A publication of the Committee to Protect Journalists
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Coming in the Fall/Winter issue |
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KINSHASA, République démocratique du Congo ‘est l’heure des visites au Centre Pénitentiaire et de Rééducation et de longues files de femmes aux foulards multicolores attendent pour apporter de la nourriture à des proches détenus dans cette prison sale et surpeuplée. Charles Mushizi est là également, comme chaque semaine, pour rendre visite aux journalistes. Mushizi est le conseiller juridique de l’organisation congolaise de défense de la liberté de presse Journaliste en Danger (JED). En ce dimanche de juin, il y a cinq journalistes emprisonnés, y compris trois nouveaux arrivants jetés en détention préventive pour avoir prétendument diffamé des dignitaires locaux. Un des journalistes, diabétique, est tombé malade à cause des conditions alimentaires et sanitaires insuffisantes de la prison. Mushizi se fraie un chemin à travers les allées surpeuplées de la prison et les journalistes sont amenés un par un dans une cour, pour le rencontrer en compagnie de deux représentants de CPJ. Les journalistes se plaignent du non respect de la procédure et des conditions d’hygiène déplorables. Avant son départ, Mushizi va voir le directeur de la prison, qui promet de transférer le journaliste malade dans un endroit plus sain. Mais il faudra encore une avalanche de lettres de JED, qui suit le cas, avant que le journaliste, Albert Kassa Khamy Mouya, bénéficie finalement d’une libération conditionnelle. C’est le genre de travail, ardu et obstiné, que JED accomplit quotidiennement dans ce pays d’Afrique centrale où les journalistes sont toujours exposés à la violence, au harcèlement et à l’emprisonnement. Fondée il y a six ans sous le régime brutal de l’ancien président Laurent Kabila, JED fournit une aide juridique et pratique aux journalistes en danger et fait pression pour obtenir de la part du gouvernement des réformes. “Créer JED était une forme de révolte contre les arrestations, les matraquages et la censure systématique des médias,” déclarent Donat M’baya Tshimanga, président de JED depuis sa création. M’baya et le secrétaire général Tshivis Tshivuadi, deux journalistes professionnels, ont été eux-mêmes mis en danger par des articles qu’ils avaient publié. n mai 1997, Tshivuadi avait été forcé de fuir Kinshasa et avait passé six mois dans la clandestinité à la suite d’un article qu’il avait écrit dans Le Phare, un quotidien de Kinshasa dont il était rédacteur en chef adjoint. L’article accusait l’ancien président Laurent Kabila, qui venait de prendre le pouvoir, d’essayer de mettre sur pied une armée sur base ethnique, semblable à celle du dictateur déchu Mobutu Sese Seko. Le rédacteur en chef du journal Le Phare avait été arrêté le lendemain, battu et torturé, alors que des agents gouvernementaux de sécurité se mettaient à pourchasser Tshivuadi. Une fois dans la clandestinité, raconte-t-il, sa famille s’était trouvée sans ressources et sans savoir où il était. “J’ai alors réalisé que nous avions besoin d’une organisation pour défendre et protéger les journalistes,” dit Tshivuadi. “Donat et moi, on en a parlé. Cela nous a fait penser qu’il fallait créer un telle organisation.” C’est ainsi que M’baya et Tshivuadi ont commencé à travailler dans un petit bureau, sans enseigne, avec une seule secrétaire, écrivant à la main des articles pour dénoncer publiquement les attaques contre la presse. JED a pris une dimension internationale, en octobre 1999, lorsque elle devint membre d’IFEX, un réseau pour l’échange international de la liberté d’expression, basé au Canada, qui diffuse dans le monde entier les alertes rédigées par JED. Pour la Coordinatrice du Programme d’extension et développement d’IFEX, Kristina Stockwood, JED est “indispensable”. “Depuis qu’ils sont actifs sur le terrain, nous avons une source d’information incroyablement fiable et crédible pour couvrir des cas dont nous n’aurions rien su sans cela,” ajoute Stockwood. “Voir de l’information sortir du pays puis y revenir à travers les agences de presse internationales, cela provoque aussi un impact positif sur les autorités de la RDC. “ L’incertitude et les dangers qui menacent le travail de JED ont été mises en évidence en janvier 2001, lorsque ses