Le 16 avril 2013
Son Excellence, Pierre Nkurunziza
Président de la République du Burundi
Palais de la République
Bujumbura, Burundi
Par Courriel: [email protected]
Cher Monsieur le Président Nkurunziza,
Nous vous écrivons pour attirer votre attention sur des amendements portant modification de la loi n°1/025 sur la presse au Burundi qui sont contraires à la constitution. Ces amendements ont été adoptés par l’Assemblée nationale du Burundi le 3 avril courant. Ce projet de loi sera examiné par le Sénat lors de sa prochaine audience et s’il est adopté, vous sera bientôt soumis pour ratification. Nous vous exhortons à réaffirmer votre engagement à la liberté de la presse en rejetant toute mesure qui empêche la presse de veiller sur l’atteinte des objectifs de développement et d’informer les citoyens sur les questions d’intérêt public, y compris la corruption et la sécurité.
Votre Excellence, nous estimons que ce projet de loi, sous sa forme actuelle, est une atteinte à la Constitution du Burundi, qui pourtant garantit la liberté d’expression. Le Burundi est également signataire de la Charte africaine des droits de l ‘homme et des peuples, qui donne à ses citoyens le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées comme consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cependant, ces principes pourraient être strictement restreints par des amendements qui accorderaient au gouvernement des pouvoirs étendus pour restreindre la couverture de l’actualité et forcer les journalistes à révéler leurs sources.
Pour soutenir la démocratie et la bonne gouvernance au Burundi, la presse doit avoir la liberté de rendre compte de l’actualité, sans crainte d’intimidation, même sur des sujets que le gouvernement veut tenir secrets. Nous croyons que certains articles en particulier violent les normes constitutionnelles du Burundi ainsi que les normes internationales de la liberté d’expression:
L’Article 16 contraint les journalistes à révéler leurs sources si le gouvernement estime que les informations sont susceptibles de constituer une menace à l’ordre public, la sécurité nationale ou «l’intégrité morale et physique d’une ou plusieurs personnes»–des termes vagues et ambigus. Cet article enverrait à tout citoyen, qui voudra par exemple dénoncer la corruption ou exprimer un point de vue différent à travers les médias, un avertissement dissuasif que son identité ne pourra pas être protégée.
L’Article 18 confère à l’État le pouvoir illimité de supprimer toute information qu’il juge préjudiciable sur la base de termes vagues et ambigus tels que la sécurité nationale, la sécurité publique, la morale, l’économie nationale, etc.
En outre, sous l’Article 19, un journaliste ne peut invoquer l’’intérêt public pour justifier la publication d’informations sur entre autres, la sécurité nationale, la sécurité publique, l’économie, et tout ce qui peut porter atteinte à l’État, au chef de l’État et aux fonctionnaires. L’État jouirai ainsi d’un total pouvoir de déterminer le type d’information que le public peut recevoir sur de tels sujets.
Selon ce projet de loi, tout journaliste faisant un reportage portant atteinte à la sécurité de l’État ou de l’économie nationale risque une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans, et des amendes exorbitantes allant jusqu’à 8 millions de francs burundais (soit plus de 5.000 dollars américains). Par ailleurs, le projet de loi permet au Conseil national de la communication (CNC) de contrôler la couverture de l’actualité en lui donnant l’autorité de délivrer la carte de presse et l’accréditation aux journalistes qui veulent couvrir des événements. Des recherches du CPJ montrent que le CNC a par le passé temporairement suspendu des médias pour des reportages critiquant le gouvernement, mais les nouvelles prérogatives prévues sont encore plus restrictives.
Votre Excellence, la promulgation de ce projet de loi saperait les avancées que le Burundi a faites en vue de favoriser l’existence d’une presse dynamique et indépendante, une condition préalable essentielle pour avoir un électorat informé et instaurer une démocratie vivante. En vue de renforcer le développement et de faire respecter les droits de l’homme au Burundi, nous vous demandons de rejeter toute tentative d’adoption de ce projet de loi dans sa forme actuelle.
Merci de l’attention que vous prêtez à ces questions très importantes. Nous attendons votre réponse.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments distingués.
Joël Simon
Directeur Exécutif
CPJ
Ampliations:
S.E.Thérence Sinunguruza, Premier Vice-président du Burundi ;
M. Gabriel Ntisezerana, Président du Sénat du Burundi
M. Pie Ntavyohanyuma, Président de l’Assemblée nationale du Burundi ;
M. Eduard Minani, Ministre de la Justice du Burundi ;
M. Leocadie Nihazi, Ministre de l’Information du Burundi ;
M. Parfait Onanga-Anyanga, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations-Unies au Burundi ;
S.E. Pamela J. H. Slutz, Ambassadeur des États-Unis d’Amérique au Burundi ;
S.E. Jean Lamy, Ambassadeur de la France au Burundi ;
S.E. Marc Gedopt, Ambassadeur de la Belgique au Burundi ;
S.E. Jolke Oppewal, Ambassadeur des Pays-Bas au Burundi ;
M. Stéphane De Loecker, Chef de la Délégation de l’Union européenne au Burundi ;
M. Alexandre Niyungeko, Président de l’Union burundaise des journalistes ;
Mme Denise Mugugu, Présidente de la Maison de la presse ;
M. Pacifique Nininahazwe, Délégation générale du Forum pour le renforcement de la société civile.