Attaques contre la presse en 2008: Rwanda

Sur le papier, le Rwanda a plus de journaux privés et de stations de radio qu’à aucun autre moment dans son histoire. En réalité, les informations indépendantes sont peu disponibles à cause de la précarité économique de la presse et de l’intimidation par le gouvernement. Un rédacteur en chef indépendant a été contraint de fuir le pays et un autre a été expulsé. En fin d’année, une législation à l’étude devait resserrer les conditions d’accréditation et forcer les journalistes à divulguer leurs sources devant un tribunal.


L’organe de régulation officiel, le Haut conseil pour les médias, a révélé que 57 journaux privés s’étaient enregistrés auprès du gouvernement, mais seulement 37 ont imprimé au moins un numéro. Pour expliquer cela, le Conseil a cité le manque de capitaux et des plans financiers défectueux. En définitive, seules six publications privées sont sorties d’une façon régulière. Toutes ont pratiqué l’autocensure, selon des journalistes locaux et des experts des médias. Sur 14 radios privées, toutes soutiennent le gouvernement et seulement deux fournissent une couverture détaillée de la politique, selon Lars Waldorf, chargé de cours en droits de l’homme à l’Institut pour les études sur le Commonwealth, à Londres. Une étude réalisée en 2007 par le Conseil pour la recherche et les échanges internationaux, organisme à but non lucratif, a conclu que tant les médias privés que ceux d’Etat dépendaient lourdement de la publicité publique, compromettant souvent leur politique éditoriale. Les organes d’information s’accrochant à une ligne éditoriale critique envers le gouvernement se sont trouvés pris dans un étau financier.

Des médias privés comme le Groupe des médias rwandais indépendants (RIMEG), qui publie Umuseso, le journal en anglais Newsline, ainsi que le tabloïd sur le sport et les spectacles Rwanda Champion, ont à peine réussi à imprimer au cours de l’année, selon le témoignage au CPJ d’un de ses dirigeants. Charles Kabonero, directeur de Rimeg et rédacteur en chef d’Umuseso, a dit que le déficit de recettes publicitaires contraignait la société à ne publier que de façon sporadique.

L’hebdomadaire en kinyarwanda Umuco a fermé après que son fondateur et rédacteur en chef a fui le pays pour éviter des persécutions à la suite d’un article d’opinion publié en mars et critiquant le président Paul Kagamé. Bonaventure Nizumuremyi avait écrit que les jours de Kagamé dans ses fonctions étaient comptés à cause des actes d’accusation pour génocide dressés par un juge espagnol à l’encontre de 40 officiers des Forces de défense rwandaises – des poursuites engagées selon le principe de la « compétence universelle ». L’éditorial suggérait que Kagamé serait déféré devant un tribunal pénal international, contraint de vivre en exil ou de se suicider comme Hitler.

Le gouvernement et les médias d’Etat ont réagi instantanément et sévèrement. Bizumuremyi a fui juste avant que la police n’investisse son domicile dans la capitale Kigali, selon des journalistes locaux. Le Haut conseil des médias a suspendu l’accréditation de Bizumuremyi ainsi que sa publication pour un an, a rapporté le quotidien progouvernemental New Times. Un concert de condamnations a jailli des médias publics. L’hebdomadaire progouvernemental Focus a comparé Bizumuremyi à Hassan Ngeze, journaliste rwandais condamné à 35 ans de prison pour son rôle dans l’incitation au génocide en 1994.

En juillet, Furaha Mugisha, responsable de la rédaction à Umuseso, a été expulsé du fait qu’il serait de nationalité tanzanienne. Mugisha, qui détient un passeport et une carte d’identité rwandaise mais est né comme réfugié en Tanzanie, a indiqué au CPJ que son expulsion pourrait être due à un article dans Umuseso à propos de l’enquête bloquée sur l’assassinat d’un dirigeant de l’opposition.

La ministre de l’Information Louise Mushikiwabo a déployé une approche antagoniste avec la presse. En mai, à Kigali, durant une cérémonie officielle célébrant la Journée mondiale pour la liberté de la presse, elle a expulsé trois rédacteurs en chef de journaux privés en kinyarwanda.

Jean Grober Burasa de Rushyashya, Jean Bosco Gasasira de Umuvugizi et Kabonero de Umuseso, ont ainsi été écartés sans explication. Le thème de l’événement était « la liberté de l’information ».

Plus troublant, la ministre a déclaré en août que les journalistes travaillant pour la BBC et la Voix de l’Amérique (sigle VOA en anglais) produisaient « des émissions qui détruisent le tissu social rwandais », selon des médias locaux et internationaux. Le mois suivant, Mushikiwabo a menacé de suspendre la BBC et la VOA « si elles ne pouvaient pas répondre favorablement aux avertissements du gouvernement pour abandonner leurs reportages non factuels », selon la presse.

De telles accusations voilées peuvent être lourdes de sens au Rwanda. L’ombre laissée par Radio-Télévision Libre des Mille Collines, dont les émissions incendiaires avaient alimenté le génocide en 1994, continue de planer sur les médias nationaux, entraînant une autocensure. Au cours des années, le gouvernement et ses partisans ont souvent invoqué les médias de la haine en réponse à une couverture critique. Les arrestations de journalistes sur de vagues accusations liées au génocide ont néanmoins diminué, aucune n’ayant été enregistrée en 2008. Dominique Makeli, ancien journaliste à la radio d’Etat, a été libéré après 14 ans de prison sur de fallacieuses charges d’incitation au génocide.

Le gouvernement, qui se plaint du manque de professionnalisme des journalistes, a fait de la formation un enjeu. La loi sur la presse qui, fin 2008, attendait la signature de Kagamé, exigerait des journalistes qu’ils obtiennent un diplôme universitaire ou un certificat en journalisme pour recevoir une accréditation de presse délivrée par le gouvernement. Les affirmations du pouvoir à propos du niveau de formation ne sont pas entièrement non fondées.

En avril, une étude de l’université canadienne Carlton a conclu que seulement 10 % des journalistes en activité avaient reçu une formation professionnelle. Néanmoins, les critiques du gouvernement remarquent que faire dépendre l’accréditation d’un niveau d’éducation établi par l’Etat ouvrirait la porte à de nouveaux obstacles.

Le président de l’Association des journalistes rwandais, Gaspard Safari, a loué les dispositions de la loi qui garantissent l’accès à l’information publique, mais a déclaré que ces progrès étaient sapés par d’autres mesures comme, par exemple, celles interdisant de critiquer le Président ou l’armée et contraignant les journalistes à révéler leurs sources devant un tribunal. « Ce n’est pas une loi mais une condamnation à mort pour le journalisme dans ce pays », a déclaré Gasasira, rédacteur en chef d’Umuvugizi. 

Kagamé est demeuré un favori des gouvernements occidentaux, dont beaucoup semblent vouloir fermer les yeux sur les carences de la liberté de la presse au Rwanda. La Grande-Bretagne, par exemple, a promis l’équivalent de 100 millions de dollars d’aide annuelle pour la décennie à venir avec seulement « une faible conditionnalité », selon The Economist. Les relations tendues avec la France sont une exception notoire. Rose Kabuye, haut conseillère du Président, a été arrêtée en novembre sur la base d’un mandat d’arrêt français l’accusant d’être impliquée dans l’attentat de 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana qui a contribué à déclencher le génocide.


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