New York, le 7 janvier 2021 – Les autorités togolaises devraient permettre au journal L’Indépendant Express de publier librement et devraient s’assurer que son directeur, Komlanvi Ketohou, puisse travailler sans craindre d’être arrêté ou harcelé, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.
Dans la nuit du 29 décembre, les forces de sécurité armées ont arrêté Ketohou à son domicile dans la capitale, Lomé, l’ont mis en détention et l’ont accusé de d’avoir diffamé le gouvernement, selon les médias ainsi que le journaliste et son avocat, Wle-Mbanewar Bataka, qui se sont tous deux entretenus avec le CPJ par téléphone et par messagerie.
Le 2 janvier, la police a libéré le journaliste, également connu sous le nom de Carlos Ketohou, à la condition qu’il se tienne à la disposition des autorités « à tout moment », a-t-il déclaré au CPJ. Ketohou et Bataka ont affirmé n’avoir connaissance d’aucune plainte officielle ayant pu déclencher son arrestation.
Le 4 janvier, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et des Communications (HAAC), l’autorité de régulation des médias du pays, a ordonné à L’Indépendant Express de cesser ses activités, y compris ses publications imprimées et en ligne, selon une copie de la décision, Ketohou, et des articles de presse.
Aujourd’hui, Ketohou a reçu une citation à comparaître devant le tribunal de première instance de première classe de Lomé le 11 janvier en rapport avec la décision du régulateur, selon des articles de presse, Ketohou, et une copie de la citation examinée par le CPJ.
« La détention par les autorités togolaises du journaliste Carlos Ketohou et la fermeture forcée de son journal sont des violations flagrantes de la liberté de la presse dans le pays », a déclaré Muthoki Mumo, représentant du CPJ pour l’Afrique subsaharienne, à Nairobi. « Les autorités devraient cesser d’intimider la presse, et permettre à Ketohou de travailler sans crainte et à L’Indépendant Express de travailler librement ».
La décision du régulateur soutient qu’un reportage du 29 décembre de L’Indépendant Express a diffamé des membres du gouvernement, et accuse Ketohou de ne pas avoir fourni de preuves suffisantes pour le reportage du journal. Selon la décision, L’Indépendant Express n’a pas respecté les « règles professionnelles » prévues par les articles 159 et 160 du code de la presse togolais, qui concernent l’insulte aux fonctionnaires et la diffamation.
Le reportage de L’Indépendant Express du 29 décembre, dont le CPJ a examiné une copie, était intitulé « Scoop de fin d’année : Deux femmes ministres arrêtées pour vol de cuillères en or ». Le reportage n’identifie aucun fonctionnaire du gouvernement nominalement.
Ketohou a déclaré que des agents de sécurité sont arrivés chez lui au milieu de la nuit après la publication de cet article et l’ont arrêté devant sa famille. Il a ajouté que ses enfants en sont restés « traumatisés ». Pendant sa détention, les agents l’ont interrogé à plusieurs reprises sur l’article et ses sources, a-t-il dit. Les interrogateurs ont également saisi son téléphone et l’ont forcé à donner le mot de passe de ses comptes Facebook, Twitter, Instagram et de ses trois comptes de messagerie, a déclaré M. Ketohou au CPJ.
Ketohou a d’abord été détenu par la brigade anti-gang de la gendarmerie locale, puis, dans la nuit du 31 décembre, il a été transféré au Service central de recherche et d’investigations criminelles (SRCIC) de la gendarmerie. Il a déclaré au CPJ que les autorités ne lui avaient pas rendu son téléphone à la date d’aujourd’hui.
Suite à l’ordonnance de suspension de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et des Communications du 4 janvier, L’Indépendant Express est interdit de publication d’articles en attendant une décision de justice sur la question, selon Ketohou, les reportages des médias, et la copie de la décision du régulateur examinée par le CPJ.
Si le tribunal se range du côté du régulateur, il pourrait ordonner le retrait des permis d’exploitation du journal, le forçant ainsi à fermer, selon ces sources. M. Ketohou a déclaré au CPJ que L’Indépendant Express était effectivement fermé en attendant la décision du tribunal.
Les infractions relatives aux « professionnels des médias et aux entreprises de presse exerçant des activités de presse écrite, de presse audiovisuelle et de presse en ligne » sont régies par le code de la presse du Togo, plutôt que par son code pénal, selon un rapport du gouvernement de janvier 2020 et l’examen du code de la presse effectué par le CPJ.
Les violations de l’article 159 sont passibles d’amendes pouvant atteindre cinq millions de francs ouest-africains (9 380 dollars), et les violations de l’article 160 entraînent des amendes pouvant atteindre trois millions de francs (5 628 dollars) selon le code de la presse.
Le CPJ a appelé le procureur général togolais Blaise Essolizam Poyodi, le président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et des Communications Willybrond Télou Pitalounani, et Badibassa Babaka, un fonctionnaire du régulateur, pour recueillir leurs commentaires, mais ils n’ont pas répondu.
Ketohou a déclaré au CPJ que depuis son arrestation, sa femme avait reçu des appels menaçants de quelqu’un lui disant « Nous reviendrons, vous aurez de nos nouvelles » et lui demandant où elle et Ketohou se trouvaient. Il a dit qu’il pensait que les appels provenaient des mêmes forces de sécurité qui l’avaient arrêté.
Le CPJ a appelé ce numéro de téléphone, mais personne n’a répondu.