaux de la chaîne quelques jours avant sa première diffusion. Selon les médias, un des nouveaux animateurs d’émissions-débats sur ANN7, Jimmy Manyi, ancien propagandiste du gouvernement, a déclaré : « dans ce pays les gens en ont plus qu’assez de la presse négative », et la chaine est engagée à diffuser l’information positive et à promouvoir le patriotisme.
Chef des opérations par intérim de la SABC, Hlaudi Motsoeneng, a provoqué la dérision lorsqu’il fit écho à ce sentiment en août, en déclarant à un journal que 70 pour cent du contenu de l’information sur l’Afrique du Sud diffusée par la chaîne devrait se concentrer sur «l’information positive ». En septembre, lors d’une visite au Cap, Zuma a dit aux étudiants en journalisme que les propriétaires d’organes de presse ont la responsabilité de diffuser des « informations équilibrées » sur le pays et ne doivent pas se limiter qu’aux informations négatives.
« Chaque fois que les médias révèlent un autre scandale, nous assistons à des appels pressants au patriotisme », a déclaré au CPJ Ferial Haffajee, éditrice chez le journal City Press. À son avis, le meilleur signe du patriotisme c’est d’être un « patriote critique », mais sans verser dans le chauvinisme et le nationalisme. « Etre patriote, c’est aussi dénoncer la corruption, montrer l’impact des déchets sur l’environnement et dénoncer la mauvaise gouvernance », a-t-elle dit.
« Des informations négatives pour le gouvernement ne sont pas nécessairement mauvaises pour le pays. Tout dépend de la façon dont vous percevez cette information », a déclaré au CPJ Janet Heard, Chef du desk actu et rédactrice en chef adjointe au Cape Times. « Dénoncer la corruption et offrir de meilleurs services peut être considéré comme de l’information positive », a-t-elle souligné.
Heard a déclaré que la liberté de la presse en Afrique du Sud a été acquise de haute lutte et est jalousement protégée, mais la posture du gouvernement constitue une « sonnette d’alarme ». « Le ton accusateur du gouvernement devient de plus en plus strident, le projet de loi sur les documents secrets montre une volonté de réduire au silence et de museler la presse, » a-t-elle dit.
« Tout ce que nous pouvons faire, c’est de continuer ce que nous avons fait et nous efforcer d’aller encore plus loin», a déclaré Makhanya, ancien rédacteur en chef du Sunday Times, soulignant les solides bases institutionnelles du pays et le fait que les tribunaux aient non seulement tranché en faveur des médias, mais qu’ils aient également toujours interprété la loi à la lumière de la Constitution et de la liberté d’expression . « Il y aura un moment où l’ANC ne sera plus au pouvoir et nous devons œuvrer à ce que la liberté des médias soit la norme pour tout autre parti qui viendra au pouvoir après l’ANC, » a-t-il dit.
Pour le moment, les médias sud-africains restent dynamiques et résolument libres, sous la protection d’un parapluie jurisprudentiel de plus en plus important et une société civile vigilante. Des groupes comme Right2Know, qui ont vu le jour en réponse directe à la mise en place du projet de loi sur les documents secrets, continuent de mutualiser les efforts pour créer une « société démocratique et ouverte ». En dépit des appels des politiques en faveur d’une presse patriotique et respectueuse qui devrait promouvoir les informations sur les évolutions positives, la plupart des organes de presse exercent de façon audacieusement libre, et le journalisme d’investigation est en plein essor.
Plus d’une décennie après sa poignée de main avec Mandela, Anton Harber, aujourd’hui à la tête de l’école de journalisme à l’Université de Witwatersrand, a fait observer dans une colonne du journal Business Day en décembre 2011 : « Tout cela concourt à une démocratie de contestation et très expressive. Il y en a qui craignent ce caractère bruyant, et qui préfèreraient un accord calme et le consentement silencieux. Mais les expériences de l’Afrique postcoloniale nous enseignent que ce n’est pas l’argument et la contestation que nous devons craindre, mais son absence. Cette voix rauque et parfois discordante témoigne d’une jeune démocratie saine et en pleine activité ».
« Nelson Mandela nous a appris ce qu’est une société libre. Même Mandela a été contesté par les médias, mais il est devenu l’un de nos plus ardents défenseurs. Nous avons créé cet état de liberté de la presse pour nous-mêmes, et maintenant il nous incombe de le défendre. Nous devons faire notre boulot sans aucune crainte » a déclaré Makhanya.
Sue Valentine, coordonnatrice du programme Afrique du CPJ, a travaillé comme journaliste de presse écrite et de radio en Afrique du Sud à la fin des années 1980, ainsi qu’au journal The Star à Johannesburg. Elle a aussi été Productrice exécutive d’une émission quotidienne d’actualité sur la SABC, la chaîne de radiotélévision publique sud-africaine.