RDC – Une Liberté fragile

Rapport Spécial

Rapport affiché le 14 septembre 2004

La situation fragile de la liberté de la presse en République Démocratique du Congo a été ébranlée lorsque la ville de Bukavu, située à l’est du pays, est tombée brièvement début juin aux mains de combattants rebelles soutenus par le Rwanda. Des restrictions et emprisonnements ordonnés par l’Etat ainsi que des menaces et attaques lancées par les rebelles ont limité la pratique du journalisme indépendant par les organes de presse. La limitation du flux de l’information a contribué à une flambée de rumeurs et de craintes partout dans ce pays de 53 millions d’habitants situé en Afrique centrale.

Sur une période de deux mois à l’époque des troubles, le gouvernement a donné des instructions, au moins à trois reprises, pour restreindre la couverture des évènements par les organes de presse; les autorités ont jeté en prison au moins quatre journalistes; et des agresseurs qui auraient été dirigés par un officier de l’armée ont sévèrement passé à tabac un journaliste, d’après les conclusions de l’enquête menée par le CPJ.

A la même époque, les forces rebelles ont obligé les trois principales radios communautaires de Bukavu à fermer et ont menacé au moins quatre journalistes au point de les faire fuir pour leur sécurité. Les rebelles ont également été accusés d’avoir tué le frère de Joseph Nkinzo, directeur d’une station de radio, en le prenant pour le journaliste.

Une délégation du CPJ qui a voyagé en RDC au mois de juin 2004 a pu constater la détérioration des conditions de travail des journalistes. Elle a pu rencontrer les autorités gouvernementales ainsi que des responsables dans le secteur des médias. Selon les conclusions du CPJ, les nouvelles attaques dirigées contre la presse reflètent des problèmes actuels et fondamentaux qui entravent la liberté de presse en RDC.

Il s’agit des obstacles suivants:

• Le gouvernement continue à émettre des circulaires et communiqués pour restreindre et censurer les activités journalistiques.
• La poursuite de la violence et de l’insécurité, en particulier dans la partie orientale du pays, constitue une menace grave pour la sécurité des journalistes.
• Des lois abusives et d’une autre époque – héritage du dictateur feu Mobutu Sese Seko – sont toujours utilisées pour emprisonner ou réduire au silence les journalistes qui osent s’en prendre aux responsables gouvernementaux.
• La profession est affaiblie par des problèmes économiques et par un manque de formation.

Le gouvernement tente de censurer la presse
Quelques semaines seulement avant les troubles, la Journée Mondiale de Liberté de la Presse avait été célébré le 3 mai en RDC sous le signe de l’optimisme. Jusque-là, dans ce pays, les journalistes avaient souvent été les cibles de violences, de harcèlements et d’emprisonnements pendant les deux guerres civiles de 1996-97 et 1998-2003.

Au cours de cette célébration, les organisations de journalistes ont noté qu’aucun journaliste congolais n’était en prison et que les journalistes reporters travaillaient plus librement et plus en sécurité. Ils ont affirmé que les conditions de travail de la presse s’amélioraient progressivement depuis la signature en décembre 2002 de l’accord de paix entre le gouvernement du Président Joseph Kabila basé à Kinshasa et les principaux groupes rebelles, accord qui mit fin à plusieurs années de guerre civile.

Leur optimisme s’est vite évanoui. A l’est du pays, deux groupes rebelles soutenus par le Rwanda et dirigés respectivement par les commandants dissidents de l’armée, le Colonel Jules Mutebusi et le General Laurent Nkunda, ont uni leurs forces afin de prendre le contrôle de Bukavu le 2 juin pendant une semaine. Cette rébellion a poussé les habitants de Kinshasa et d’autres villes à descendre dans la rue et à manifester violemment contre les Nations Unions, qui ont été incapables d’empêcher la chute de Bukavu, et contre des partis politiques participant à la transition. Et le 11 juin, le gouvernement devait faire face à une tentative de coup d’état orchestrée par le Major Eric Lenge, membre de la garde présidentielle. Le manque d’information officielle sur le coup d’état et sur l’endroit où se trouverait Lenge a nourri des rumeurs et autres spéculations.

