Policiers à Abidjan (Côte d’Ivoire), le 3 novembre 2020. Les autorités ont arrêté et harcelé des journalistes qui couvraient les manifestations suite à une élection présidentielle contestée. (AFP/Issouf Sanogo)

Journalistes détenus, attaqués alors qu’ils couvraient une élection contestée en Côte d’Ivoire

New York, le 17 novembre 2020 — Les autorités de Côte d’Ivoire doivent abandonner leur enquête sur le journaliste Yao Alex Hallane Clément et cesser d’intimider et de harceler les membres de la presse, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.

Le 3 novembre, des policiers ont arrêté Yao, un journaliste de la chaîne de télévision privée PDCI 24, ainsi qu’au moins 20 autres personnes au domicile du chef de l’opposition et ancien président Henri Konan Bédié à Abidjan, la capitale, et l’ont détenu jusqu’au 10 novembre, selon le journaliste, qui s’est entretenu avec le CPJ par téléphone, ainsi que des déclarations du Syndicat national des professionnels de la presse de Côte d’Ivoire (SYNAPP-CI), un groupe commercial local, et de Richard Adou, le procureur du gouvernement dans cette affaire.

Par ailleurs, le 9 novembre, des policiers en civil ont arrêté Stéphane Beti, un reporter de l’Agence de Presse Panafricaine, une agence de presse privée basée au Cameroun, alors qu’il faisait un reportage sur les manifestations à Yopougon, dans la banlieue d’Abidjan, a déclaré M. Beti au CPJ par téléphone. Les hommes l’ont battu et l’ont ensuite emmené à un poste de police local, où il a été interrogé et détenu pendant plusieurs heures, a-t-il précisé.

Des manifestations ont eu lieu en Côte d’Ivoire depuis la tenue des élections du 31 octobre, qui ont été contestées par une coalition de partis d’opposition, dont le Parti démocratique de Côte d’Ivoire dirigé par Bédié, selon des articles de presse.

« Les autorités ivoiriennes doivent assurer la sécurité des journalistes à tout moment, y compris dans le contexte des tensions politiques qui entourent les élections », a déclaré Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique du CPJ. « Le journaliste Yao Alex Hallane Clément n’aurait jamais dû être arrêté pour son travail ; toute poursuite judiciaire contre lui doit être immédiatement abandonnée, et les autorités doivent cesser de harceler les journalistes pour leur couverture politique ».

Yao a affirmé au CPJ qu’il se trouvait chez Bédié avec un cameraman de la chaîne PDCI 24 pour couvrir une conférence de presse lorsque la maison a été fouillée par la police. Yao a diffusé la descente sur Facebook, dans ce que Tonian Amalaman, directeur de PDCI 24 TV, a décrit au CPJ comme étant le dernier reportage de Yao avant son arrestation. Yao a déclaré avoir été arrêté bien qu’il se soit identifié comme journaliste, et que le cameraman avait pu partir.

Les agents de police ont emmené Yao dans un poste de police local, puis l’ont transféré à la Direction de la surveillance du territoire (DST), un établissement réservé aux terroristes présumés et autres criminels dangereux, où il a été détenu sans accès à un avocat pendant cinq jours, a-t-il précisé.

Les agents de police ont interrogé Yao et l’ont accusé d’être un « propagandiste » soutenant l’opposition lors de l’élection, a-t-il dit. Il a déclaré avoir dit à plusieurs reprises aux officiers qu’il était journaliste et non politicien. Yao a indiqué au CPJ que la ligne éditoriale de PDCI 24 TV est généralement favorable au parti de Bédié, sans pour autant avoir de lien financier avec lui.

Dans un communiqué de presse publié le 6 novembre par Adou, le procureur chargé de l’enquête sur le cas de Yao, le nom de Yao est cité comme suspect dans le cadre d’une enquête sur divers crimes présumés, notamment des « actes de terrorisme », des « meurtres » et la « publication et divulgation de fausses nouvelles ».

Yao a déclaré avoir été libéré le 10 novembre après l’intervention de groupes locaux dont le SYNAPP-CI, mais l’enquête n’a pas été abandonnée.

Le 9 novembre, Beti filmait avec son téléphone les manifestations liées à l’élection contestée et interrogeait les manifestants lorsqu’un policier en civil armé l’a arrêté et l’a fait monter de force dans un véhicule avec plusieurs autres hommes armés, a déclaré le journaliste au CPJ.

« Au moment de mon arrestation, à part les armes, rien n’aurait pu permettre de les identifier comme policiers », a déclaré Beti.

Beti a déclaré que les hommes l’ont battu avec leurs mains et une ceinture et ont essayé de saisir son téléphone, mais qu’il a résisté en insistant à plusieurs reprises qu’il était journaliste. Ils l’ont conduit au village de Kouté à Yopougon, où les hommes l’ont présenté devant un commissaire de police local en disant : « voilà, un journaliste camerounais », a déclaré Beti au CPJ.

Beti a précisé que les agents l’ont battu à nouveau, puis l’ont transféré dans un poste de police local où des agents ont saisi son téléphone et fouillé son contenu. Ils l’ont ensuite interrogé, lui demandant pourquoi il avait des contacts avec des personnalités de l’opposition ivoirienne et une image de moto qui avait été endommagée lors des manifestations post-électorales, a déclaré Beti, ajoutant que les officiers l’ont accusé de présenter une image négative de la Côte d’Ivoire dans sa couverture.

Beti a déclaré au CPJ que pendant sa détention, il craignait constamment d’être abattu s’il résistait.

Après l’intervention de groupes locaux, dont le SYNAPP-CI, l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI) et l’Association de la presse étrangère en Côte d’Ivoire (APECI), la police a libéré Beti sans charge vers 17h00. Les officiers lui ont rendu son téléphone et sa carte de presse, mais Beti a déclaré avoir perdu un sac noir contenant une clé USB.

Bleu Charlemagne, un porte-parole de la police nationale de Côte d’Ivoire, a déclaré au CPJ par téléphone qu’il ne pouvait pas commenter le cas de Yao, mais a déclaré que Beti avait été pris dans des arrestations de manifestants et a allégué qu’il ne s’était pas correctement identifié comme membre de la presse.

Charlemagne a déclaré qu’il n’était pas au courant de la fouille du téléphone de Beti par la police, et a nié que des officiers aient menacé Beti avec leurs armes. Lorsque le CPJ a envoyé un message à Charlemagne pour qu’il commente les allégations de Beti selon lesquelles des officiers l’auraient agressé, il n’a pas répondu.

Le CPJ a appelé Adou pour obtenir un commentaire, mais il n’a pas répondu.