La sécurité nationale : un prétexte pour emprisonner les journalistes. Par Monica Campbell

(AFP/Jonathan Nackstrand)
 

La sécurité nationale : un prétexte pour emprisonner les journalistes

Par Monica Campbell

Le long d’un tronçon isolé du désert éthiopien, sous un ciel gris de juillet, des soldats ont traîné le journaliste Martin Schibbye d’un camion, l’ont soulevé, pointé leurs kalachnikovs sur lui et tiré. Les balles sifflaient au dessus de sa tête. « Je pensais que c’était fini », a déclaré Schibbye. « J’avais cédé ». En ce moment précis, il pensait que son confrère, le photojournaliste Johan Persson, était déjà mort. Les soldats avaient traîné Persson vers une direction différente et tiré à plusieurs reprises. Ces coups de feu, qui semblaient le manquer de peu, étaient destinés à l’intimider et à lui faire peur.

Les journalistes suédois Martin Schibbye, à gauche, et Johan Persson sont libérés de prison après avoir été détenus en Éthiopie sous des accusations de terrorisme. (AFP/Jonathan Nackstrand)

Les deux journalistes suédois ont été épargnés ce jour-là, mais ils n’ont pas retrouvé leur liberté. Pendant plus de 400 jours, ils ont été emprisonnés à Addis-Abeba, faisant la navette entre des cellules solitaires et des chambres infestées de rats et bondées de prisonniers, dont certains étaient atteints de tuberculose.

L’épreuve s’est terminée lorsque les deux journalistes, craignant des années de prison, ont finalement cédé. « Oui, nous avons collaboré avec les terroristes. C’est pourquoi nous avons été emprisonnés. Oui », ont-ils dit à la télévision d’État éthiopienne. « Nous respectons la cour ». Rien que des mensonges, bien sûr, ont déclaré Schibbye et Persson après leur libération en septembre 2012 par une grâce présidentielle. « C’était humiliant, mais nous nous sommes sentis obligés de dire ces choses-là…Nous ne savions pas trop s’ils allaient nous libérer », a déclaré Schibbye au CPJ.

Plus d’un an plus tôt, en juin 2011, les deux journalistes avaient franchi la frontière orientale de l’Éthiopie en passant par la Somalie et intégré des membres du Front national de libération de l’Ogaden (FNLO), un groupe séparatiste. «Nous avions entendu parler de viols, d’exécutions, et d’exode de la région de l’Ogaden, et qu’une compagnie pétrolière suédoise s’était établie là-bas », a déclaré Persson, qui s’est rendu en Éthiopie avec Schibbye, un pigiste, pour faire un reportage pour le magazine suédois Filtrer. «Nous avons voulu aller voir ce qui se passait à la source », a-t-il dit. Par la suite, ces journalistes ont été arrêtés lors d’un raid des forces de sécurité éthiopiennes contre le groupe séparatiste. Mais, contrairement aux cas des autres journalistes étrangers qui ont été expulsés pour des reportages sur des sujets que les autorités éthiopiennes ont voulu garder secrets, le Premier ministre de l’époque, Meles Zenawi, a qualifié les Suédois de «coursiers d’une organisation terroriste » et autorisé qu’ils soient poursuivis en vertu de la loi antiterroriste du pays. Les autorités éthiopiennes ont forcé les journalistes sous la menace d’armes à participer à des films de reconstitution de leur arrestation, des sketches comiques avec des acteurs civils incarnant le rôle de membres du FLNO et les journalistes jouant celui de complices. «C’était un cirque et nous craignions pour nos vies pendant tout son déroulement», a dit Schibbye.

Maintenant qu’ils sont de retour à Stockholm, les journalistes sont plutôt troublés par le sort des six journalistes qui sont encore derrière les barreaux en Éthiopie, dont le chroniqueur et bloggeur Eskinder Nega, lauréat du prix Barbara Goldsmith pour la liberté d’écrire de l’organisation internationale des écrivains, le centre Pen America. « Lorsque nous avons quitté la prison pour la dernière fois, tout le monde posait des acclamations…Ils disaient: Parlez de nous au monde entier. Dites-leur ce qui se passe ici », a déclaré Schibbye.