Les combats autour de Bukavu à l’est du pays et les tensions politiques croissantes à travers le pays ont amené le gouvernement à chercher à restreindre les activités de la presse; le gouvernement a même menacé de sanctions les journalistes qui ne se conformeraient pas aux instructions gouvernementales. Un communique signé par Vital Kamerhe, Ministre de la Presse et Information en fonction à l’époque, a indiqué que: “Il est strictement interdit à toutes les chaînes de radio et de télévision sur l’ensemble du territoire nationale, de diffuser des messages de nature à envenimer la situation.”

Le 5 juin, Kamerhe a convoqué les éditeurs des organes de presse de Kinshasa et leur a donné encore des avertissements. D’après les sources du CPJ, Kamerhe leur a dit que le pays était sur le pied de guerre, qu’il ne devait y avoir de discours ou images qui puissent décourager les populations ou l’armée, et que les lignes éditoriales devaient faire preuve de patriotisme. Ceci a été suivi d’une Note Circulaire signée le 12 juin mettant en garde les médias contre “les propos tendant à démoraliser les Forces Armées Congolaises” ou “traiter avec légèreté tous ces événements malheureux tendant à mettre un terme au processus de paix en cours.” Kamerhe a menacé de sanctions les journalistes qui ne respecteraient pas ses consignes.

Le groupe local de défense de la liberté de presse Journaliste en Danger (JED) a dénoncé les “tentatives répétées de museler la presse ou d’imposer une ligne éditoriale aux organes de presse,” affirmant que la note circulaire du ministre contient “des menaces à peine voilées.” JED a souligné que, comme aucun état d’urgence n’avait été déclaré, le ministre n’avait pas le droit d’émettre ces directives qui vont à l’encontre des articles 27, 28, et 29 de la Constitution de la Transition, qui consacre la liberté d’expression et de la presse.

RECOMMANDATIONS
Au gouvernement de la RDC:

La situation sécuritaire fragile, que la délégation du CPJ a pu constater elle-même, ne doit pas servir de prétexte aux autorités pour entraver le travail normal de la presse.

Les agents de sécurité du gouvernement sont chargés de l’application de la loi et ceux qui se livrent à des agressions, détentions ou harcèlements illégaux doivent être poursuivis disciplinairement ou devant la justice.

Le gouvernement doit retirer des lois toutes les sanctions pénales liées à des délits de presse, qui ont des effets nocifs sur la liberté de presse.

Le gouvernement doit rappeler aux autorités judiciaires que la détention préventive est une mesure exceptionnelle en droit congolais et ne doit pas être utilisée systématiquement pour emprisonner des journalistes accusés de délits de presse.

Le gouvernement doit réduire le montant excessivement élevé des taxes d’autorisation des radios communautaires.

Aux forces rebelles:

Le CPJ condamne les attaques de militaires rebelles contre des journalistes à Bukavu, et appelle les forces rebelles au respect du travail des journalistes et de leurs droits.

Au cours d’une rencontre le 14 juin, Kamerhe a dit au CPJ que ces instructions étaient nécessaires à cause de la crise et parce que les journalistes étaient capables “d’inventer n’importe quoi” pour vendre leurs journaux. Kamerhe a donné comme exemple des articles de journaux accusant le Vice-President Azerias Ruberwa, chef de l’ex-mouvement rebelle RCD, d’avoir comploté avec le Rwanda et accusant les Nations Unies d’être de connivence avec le commandant rebelle Mutebusi.

“Nous sommes une [trop] jeune démocratie pour faire confiance à cent pourcent aux journalistes pour qu’ils se censurent eux-mêmes,” a dit Kamerhe. En vertu des termes de l’accord de paix de 2002, Kabila restera au pouvoir jusqu’en 2005 avec les quatre vice-présidents émanant de l’opposition aussi bien armée que non armée. En 2005, la RDC va organiser les premières élections démocratiques de son histoire depuis son indépendance en 1960.

