Bruno Jacquet Ossébi, un journaliste franco-congolais connu pour ses articles incisifs sur la corruption gouvernementale en République du Congo, est décédé à la suite d'un incendie mystérieux qui avait réduit sa maison en cendres. Par Mohamed Keita avec le reportage de Sarah Turbeaux
23 avril 2009

Bruno Jacquet Ossébi avait passé une bonne partie de cette soirée du 20 janvier dernier devant son téléviseur à son domicile à Brazzaville, la capitale de la République du Congo, pour suivre des nouvelles de l'investiture historique du nouveau président des Etats-Unis d'Amérique, Barack Obama, à l'autre bout du monde. Peu après 1 heure du matin, un incendie se déclare soudainement chez lui. Rapidement les flammes envahissent la maison de deux-pièces, tuant sa compagne et les deux garçons de cette dernière âgés de 8 et 10 ans. Quant à Ossébi, alors âgé de 44 ans, il est grièvement brûlé bien que ses blessures ne soient pas mortelles. Pourtant, il meurt brusquement à l'hôpital 12 jours plus tard, la veille de son évacuation médicale prévue vers son pays natal, la France.
Le rapport officiel d'incendie du Centre de secours principal des sapeurs-pompiers de Brazzaville identifie la cause de l'incendie comme étant un « court-circuit ». Cependant, le lieutenant-colonel Alphonse Yamboula, commandant du Centre, déclare dans une interview avec le CPJ que ce constat n'est pas le résultat d'une expertise scientifique.
Le décès du journaliste suscite également de
nombreuses interrogations. Ossébi était connu pour son tranchant lorsqu'il
traitait des affaires de corruption au sein du gouvernement congolais. Il avait
ouvertement exprimé son soutien à une action en justice cherchant à faire la
lumière sur les origines des patrimoines prétendument extravagants que
possèderaient en France des chefs d'Etat africains. Quelques jours avant
l'incendie, Ossébi avait rapporté des allégations de malversations financières
impliquant de hauts responsables congolais. Les membres de sa famille craignent
que l'incendie soit lié à cet histoire, selon son frère, Roland Kouka.Par conséquent, en février dernier, face à la montée
de nombreuses énigmes sur les circonstances de la mort d'Ossébi, les autorités
policières et judiciaires de Brazzaville ordonnent de pousser plus loin les investigations. Ainsi, le 25 février,
le procureur de la République, Alphonse Dinard Mokondzi nomme un juge
d'instruction chargé de superviser une enquête sur cette affaire. « Un
homme est mort dans un incendie, nous voulons savoir s'il était d'origine criminelle ou accidentelle »,
déclare M. Mokondzi au CPJ. Selon lui, son cabinet s'intéresse à cette affaire
parce qu'Ossébi était journaliste et « qu'il y'avait beaucoup de
suspicion » autour de l'affaire. Pourtant,
plusieurs aspects de cette enquête restent incertains. Nulle ne sait quelles
seront la portée et la durée des investigations, ni si leurs conclusions seront
rendues publiques. L'enquête elle-même est entravée puisque selon plusieurs
sources locales les décombres de la maison de location où habitait Ossébi ont
été rasés et nettoyés quelques jours après l'incendie, détruisant ainsi
d'éventuels éléments de preuve. Pour élaborer ce rapport, le CPJ a interviewé plus
d'une trentaine de personnes, notamment des membres de la famille d'Ossébi, ses
amis et collègues--dont certains ont préféré garder l'anonymat, ainsi que des
responsables du gouvernement au Congo. Le CPJ a également passé en revue
quelques documents officiels disponibles relatifs à cette affaire, ainsi que
des correspondances électroniques d'Ossébi. La corruption en ligne de mire
La mort d'Ossébi est survenue quelques mois avant l'élection
présidentielle prévue en juillet 2009 au Congo. L'actuel président congolais,
Denis Sassou Nguesso, arrivé au pouvoir en 1979, avait perdu le scrutin