Les recherches du CPJ notent une hausse significative des emprisonnements de journalistes sdepuis 2000, un an avant les attentats du 11 septembre aux États-Unis d’Amérique qui ont causé le durcissement des lois relatives à la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme à travers le monde. Le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde entier a atteint 232 en 2012. 132 de ces journalistes ont été détenus sous des accusations d’implication dans des actes terroristes ou d’atteinte à la sécurité nationale. C’est un record depuis que le CPJ a commencé à documenter les cas de journalistes emprisonnées il y’a 27 ans. L’analyse du CPJ a souligné que les gouvernements ont exploité ces lois pour museler les journalistes indépendants faisant des reportages sur des sujets sensibles tels que les insurrections, les partis politiques de l’opposition et les minorités ethniques.

La dernière décennie a connu des vagues d’arrestations massives sur la base de telles accusations, commençant dans des pays comme l’Erythrée et Cuba, et puis, plus récemment en Turquie et au Vietnam. Les Etats-Unis d’Amérique ont permis de légitimer cette tactique en emprisonnant au moins 14 journalistes en Irak, en Afghanistan et à Guantánamo Bay dans la dernière décennie. Bien que la plupart n’aient jamais été formellement inculpés, tous ont été largement accusés par les autorités américaines d’avoir commis des délits liés à la sécurité ou au terrorisme. Les autorités américaines n’ont jamais étayé aucune de ces allégations.

Partout dans le monde, la vague formulation de lois sur la sécurité nationale et le terrorisme a permis aux autorités d’avoir toute latitude pour exercer des représailles contre les journalistes couvrant des sujets sensibles, selon des recherches du CPJ. En Chine, par exemple, l’article 103 du Code pénal pénalise l’«atteinte à l’unité nationale», permettant de poursuivre les journalistes faisant des reportages sur les minorités comme les Tibétains et les Ouïghours qui sont contre les politiques officielles. Les journalistes en Chine peuvent aussi être accusés en vertu des dispositions générales de l’article 105, qui stipule: «Quiconque incite d’autres en répandant des rumeurs ou des calomnies ou tout autre moyen de renverser le pouvoir de l’État ou de renverser le système socialiste sera condamné à une peine d’emprisonnement à durée déterminée ne dépassant pas cinq ans, la détention criminelle, la surveillance publique, ou la privation de ses droits politiques ».

En 2009, l’Ethiopie a adopté une nouvelle loi anti-terroriste formulée en des termes ambigus qui pourraient permettre d’emprisonner un journaliste pour n’importe quelle raison, allant de la couverture d’une manifestation anti-gouvernementale aux communications avec des groupes d’opposition interdits. Cette loi pénalise les reportages sur tout groupe que le gouvernement considère comme terroriste, une liste qui comprend non seulement les séparatistes du FLNO, mais aussi les partis d’opposition. L’Article 6 de cette loi stipule: « Quiconque publie ou cause la publication d’une déclaration susceptible d’être comprise par certains ou tous les membres du public à qui elle est destinée comme un encouragement direct ou indirect ou tout autre incitation à la commission, la préparation ou l’instigation d’un acte de terrorisme … est passible d’une peine d’emprisonnement de 10 à 20 ans ». Une nouvelle loi sur les télécommunications interdit également « l’utilisation de tout réseau ou appareil de télécommunications pour diffuser tout message terrorisant ou obscène ». Ce qui constitue un message « terrorisant » n’est pas défini et toute violation de cette loi est passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à huit ans.

En Ethiopie, au moins 11 journalistes ont été condamnés depuis l’entrée en vigueur de la loi antiterroriste en 2009. L’un des cas les plus connus concerne Eskinder, un journaliste qui a vécu à Washington avant de retourner à son Ethiopie natale dans les années 1990 pour lancer un journal indépendant. Les autorités ont longtemps ciblé Eskinder, en fermant ses journaux et en l’emprisonnant précédemment sous des accusations de complot contre l’État. Son épouse, la journaliste Serkalem Fasil, a donné naissance à un fils du couple alors qu’elle était emprisonnée il ya plusieurs années.

La dernière arrestation d’Eskinder est intervenue cinq jours après sa publication, sur un site d’informations Éthiopien basé aux Etats-Unis, d’un article dans lequel il a contesté l’affirmation du gouvernement selon laquelle les journalistes et les militants de l’opposition emprisonnés étaient en fait des terroristes. Les autorités ont déclaré que les commentaires d’Eskinder fournissaient un «soutien moral» à des individus et des groupes hors la loi et l’ont inculpé pour terrorisme. Après son arrestation, Eskinder a également été inculpé d’avoir eu des liens vers Ginbot 7, un parti politique interdit en Ethiopie basée aux États-Unis d’Amérique, et de trafic d’armes en provenance de l’Erythrée. Eskinder a nié ces accusations et les procureurs n’ont présenté aucune preuve le liant à un trafic d’armes ou toute autre activité terroriste. En juillet, un juge a condamné Eskinder à 18 ans de prison.