Pour l’instant, les voix discordantes sont difficilement tolérées. Le 19 juillet, Lumbana Kapassa, journaliste et directeur général de la chaîne de télévision privée RTKM, a été convoqué à l’Agence nationale des renseignements (ANR) à Kinshasa. Il a été entendu, pendant près de trois heures, au sujet d’une émission diffusée en différé sur RTKM, au cours de laquelle M. Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba, ancien ministre de la Défense et Conseiller spécial en matière de sécurité de Mobutu, s’adressait à Bruxelles à des officiers militaires des ex-FAZ (Forces armées zaîroises) en exil depuis la chute de Mobutu. Dans son adresse, l’ancien conseiller spécial de Mobutu critiquait le régime en place à Kinshasa et a exhorté les ex-FAZ à regagner le pays pour intégrer l’Armée nationale en constitution, selon JED.

A l’issue de cet interrogatoire assorti de menaces, les cassettes de l’émission incriminée ont été confisquées, et l’ordre a été donné à RTKM de ne plus jamais diffuser une quelconque émission sur l’ancien Conseiller spécial de Mobutu, toujours selon JED.

Menaces et attaques des rebelles
Des menaces sont également venues de la part des rebelles. Les forces rebelles qui ont pris Bukavu en juin ont menacé et attaqué trois des principales stations de radio de la ville – Radio Maria, Radio Maendeleo, et Radio Sauti ya Rehema – les obligeant à fermer jusqu’à la reprise de la ville une semaine plus tard par les forces gouvernementales. Joseph Nkinzo, directeur de la Radio Sauti ya Rehema (La voix de la miséricorde), a échappé de près à une tentative d’assassinat lorsque les rebelles étaient venus le chercher et avaient tué son frère cadet Mukamba Mwanaume.

Ben Kabamba, directeur de la Radio Maria; Kizito Mushizi, directeur de la Radio Maendeleo; et Nkinzo avaient reçu plusieurs menaces de mort par téléphone depuis le 29 mai. Selon des sources locales, les rebelles se sont mis à la recherche des trois directeurs de radio aussitôt après avoir pris le contrôle de la ville. Les rebelles ont accusé ces stations de radio d’entretenir une propagande à but génocidaire contre les Tutsi congolais connus sous l’appellation de Banyamulenge, mais JED ainsi que d’autres observateurs indépendants n’ont trouvé aucune preuve de ces allégations. Nkinzo, Kabamba, et Mushizi se sont réfugiés au quartier général des Nations Unies à Bukavu, d’où ils ont pu être temporairement évacués vers Kinshasa pour leur sécurité, avec l’aide de JED, CPJ et d’autres organisations.

Bien que les rebelles se soient retirés de Bukavu le 9 juin, des informations faisaient toujours état d’accrochages à l’est du pays et de journalistes ciblés par des éléments rebelles. Des militaires proches du général rebelle Laurent Nkunda ont commencé à chercher Déo Namujimbo, le correspondent à Goma de l’agence Syfia basée en France, après la publication le 15 juillet sur le site web de Syfia d’un article qu’il a écrit pour dénoncer le “règne de la terreur” entretenu par les hommes de Nkunda.

Dans son article, Namujimbo a écrit que “depuis un mois et demi, la population de Minova, non loin de Goma, vit dans la terreur, harcelée par les hommes du Général Laurent Nkunda installés dans la région. Rackets et viols y sont devenus monnaie courante.” Cet article a été repris dans les journaux de Kinshasa, notamment l’édition de 17 juillet du quotidien Le Potentiel.

Les voisins de Namujimbo ont déclaré à JED que des militaires seraient venus le chercher dans la nuit du 17 juillet, et qu’ils auraient posé des questions sur l’heure de retour du journaliste. Le jour suivant, Numujimbo était obligé de fuir à Bukavu avec sa famille et d’entrer dans la clandestinité.

Au moins une attaque aurait été perpétrée par un soldat de l’armée gouvernementale. Le 20 juin, Modeste Shabani, directeur de la radio communautaire Sauti ya Mkaaji (La voix des paysans) à Kasongo, à l’est de la RDC, a été sauvagement battu par des hommes armés, au point d’être ensuite hospitalisé pour des soins intensifs, selon JED. Un officier de l’armée, membre de l’ex- mouvement rebelle RCD, Col. Bokeone Alumba Okoko, serait le chef des agresseurs, d’après JED. La Radio Sauti ya Mkaaji avait diffusé des reportages sur des violations des droits de l’homme qui auraient été perpétrées par Bokeone à Kasongo. Les hommes en armes ont pris d’assaut le studio de la Radio Sauti ya Mkaaji et menacé le personnel avant de s’attaquer à Shabani.