présidentiel de 1992 avant de reprendre les rênes du pouvoir cinq ans plus tard
à la suite d'une guerre civile sanglante. Il devrait solliciter un nouveau
mandat, même s'il n'a pas encore annoncé ses intentions. Plusieurs opposants se
sont portés candidats, notamment Mathias Dzon, dont le siège du parti a été la
cible d'une tentative d'incendie criminel par des pyromanes en fin janvier. Cet
incident est encore non élucidé, selon des journalistes locaux. Ossébi était depuis 2006 correspondant de Mwinda,
un journal congolais en ligne, basé en France, selon les éditeurs de ce site
Web. Mwinda, qui signifie la « Lumière », porte le nom d'un
mouvement pro démocratique fondé par le défunt politicien congolais, André
Milongo. Il compte parmi un certain nombre de sites Web animés par la diaspora
congolaise à l'étranger qui scrutent minutieusement la gestion du gouvernement
congolais. La République du Congo, une ancienne colonie
française, se situe à l'ouest de la République démocratique du Congo (RDC) de
l'autre côté du fleuve Congo. Quatrième producteur de pétrole en Afrique, la
République du Congo s'est classé en 2008 158ème sur 180 pays à
l'Indice de perception de la corruption (IPC) de Transparence International,
une évaluation annuelle de l'intégrité des gouvernements dans le monde. Sur Mwinda, à peine quatre jours avant
l'incendie, Ossébi avait écrit un article accusant des responsables de la Société Nationale
des Pétroles du Congo de malversations autour d'une soit-disante demande de
préfinancement d'un montant de 100 millions de dollars américains auprès d'une
banque française, selon des recherches du CPJ. Ni le
gouvernement ni les responsables nommés dans l'article, notamment Denis
Christel Sassou Nguesso, le fils du président, n'ont fait de commentaires
publics sur cet article, selon des journalistes locaux. En outre, le ministre
congolais de la Communication, Alain Akouala, s'est refusé à faire tout
commentaire lorsque le CPJ l'a contacté. Par ailleurs, Ossébi écrivait régulièrement au sujet
d'une plainte peu commune déposée en France, et qui met en doute la manière
dont les familles présidentielles de la République du Congo, de la Guinée
équatoriale et du Gabon ont acquis des biens en France. En plus de ses articles
pour Mwinda, il animait également un blog consacré à suivre de près
l'évolution de cette plainte. Les plaignants, Transparence International et un
contribuable gabonais, allèguent que les chefs d'Etats de ces trois pays
auraient acquis en France des patrimoines immobiliers coûteux et des
automobiles de luxe, ainsi que d'importantes sommes d'argent en détournant des
deniers publics. Dans une interview avec le quotidien français Le Figaro, le président congolais a nié toute malversation et déclaré que les
plaignants avaient « l'intention manifeste de nuire ». Raphaël Ntoutoume, le porte-parole du président
gabonais, a pour sa part refusé tout commentaire. Les appels du CPJ à l'endroit
du ministre Equato-guinéen de l'Information, Jeronimo Osa, sont quant à eux
restés sans réponse. La plainte civile, qui requiert des dommages et
intérêts de la part des trois familles présidentielles, est actuellement
auditionnée par la juge d'instruction française Françoise Desset, qui doit
décider prochainement de la recevabilité de la plainte. « Juridiquement parlant, ce serait une première », a déclaré Maud Perdriel-Vaissière, une
conseillère juridique du réseau international de juristes basé en France, Sherpa, qui
soutient les plaignants. Mme. Perdriel-Vaissière a souligné qu'aucun citoyen
étranger ni organisme anti-corruption n'ont jamais été autorisés à traduire un
chef d'État étranger devant la justice française. Une décision favorable
pourrait créer un précédent permettant à d'autres citoyens étrangers de
traduire leurs chefs d'Etats devant des tribunaux français pour des biens
acquis en France, a-t-elle dit.