responsables ont été contraints à la clandestinité après avoir été accusés par le gouvernement de Laurent Kabila de travailler pour les rebelles soutenus par le Rwanda. L’accusation équivalait à une condamnation à mort, dans un pays en guerre avec ses voisins de l’Est, et des agents de la sécurité s’étaient mis à leur poursuite. Ce n’est qu’après l’assassinat de Kabila père, un peu plus tard le même mois, et l’installation de son fils Joseph comme président, que JED a pu ouvrir à nouveau son bureau. Aujourd’hui, M’baya et Tshivuadi ont une équipe de cinq personnes travaillant pour eux et le logo de JED est visible de tous à l’entrée du bureau. Parmi leurs amis et relations, il y a les principales organisations internationales et africaines de défense de la liberté de presse, des contacts dont ils pensent qu’ils les protègent de l’arrestation. Sous Joseph Kabila, la RDC a signé un accord de paix conduisant à des élections démocratiques en 2005; la constitution transitoire garantit la liberté de la presse, même si les autorités ne respectent pas toujours cette garantie. Les attaques contre la presse restent fréquentes, comme l’ont montré les menaces, harcèlements et emprisonnements de plusieurs journalistes depuis que des rebelles soutenus par le Rwanda ont pris brièvement en juin le contrôle de la ville de Bukavu, à l’Est du pays. Mais désormais, affirme Tshivuadi, “Aucun cas de violation de la liberté de presse ne peut passer inaperçu. Les gens vont savoir dès qu’un journaliste est emprisonné, par exemple. Et cette pression contribue énormément à sa libération.” ctuellement, JED s’engage aussi politiquement, en menant une campagne pour supprimer les sanctions pénales frappant les “délits” de presse et en dénonçant les abus du système judiciaire. “Le plus grand danger pour la maison que nous sommes en train de bâtir et qui s’appelle la démocratie au Congo, c’est notre système judiciaire,” déclare M’baya. “Quand vous n’avez pas d’argent, vous n’aurez jamais raison devant les cours et tribunaux. Les journalistes sont faibles et ils n’ont pas l’argent. Chaque fois que quelqu’un se plaint contre un journaliste, la première action, c’est que le juge met la main sur le journaliste et l’envoie en prison.” JED est convaincue qu’aucun journaliste ne doit être emprisonné à cause de son travail, mais elle est préoccupée par la qualité du journalisme en RDC. “Beaucoup de cas que nous avons rencontrés d’arrestation et d’emprisonnement de journalistes sont dus aussi au fait que les journalistes ne respectent pas toujours leur code d’éthique et de déontologie,” déclare Tshivuadi. “Il y a beaucoup de journalistes qui sont dans la profession et qui ne sont pas forcément passés par les écoles de formation pour savoir comment on collecte, on traite et on diffuse l’information.” M’baya et Tshivuadi travaillent à accroître les efforts de JED en matière de formation, spécialement dans la période de préparation aux élections de l’an prochain, le premier scrutin démocratique en RDC depuis l’indépendance en 1960. Ainsi, un atelier a réunit récemment des journalistes et des politiciens pour traiter des dangers des “médias de la haine”, une préoccupation omniprésente avec la propagande anti-Rwanda et anti-étrangers qui fait toujours des ravages dans la presse congolaise. En même temps qu’elle s’engage pour l’amélioration des standards professionnels, JED se concentre aussi sur les réformes à obtenir du gouvernement. “Toutes les avancées récentes de la liberté de la presse, selon Mbaya, doivent être regardées à lumière d’un simple fait: Pas une seule loi n ‘a été promulguée pour garantir le droit du public à l’information, ou pour protéger les journalistes du risque d’emprisonnement. ” Nous avons vu toutes les autorités possibles, nous avons demandé qu’ils posent un acte qui puisse démontrer qu’ils ont la volonté de changer les choses et de se démarquer de l’ancien régime,” ajoute M’baya. “Rien n’a été fait jusqu’à aujourd’hui. Alors nous considérons qu’il y a absence de volonté politique. On dit qu’on est venu chasser une dictature, qu’on est venu instaurer un régime démocratique mais on continue à s’appuyer sur des lois dictatoriales pour régir, c’est une contradiction.” Julia Crawford, coordinatrice du Programme Afrique de CPJ, responsable d’une mission de deux semaines en République démocratique du Congo en juin 2004. |