Selon JED, qui a pu rencontrer Shabani le 29 juin au centre hospitalier de Goma, où il avait été transféré, le journaliste a dit qu’il avait une fracture aux hanches, des côtes brisées et des douleurs atroces à la nuque. Le jour de l’agression, une commission d’enquête ordonnée par Koloso Sumahili, gouverneur de la province de Maniema, a suspendu Bokeone de son poste au sein de l’armée. Des groupes de défense des droits de l’homme demandent à ce que des poursuites judiciaires soient engagées contre ce colonel.

Lois désuètes, nouveaux abus
La législation de la République Démocratique du Congo, notamment la Loi sur la Presse de 1996 et le Code Pénal, criminalise toute une gamme de “délits de presse” et autorise l’engagement de poursuites judiciaires contre les journalistes sur des concepts vagues et démodés introduits sous Mobutu.

L’accusation la plus souvent invoquée est la diffamation, qui est sanctionnée par des peines d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans. Le Code Pénal définit la diffamation comme étant l’acte d’imputer “méchamment et publiquement” à une personne “un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de cette personne, ou à l’exposer au mépris public.” Cette définition ne dit pas expressément que le “fait précis” doit être faux ou mensonger.

Dans un rapport publié récemment, le groupe local pour la défense de la liberté de presse African Media Institute a écrit: “En condamnant systématiquement sur la base des imputations dommageables, les tribunaux demandent en fait à la presse d’éviter tout propos qui pourrait porter atteinte à l’honneur et à la considération des hommes politiques.” Et Donat M’baya Tshimanga, président de JED, a dit au CPJ: “Je crois que cette façon de vouloir protéger la réputation d’autrui en dépit du droit pour le public de savoir ce qui se passe, surtout en ce qui concerne les personnes qui gèrent l’Etat, les personnes qui ont des responsabilités publiques, je crois que c’est une atteinte aux principes même de la transparence qui doit caractériser le fonctionnement de l’Etat.”

Les journalistes en RDC sont fréquemment placés en soit-disant “détention préventive – emprisonnement sans procès – dès que des plaintes sont déposées contre eux.

Au moment de l’arrivée de la délégation du CPJ en RDC, trois journalistes étaient emprisonnés à Kinshasa suite à des plaintes en diffamation. Un autre était jeté en prison pour espionnage et violation de domicile pour avoir filmé pour un reportage. Et un cinquième journaliste a été condamné à six mois d’emprisonnement pour avoir diffamé un homme d’affaires, puis libéré en attendant le jugement en appel.

Le CPJ et JED ont rendu visite aux quatre journalistes en prison à Kinshasa le 6 juin. La prison était surpeuplée, et les détenus se sont plaints de la mauvaise qualité des nourritures servies et des conditions peu salubres.

• Lucien-Claude Ngongo, éditeur délégué de l’hebdomadaire Fair Play, était détenu suite à une plainte en diffamation formulée par un riche homme d’affaires expatrié nommé William Damseaux. Selon les journalistes locaux, il a été interrogé sur des articles dénonçant les agissements de Damseaux dans une bataille judiciaire l’opposant à Berge Nanikian, un autre homme d’affaires expatrié. Ngongo a été libéré le 28 juillet, après avoir payé une caution, selon JED. Son procès à commencé le 2 août.

• Albert Kassa Khamy Mouya, ancien directeur de publication de l’hebdomadaire Le Lauréat a été arrêté le 27 mai, suite à une plainte en diffamation déposée par le conseil de Damseaux en rapport avec un article publié au mois de mars, selon JED. Cet article aussi parlait de la bataille juridique entre Damseaux et Nanikian. Kassa, qui est diabétique, semblait avoir une santé fragile au moment de la visite du CPJ. Le CPJ et JED ont fait pression pour sa libération. Il a été libéré le 29 juin en attendant la suite de la procédure, après avoir été hospitalisé une semaine auparavant.

• Rakys Bokela, éditeur du journal Le Collecteur, a été emprisonné le 21 mai suite à une plainte en diffamation. L’ancien président de la Fédération Congolaise de Boxe, Aimé Luvumbu, a déposé une plainte contre lui suite à un article paru le 18 février 2004 dans Le Collecteur, l’accusant de malversation lorsqu’il était à la tête de la Fédération Congolaise de Boxe. Bokela a été libéré le 13 juin en attendant la suite de la procédure.