Ossébi était « passionné » par cette plainte
et désireux de se porter partie civile, selon les dires de Bruno Ben Moubamba,
un journaliste et militant anti-corruption français d'origine gabonaise, qui
suit de près cette affaire. Transparence International a par ailleurs confirmé
qu'Ossébi souhaitait se constituer partie civile. L'implication de
ressortissants des pays concernés peut potentiellement renforcer la partie
civile dans cette affaire, a déclaré Julien Coll, délégué général de
Transparence International France. Selon certains collègues, la position affichée
d'Ossébi contre la prétendue corruption gouvernementale au Congo était d'une
certaine manière un paradoxe, étant donné que sa famille est considérée comme
proche de l'élite au pouvoir au Congo. En effet, l'oncle d'Ossébi, Henri Lopes,
est l'ambassadeur de la République du Congo à Paris; sa maison, à présent
détruite, se trouvait dans un quartier considéré comme un bastion du parti au
pouvoir. Ossébi semblait tirer un certain courage du rang de sa famille. « Je
n'ai pas peur...J'ai tout de même un oncle ambassadeur du Congo à Paris qui
sait très bien la provenance des fonds qui permettent à tous ces gens de faire
des folles dépenses », avait écrit Ossébi en décembre 2008, dans un
courriel à l'un de ses amis, Serge Berrebi. Ossébi n'a d'ailleurs jamais
mentionné avoir reçu des menaces pour son engagement dans cette affaire,
d'après sa famille et des collègues. Toutefois, des recherches du CPJ ont révélé que
d'autres individus ayant exprimé leur soutien à la plainte ou l'ayant documentée
de manière détaillée, ont fait l'objet de menaces et de harcèlement. Au Gabon par exemple, les services de renseignements
de l'armée, puis la police arrêtent cinq personnes en décembre 2008, notamment
Gregory Minsta, le seul plaignant individuel désigné dans la plainte, les
journalistes Léon
Dieudonné Koungou et Gaston Asseko ainsi que des responsables de la
société civile, Marc Orna Essangui et Georges Mpagi. Les cinq sont inculpés par
le procureur de la république pour « incitation à la rébellion contre les
autorités » pour avoir eu en leur possession des copies d'une lettre
ouverte publiée sur le blog de M. Moubamba. La lettre critiquait la gestion des
ressources du pays par le président Omar Bongo pendant plus de quatre
décennies. Les inculpés sont libérés après 13 jours de détention. L'affaire est toujours en
instance. Plutôt en 2008, en mars, le Conseil National de la Communication
avait suspendu le journal privé Tendance Gabon pour trois
mois à la suite de sa transcription d'un article du quotidien français Le Monde
sur le patrimoine du président Bongo à Paris, selon des médias locaux. En France, Benjamin Toungamani, dissident politique
congolais en exile, a par ailleurs rapporté qu'une série de menaces
téléphoniques avait contraint sa femme de retirer son nom de la plainte. M.
Toungamani est à la tête d'un groupe exilé appelé la Plate-forme congolaise
contre la corruption et l'impunité, basé en Europe. Sa femme est une
contribuable congolaise et, par conséquent, aurait constitué un précieux atout
en se portant partie civile dans cette affaire. M. Toungamani avait discuté de
la plainte quelques jours avant l'incendie, dans une large interview publiée
sur Mwinda. Coïncidence ou non, un incendie est survenu chez M.
Toungamani à Orléans, ville du centre-nord de la France, cette même nuit où un
autre incendie détruisait la maison d'Ossébi.
D'après M. Toungamani, qui se trouvait chez lui au moment de l'incendie
mais en est sorti indemne, un enquêteur d'assurance a estimé que l'incendie avait
été causé par un court-circuit provenant d'une machine à laver. Le militant a
néanmoins demandé à la police de faire une expertise scientifique de
l'incident. Transparence International a exprimé son inquiétude
face à ces incidents. M. Coll a déclaré que TI travaille actuellement avec
d'autres organisations afin de développer des moyens pour renforcer la
protection des militants anti-corruption. La plainte a d'une manière générale peu attiré
l'attention des médias dans les trois pays africains concernés ou règne un véritable climat de peur et d'autocensure. En Guinée équatoriale,
l'une des nations les plus censurées au monde, pratiquement aucun reportage n'a
été fait sur cette affaire. La presse gabonaise s'est fortement autocensurée
depuis les arrestations de l'année dernière. Au Congo, Ossébi était l'un des
rares journalistes basés au pays à écrire sur les allégations. Un
« flou » entoure le décès d'Ossébi A Brazzaville, les enquêteurs chargés de
l'investigation n'ont pas interrogé Ossébi pendant son séjour à l'hôpital.
Toutefois, le journaliste a rapporté quelques détails sur les circonstances de
l'incident à son ami d'enfance Joe Washington Ebina, un homme d'affaires.
Ossébi lui aurait dit regarder la télévision dans le salon quand il a entendu
un vacarme dans une pièce adjacente. Le journaliste a confié à son ami qu'en
ouvrant la porte de cette pièce, il aurait été accueilli par un jet de flammes
qui l'a grièvement brûlé et fauché au sol. Le journaliste serait sorti de la
maison en rampant avant de tenter en vain de retourner à l'intérieur pour
chercher les autres habitants, a raconté M. Ebina. Sa compagne, Evelyne Koma et
les deux enfants de cette dernière, Lourd Sagesse Ockoueret et Madide
Ockoueret, ont été déclarés morts sur les lieux. Quant au journaliste, il a
souffert de brûlures au second degré sur plus de 30 pour cent de son corps,
selon l'un de ses médecins. Les premiers témoignages, dont certains provenant de
la famille d'Ossébi, ont d'abord affirmé que l'incendie était d'origine
électrique et provenait d'un court-circuit. Selon Ogers, le cousin d'Ossébi, ce
dernier lui aurait dit que le téléviseur avait pris feu. M. Ebina a cependant
déclaré au CPJ que dans les diverses conversations qu'il a eu avec le
journaliste avant sa mort, Ossébi n'aurait jamais mentionné de court-circuit ni
de problème avec son téléviseur.