« Son histoire est un puissant symbole de la répression dramatique de la liberté d’expression en Éthiopie», a déclaré Jason McLure, ancien correspondant de Bloomberg en Ethiopie qui a travaillé avec Eskinder et qui milite pour sa libération à travers le blog FreeEskinderNega.com. « Il ne se pliera pas, et il est prêt à payer un prix fort pour cela », a-t-il dit.

Mais, bien que le prix fort soit payé par les personnes incarcérées, le public en souffre également. En Ethiopie et d’autres pays, les poursuites pour atteinte à la sécurité nationale ont muselé beaucoup de journalistes, selon des recherches du CPJ. Un journaliste éthiopien, qui s’exprimait sous couvert de l’anonymat par peur pour sa sécurité, a dit qu’il a été arrêté sur des accusations d’implication dans des actes terroristes après avoir fait des reportages sur les manifestations des musulmans contre les politiques gouvernementales considérées comme une restriction de la liberté religieuse. Craignant d’être emporté dans un tourbillon juridique, il abandonna les reportages sur les activités des musulmans dans le pays. « Il est très difficile d’être journaliste et d’exercer sa profession sans crainte d’être accusé en vertu de la nouvelle loi anti-terroriste », a-t-il déclaré au CPJ.


Les autorités iraniennes utilisent également les lois sur la sécurité nationale comme moyen pour intimider les journalistes, en particulier depuis l’élection présidentielle contestée de 2009. Les recherches menées par le CPJ depuis cette année révèlent que 40 à 50 journalistes ont été emprisonnés, un grand nombre d’entre eux purgeant des peines de longue durée dans des conditions inhumaines. Les poursuites, généralement sur des chefs d’accusations comme la « propagande contre le régime » et l’« atteinte à la sécurité nationale », ont découragé la couverture de l’actualité en Iran et poussé des rédacteurs et des éditeurs vulnérables à l’exil. Au moins 68 journalistes iraniens ont fui le pays depuis 2007, selon des recherches du CPJ.

La répression précède souvent les élections ou d’autres événements que les autorités iraniennes considèrent comme sensibles. En janvier 2012, avant les élections parlementaires du pays, la police a arrêté au moins une demi-douzaine de journalistes associés aux journaux réformateurs. Illustrant l’application radicale des lois sur la sécurité nationale pour répandre la peur, les autorités ont détenu le célèbre écrivain Marzieh Rasouli, qui avait fait des reportages sur les arts et la culture pour des journaux réformateurs, mais n’était pas connue pour sa couverture de l’actualité politique. Elle a été accusée d’ « atteinte à la sécurité nationale ».

Hadi Ghaemi, directeur de Campagne internationale pour les droits de l’homme en Iran basée à New York, a déclaré que le langage vague des lois permet l’arrestation de toute personne considérée comme un opposant politique. « Et cela pourrait s’empirer. Tandis que la tension internationale sur le programme nucléaire de l’Iran augmente, avec les querelles politiques avant l’élection présidentielle de juin prochain, les mesures visant à contrôler la presse par les lois relatives au complot contre l’État seront renforcés », a souligné Ghaemi.

Bien que les journalistes locaux constituent la majorité de ceux qui sont visés par les lois sur la sécurité nationale, les bureaux locaux des agences d’informations étrangères peuvent également être vulnérables. En Iran, l’agence d’informations britannique Reuters s’est vue retirer son accréditation au mois d’octobre pour une supposée « propagande contre le régime » après qu’un reportage vidéo sur un groupe d’arts martiaux à Téhéran a qualifié par erreur les participants d « assassins ». Reuters a publié un document rectificatif et précisé que le chef de son bureau d’Iran, Parisa Hafezi, une Iranienne, n’était pas impliquée dans la publication de la vidéo. Mais les autorités ont engagé des poursuites pénales contre Hafezi et, en septembre, un jury l’a déclarée coupable de complot contre de l’État. Le recours aux accusations de complot contre l’État à l’encontre du bureau d’informations local d’un organe de presse international, reflétait un changement de tactique inquiétant de la part des autorités iraniennes, a indiqué Ghaemi.