• Gustave Kalenga Kabanda, rédacteur en chef de l’hebdomadaire indépendant La Flamme du Congo, a été arrêté le 7 juin à son domicile à Kinshasa. Il a été jeté en prison après avoir été accusé d’espionnage et de violation de domicile pour avoir filmé “sans autorisation” à Gemena la résidence de Jean-Pierre Bemba, l’un des quatre vice-présidents de la République Démocratique du Congo. Gemena se trouve dans la province de l’Equateur, au nord de la RDC, et est l’ancien fief de l’ex-mouvement rebelle Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de Bemba. Kalenga a conduit une équipe de sept journalistes qui a visité Gemena du 29 mai au 5 juin. Ces journalistes ont filmé des plantations et propriétés appartenant à la famille Bemba, dont une nouvelle résidence luxueuse que construit le vice-président. Kalenga a été libéré de la prison centrale de Kinshasa le 26 juin après avoir payé une caution.

Le 19 juin, Nicaise Kibel-Bel-Oka, directeur de publication et rédacteur en chef de l’hebdomadaire privé Les Coulisses, paraissant dans la ville de Beni au nord-est, a été accusé de diffamation, condamné à six mois d’emprisonnement et obligé à payer une amende de 5.000 dollars américains à titre de dommages et intérêts. Les agents de renseignement l’ont arrêté le même jour. Les accusations se fondent sur un article paru dans Les Coulisses de décembre 2003, accusant Jacques Kiangu, un homme d’affaires local, de ne pas avoir payé les taxes et autres droits sur des marchandises importées de l’Ouganda, d’après JED. Le 10 juillet, Kibel-Bel-Oka a bénéficié d’une libération provisoire après qu’il a fait appel.

Kamerhe, le ministre de l’information d’alors, a dit au CPJ que la politique du gouvernement était “zéro journaliste en prison.” Interrogé sur le fréquent emprisonnement des journalistes dès qu’une plainte est déposé contre eux, il a dit que c’était une anomalie, et que le gouvernement allait réviser la Loi de 1996 sur la presse.

“Vous avez raison, ce n’est pas parce qu’on accuse un journaliste qui n’a pas encore été entendu qu’on doit tout de suite aller l’appréhender, le mettre en prison,” a-t-il dit.

Toutefois, ces assurances sont remises en question par le dernier remaniement gouvernemental. En juillet, Kamerhe, nommé Secrétaire-Général de PPRD, parti du président, a été remplacé à la tête du Ministère de l’Information par Henri Mova Sakanyi, qui était jusqu’alors le Ministre délégué aux Affaires Etrangères. Les journalistes et organisations indépendantes de média sont encore au stade d’évaluer la position du nouveau ministre.

Manque de moyens et de professionalisme
Au début de cette année, les journalistes de la RDC ont lancé une campagne pour la dépénalisation des délits de presse. Kamerhe leur a dit qu’il soutenait en principe la dépénalisation, mais qu’il fallait que cela se fasse par étapes.

Plusieurs instances de régulation des médias ont été créées en République Démocratique du Congo, avec entre autres le pouvoir de suspendre la diffusion d’une émission ou la carte de presse d’un journaliste. Les trois principales instances sont les suivantes:

La Haute Autorité des Médias, HAM
La HAM est une instance publique habilitée à prendre des sanctions allant jusqu’à la suspension d’émissions de radio ou de télévision qui enfreignent à la loi. En tant que “institution d’appui à la transition” mise en place sous les accords de paix de 2002, elle est composée de représentants de toutes les composantes politiques participant au gouvernement de transition. Elle est dirigée par Modeste Mutinga, journaliste expérimenté, fondateur du journal Le Potentiel et ancien lauréat du CPJ.