Un « vrai flou » entoure cette affaire, a
déclaré un journaliste local, Arsène Séverin Ngouela, commentant sur le fait
que personne n'a pu être en mesure de reconstituer de façon précise les
circonstances de l'incendie. Ngouela croisait souvent Ossébi au Groupe Négoce
International, un cybercafé au centre-ville de Brazzaville. Le flou persiste également autour de la mort d'Ossébi,
survenue près de deux semaines après l'incendie, alors que le journaliste
semblait se rétablir. « Nous riions et parlions. Je lui ai amené quelques
fruits et il mangeait. Pour nous, il allait se rétablir », a déclaré M.
Ebina, qui lui rendait visite régulièrement. Ossébi avait même demandé un
portable Blackberry pour vérifier ses courriels, a-t-il ajouté. Un médecin traitant, requérant l'anonymat parce qu'il
est tenu au secret médical, a confirmé au CPJ que l'état d'Ossébi s'améliorait
et qu'aucune rechute n'était manifestement à prévoir. Le médecin, soulignant
que les victimes de brûlures peuvent faire de brusques rechutes lors de leur
rétablissement, a dit qu'Ossébi avait fait une dépression respiratoire aigue
avant de mourir le 2 février dernier. Quant au certificat de décès, il indique que la mort
du journaliste a été causée par un « arrêt cardio-respiratoire », a
rapporté le médecin. Cependant, aucune autopsie n'a été pratiquée. Selon des
membres de sa famille, Ossébi est décédé un jour avant son évacuation médicale
vers un hôpital français, prévue par voie aérienne. « C'est triste, car Ossébi était quelqu'un qui
participait à sa manière aux débat d'idées », a déclaré au CPJ en février
dernier le ministre congolais de la Communication, M. Akouala. Quant à Patrick
Okamba, directeur du Centre international de presse de Brazzaville, il garde
d'Ossébi le souvenir d'un lecteur assidu de journaux qui aimait faire l'analyse
critique de leur couverture tout en sirotant un expresso à La Mandarine, un
café du centre-ville de Brazzaville. Par ailleurs, Patrick Eric Mampouya, un
bloggeur et activiste politique basé en France, a déclaré au CPJ que le
journalisme engagé d'Ossébi l'avait inspiré à lancer un blog et un bulletin
d'information en ligne. Le juge d'instruction en charge de l'information judiciaire
ouverte par le procureur, Jean Michel Opo, a
ordonné à la police la mise en place d'une commission rogatoire chargée de
déterminer la cause de l'incendie. En fonction des conclusions, le juge Opo a
dit au CPJ qu'il pourrait recommander un renvoi devant la cour, avec la
possibilité que des accusations criminelles soient formulées, ou bien demander
que l'affaire soit classée. Quant à savoir si les conclusions seront publiées,
le juge a dit au CPJ qu'il est tenu par le secret de l'instruction. Quoi
qu'il en soit, les questions soulevées par cet incendie mortel ont été peu
examinées par la presse congolaise. Plusieurs journalistes ont
déclaré au CPJ craindre d'aller trop loin dans cette affaire. Des amis du
journaliste disent, eux aussi, ne pas vouloir poser beaucoup de questions.
« Je ne veux pas parler de la mort de Bruno, surtout au téléphone », a
déclaré un associé du journaliste. Soulignant sa crainte de représailles, il a
préféré garder l'anonymat. « Je ne veux que cela me coûte le vie ». Mohamed Keita est associé de
recherche pour l'Afrique au CPJ. Sarah Turbeaux est consultante pour la section
Afrique du CPJ. Les recommandations du CPJ au Gouvernement de la
République du Congo: Les recommandations du CPJ au Gouvernement du
Gabon : Les recommandations du CPJ aux Gouvernements de la
République du Congo, du Gabon, de la Guinée Equatoriale et de la France :
- 23 avril 2009 0h01 ET
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