New York, 13 janvier 2022 — Les autorités nigériennes ne devraient pas s’opposer aux recours en appel des journalistes Moussa Aksar et Samira Sabou, et devraient réformer la loi sur la cybercriminalité du pays pour veiller à ce qu’elle ne soit pas utilisée pour poursuivre la presse, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.
Le 3 janvier, Aksar et Sabou ont été reconnus coupables d’avoir enfreint la Loi sur la cybercriminalité de 2019 du pays par la Haute Cour de Niamey, capitale du Niger, selon Ahamed Mamane, l’avocat des journalistes qui s’est entretenu avec le CPJ par téléphone.
La cour a reconnu Sabou, rédactrice en chef du site d’information privé Niger Search et responsable du site d’information privé Mides-Niger, coupable de « diffamation par un moyen de communication électronique », selon Mamane et le dossier judiciaire examiné par le CPJ.
Aksar, directeur de publication du journal privé L’Evénement et président de la cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), un organe de presse et une organisation de journalisme d’investigation basés au Burkina Faso, a été reconnu coupable des mêmes chefs d’accusation de diffamation et de « diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine », selon ces sources.
Aksar a été condamné à deux mois de prison avec sursis et à une amende de 100 000 francs CFA (172 dollars), tandis que Sabou a été condamnée à un mois de prison avec sursis et à une amende de 50 000 francs (86 dollars), selon Mamane et ces documents.
Les journalistes ont fait appel des condamnations le 4 janvier ; Mamane a déclaré au CPJ qu’aucune date d’audience n’avait encore pas été fixée pour l’appel.
« Les autorités nigériennes ne devraient pas s’opposer aux appels des journalistes Moussa Aksar et Samira Sabou de leurs condamnations, et devraient plutôt se concentrer sur la réforme de leur loi sur la cybercriminalité afin de veiller à ce que les journalistes ne soient pas victimes de harcèlement légal », a déclaré Angela Quintal, Coordinatrice du programme Afrique du CPJ. « En Afrique et dans le monde, on se sert des lois portant sur la cybercriminalité pour poursuivre les journalistes qui partagent ou publient des nouvelles en ligne. C’est une tendance alarmante qui doit être renversée. »
Les chefs d’accusation découlent des liens des journalistes avec un rapport de mai 2021 sur le trafic de drogue au Niger, publié à l’origine par l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, une organisation basée en Suisse qui surveille le crime organisé.
L’Evénement a republié ce rapport sur son site Zeb, et Mides-Niger a publié un résumé du rapport, également relayé par Sabou sur sa page Facebook, selon Mamane et Sabou, qui s’est également entretenue avec le CPJ par téléphone. La page professionnelle Facebook de Sabou, où elle publie fréquemment des reportages et des commentaires, compte environ 110 000 abonnés.
En réponse à ce rapport, l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) a défendu son travail et a déclaré que le rapport contenait des « accusations totalement infondées ».
Les autorités ont arrêté et interrogé Sabou au sujet de ce rapport publié en mai et ont convoqué Aksar à ce sujet en juillet, selon une déclaration conjointe de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme et de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression.
En juin, l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants a déposé une plainte en diffamation contre l’Initiative mondiale ; il a retiré cette plainte en décembre, mais le procureur général du Niger a donné suite aux poursuites contre les journalistes pour avoir relayé le reportage, selon plusieurs articles de l’initiative et la lettre de demande de retrait que le CPJ a examinée.
Contacté hier par téléphone, le procureur général du Niger Chaibou Moussa Saidou Maïga a demandé que les questions sur l’affaire soient envoyées via une application de messagerie ; le CPJ a envoyé ces questions mais n’a reçu aucune réponse.
Lorsque le CPJ a appelé Omar Guero Dan Mallal, avocat de l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants, celui-ci a demandé au CPJ de rappeler une heure plus tard ; lorsque le CPJ s’est exécuté, personne n’a répondu. Les appels du CPJ au directeur de l’organisation, Boubacar Issaka Oumarou, sont également restés sans réponse.
Par ailleurs, en mai 2021, Aksar a été reconnu coupable de diffamation en vertu de la loi sur la cybercriminalité et condamné à payer une amende de 200 000 francs CFA (367 US$) et 100 0000 francs (1 835 US$) de dommages et intérêts pour un article paru dans L’Evénement en septembre 2020 alléguant un détournement de fonds publics au sein du ministère de la défense du pays, selon Mamane, les médias et un tweet de la cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest. Mamane a déclaré au CPJ qu’Aksar avait fait appel de cette condamnation et que la prochaine date de comparution était prévue pour le 14 mars. Auparavant, en juin 2020, Sabou avait été mise en examen pour cybercriminalité et emprisonnée à la suite d’une plainte en diffamation liée à des informations publiées sur sa page Facebook au sujet d’un audit de l’armée nigérienne, comme l’avait rapporté le CPJ à l’époque. Mamane a déclaré au CPJ que l’affaire avait été renvoyée pour examen devant la Cour de cassation, et que la prochaine date d’audience n’avait pas été fixée.