L’Union Nationale de la Presse Congolaise, UNPC (ancienne appellation UPC)
Un congrès national des journalistes s’était engagé en mars dernier à revitaliser l’Union Nationale de la Presse Congolaise (anciennement appelée UPC) et à créer en son sein une commission chargée de la délivrance de la carte de presse. Selon Pindi Pasi, président de l’UNPC, il sera demandé à tous les journalistes professionnels d’avoir des cartes de presse. Un contrat de travail et un diplôme en journalisme ou titre équivalent seront nécessaires à l’obtention de cette carte. Les cartes de presse peuvent être suspendues ou retirées par un comité de l’UNPC en charge de la discipline. Charles Dimandja, directeur des informations à la chaîne privée de télévision RTKM, préside la commission chargée de la délivrance des cartes de presse.

L’Observatoire des Médias Congolais, OMEC
Le congrès des journalistes a aussi créé l’OMEC. C’est une instance d’autorégulation qui travaillera sur les questions liées à l’éthique et à la déontologie. Elle peut faire des réprimandes publiques ou recommander le retrait de la carte de presse. L’OMEC est composée essentiellement de journalistes professionnels. Polydor Muboyayi en est le président. C’est un journaliste expérimenté, éditeur du quotidien de Kinshasa Le Phare.

“Il ne faut pas que ce soit le point de départ, parce que si vous dépénalisez totalement dans un environnement où la culture du journalisme, son niveau de formation n’est pas celui du niveau de formation des états où on a dépénalisé, ça risque d’ouvrir la voie aussi à des abus,” a-t-il confié au CPJ.

Kamerhe a ajouté que la pauvreté était aussi un facteur: “On dit chaque jour que nous avons un sous-sol très riche, mais en réalité les gens vivent une pauvreté comparable à celle de la Somalie. Des gens comme ça, vous comprenez, avec son stylo il peut chercher à manger, et il ne peut pas hésiter à marcher sur les règles du métier.”

Bon nombre de journalistes qui se sont entretenus avec la délégation du CPJ ont exprimé leurs préoccupations concernant la qualité du journalisme en RDC. Ils ont cité la faiblesse de l’économie, les bas salaires et les conditions déplorables de travail comme étant des menaces pour l’indépendance des journalistes et autres organes de presse. Selon Kabeya Pindi Pasi, président de l’Union Nationale de la Presse Congolaise (UNPC), la plupart des journalistes n’ont pas de contrat de travail, et beaucoup n’ont reçu aucune formation.

Des articles anti-Rwanda et anti-ONU étaient particulièrement fréquents pendant la chute de Bukavu. Par exemple, le quotidien L’Avenir a publié un article non corroboré selon lequel les Nations Unies auraient escorté les troupes rwandaises à leur entrée à Bukavu. Ce même article a été publié au moins deux fois en première page, les 3 et 7 juin. L’édition du 7 juin contenait également, dans les pages intérieures, un article intitulé “Des Rwandais font la loi à Kinshasa”, qui rapportait des rumeurs non corroborées comme quoi des femmes rwandaises auraient infiltré Kinshasa en vue de séduire et empoisonner des hommes Congolais.

A la une de sa parution du 3 juin, le quotidien Le Palmarès a prétendu que le président rwandais, Paul Kagame, avait envoyé 4.000 hommes pour aider les rebelles de Bukavu, mais s’était abstenu de donner la source de cette information. Pendant les émeutes de Kinshasa, certaines chaînes de télévision diffusaient en direct des reportages non-édités contenant, d’après des sources du CPJ, des interviews inflammatoires.

Pour certains journalistes, la solution aux problèmes de professionalisme réside dans les instances de régulation des médias, dont trois ont été mises en place récemment.

Selon Tshivis Tshivuadi, Secrétaire-Général de JED, la plupart des journalistes reconnaissent le besoin d’améliorer le niveau de professionalisme, et des mesures appropriées sont en train d’être prises. Maintenant, selon Tshivuadi, la balle est dans le camp du gouvernement pour faire en sorte que les journalistes puissent faire leur travail en toute liberté et toute sécurité.

“Aujourd’hui nous pensons franchement qu’avec l’existence de la Haute Autorité des Médias, l’existence de l’Observatoire des Médias, toutes les conditions sont réunies pour qu’au niveau politique on puisse prendre une mesure,” a dit Tshivuadi. “Nous avons appelé le pouvoir a prendre une mesure politique, donner un signal qui va dans le sens de dire qu’on est disposé à pouvoir permettre à ce que les journalistes puissent travailler en toute liberté, sans avoir cette peur, cette pression de pouvoir aller en prison à tout moment.”