New York, le 24 mai 2011–Le nouveau gouvernement du président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, qui a récemment prêté serment, doit ouvrir une enquête sérieuse sur des allégations de harcèlement de journalistes, y compris le meurtre d’un journaliste, par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Les FRCI avaient soutenu M. Ouattara dans son bras de fer contre son rival politique, Laurent Gbagbo.
Le président Ouattara a officiellement prêté serment samedi dernier, suite à une sanglante lutte pour le pouvoir dans cet État de l’Afrique de l’Ouest. Ce bras de fer a commencé lorsque le président destitué, M. Gbagbo, a contesté les résultats des élections présidentielles de novembre 2010, approuvées par l’ONU, qui avaient déclaré M. Ouattara vainqueur. Dans une lettre adressée au président Ouattara au début de ce mois, le CPJ a demandé au nouveau président ivoirien de consolider la liberté de la presse et de tenir pour responsables tous les auteurs d’abus contre la presse, comme il l’avait maintes fois promis dans des déclarations publiques ces dernières semaines.
Cependant, les abus contre les journalistes se poursuivent sans relâche. Au cours du week-end dernier, le Comité ivoirien pour la protection des journalistes (CIPJ) a signalé la découverte du corps criblé de balles du rédacteur en chef adjoint de Radio Yopougon, Lago Sylvain Gagneto. Le corps sans vie de ce dernier, qui était âgé de 42 ans, a été trouvé parmi des dizaines de corps enterrés dans des charniers à Yopougon, le plus grand quartier d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Le CIPJ a déclaré au CPJ que le corps de ce journaliste a été identifié la semaine dernière.
Le moment et les circonstances de l’assassinat de M. Gagneto ne sont pas clairs. Un membre de sa famille a déclaré avoir été témoin de son assassinat et affirmé à des journalistes locaux qu’il a été abattu par des éléments des FRCI lorsqu’il fuyait Yopougon avec sa famille. Certains estiment que ce journaliste a été tué tout simplement pour sa profession et plus particulièrement parce que son organe de presse était sous l’autorité du maire de Yopougon, un élu du Front Populaire Ivoirien de Gbagbo. Gagneto était aussi Bété (l’ethnie de M. Gbagbo).
Après la prise de Yopougon au début de ce mois aux dépens des forces pro-Gbagbo, les combattants des FRCI ont pillé puis incendié Radio Yopougon, une station communautaire, forçant ainsi son personnel à entrer dans la clandestinité, selon des journalistes locaux. Les FRCI occuperaient toujours les locaux de ladite station. La rédactrice en chef de Radio Yopougon, Paule-Benedicte Tagro Guyemane, se tient actuellement en cachette, a-t-elle confié au CPJ.
Un porte-parole de ministère de l’Intérieur, le commissaire de police Koui Bernard, a déclaré ce lundi au CPJ qu’il n’était pas au courant de ces allégations, demandant ainsi du temps pour mener des enquêtes.
« Nous pleurons la mort de Lago Sylvain Gagneto et présentons nos sincères condoléances à sa famille et ses amis. Nous condamnons également la destruction de Radio Yopougon », a déclaré Mohamed Keita, coordonnateur du plaidoyer pour l’Afrique du CPJ. « Le président Ouattara avait promis de demander des comptes à toutes les personnes sous son autorité qui seraient responsables d’abus. Il doit donc agir immédiatement pour discipliner ses forces et faire respecter la règle de droit », a-t-il martelé.
M. Gagneto, père de deux enfants, était le secrétaire général de l’Organisation des journalistes professionnels de Côte-d’Ivoire (OJPCI) et avait travaillé tout au long de sa carrière pour des journaux de diverses allégeances politiques, tels que le groupe de presse pro-Ouattara, Olympe, et le quotidien Le Jeune Démocrate, qui est proche du parti de M. Gbagbo, selon le CIPJ.
Le CIPJ a documenté de nombreuses allégations de harcèlement, de menaces et d’intimidation de journalistes par des éléments des FRCI en patrouille qui prétendent être la recherche d’armes dans les quartiers d’Abidjan, selon des recherches du CPJ. Cette semaine, deux rédacteurs en chef, Ferdinand Bailly du site Web d’information Infocotedivoire.net et Florida Basile Bahi du journal Sport Mag, sont entrés dans la clandestinité après avoir été dénoncés comme étant des « journalistes de Gbagbo » par des jeunes dans les rues de la localité, selon le CIPJ.
En Côte d’Ivoire, au moins trois professionnels des médias ont été assassinés par les forces loyales à Ouattara et à Gbagbo durant les cinq mois d‘impasse qui ont suivi le scrutin présidentiel contesté de novembre 2010, selon des recherches du CPJ.