La Chine, l’un des pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde, a eu recours à des lois sur la sécurité nationale pour faire respecter les points de vue officiellement approuvés par le Parti communiste. Les journalistes qui contestent cette autorité s’exposent à un risque. Shi Tao, rédacteur en chef d’un journal, par exemple, est emprisonné depuis 2004 pour avoir envoyé par courriel à un organe de presse étranger, une directive du Parti communiste portant sur la façon de couvrir médiatiquement l’anniversaire des manifestations de la place Tiananmen. La directive, une série banale d’instructions qui exige aux médias de relayer la position officielle sur Tiananmen, a été rétroactivement classée secret d’État, et Shi a été condamné pour divulgation d’informations de nature à compromettre la sécurité nationale.

En 2008, les autorités chinoises ont commencé à recourir aux lois sur la sécurité nationale pour museler les journalistes indépendants qui font des reportages sur les groupes ethniques marginalisés. En décembre 2012, lorsque le CPJ a mené son dernier recensement en date des journalistes emprisonnés, plus de la moitié des 32 journalistes emprisonnés en Chine étaient des journalistes tibétains et ouïgours qui avaient fait des reportages sur les conflits ethniques, un sujet pour lequel le gouvernement central a travaillé dur en vue de le supprimer. Dans ces affaires comme dans d’autres, les autorités ont porté plainte pour incitation à la subversion, pour subversion de l’autorité de l’État, ou pour apologie de la désunion; dans la plupart des cas, les articles publiés ont constitué la première preuve. « Si vous êtes arrêté et inculpé, à ce stade, vous risquez fort d’être condamné », a déclaré Victor Clemens, un chercheur basé à San Francisco de « Chinese Human Rights Defenders », un réseau en ligne composé de défenseurs des droits humains. «vous verrez un blogueur [arrêté] pour avoir écrit sur des questions foncières ou sur un groupe religieux et flanqué de chefs d’accusations à peine définis pour des crimes décrits de façon laconique. C’est impitoyable», a-t-il souligné.

Au Vietnam, les autorités ont eu recours à des accusations de complot contre l’État dans le cadre d’une répression de portée toujours plus large contre les reportages critiquant les saisies de terres et les rapports du pays avec la Chine. Les journalistes en ligne sont très ciblés: tous les 14 journalistes emprisonnés en fin 2012, sauf un, travaillaient sur les plateformes numériques difficilement contrôlées par le vaste régime de censure de l’État. « C’est plus que le simple développement des médias en ligne», a déclaré Peter Noorlander, directeur exécutif de la « Media Defense League Initiative » basée à Londres, une organisation qui aide à payer les frais de défense et forme les avocats sur le droit des médias à travers le monde, y compris le Vietnam. « Ce à quoi nous assistons est une nervosité croissante de la part du gouvernement à propos des menaces pour son existence », a-t-il ajouté. En septembre, trois blogueurs qui ont cofondé le Club des journalistes libres, un site d’informations en ligne qui publiait des articles critiques à l’égard des relations entre le Vietnam et la Chine, ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de quatre à douze ans pour complot contre l’Etat pour l’exercice de leur profession de journaliste.

Quatre collaborateurs du site d’information en ligne Redemptorist News ont été emprisonnés pendant plus d’un an, trois d’entre eux inculpés en vertu de l’article 79 du code pénal pour implication dans des activités visant à renverser le gouvernement. Redemptorist News qui est géré par la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur, écrit sur la minorité catholique persécutée du pays, sur les litiges fonciers entre le gouvernement et les communautés de base, et sur d’autres questions sociales. «Nous avons nos propres journalistes, mais nous publions également des informations issues du peuple si nous sentons que nous pouvons dire quelque chose en leur nom», Dinh Huu Thoai, un prêtre qui aide à la rédaction du site, a confié au CPJ dans une interview réalisée en 2012. « Nous sommes là pour les sans voix », a-t-il poursuivi.


Bien que le gouvernement du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdo_an ait été primé pour avoir construit l’économie du pays et rehaussé son image internationale, il défend les journalistes de couvrir la question kurde ou d’aborder d’autres sujets politiques sensibles. Dans une vaste enquête menée en août 2012, le CPJ a documenté 76 journalistes emprisonnés en Turquie, dont au moins 61 en rapport direct avec leur travail. La quasi-totalité des journalistes emprisonnés font face à des accusations relatives à la sécurité nationale. Plus des trois quarts n’ont pas encore été reconnus coupables d’un crime et sont maintenus en détention en attendant la résolution de leur cas.

Parmi ceux qui sont emprisonnés en Turquie, près des deux tiers étaient des journalistes kurdes accusés d’avoir aidé des organisations terroristes en couvrant les points de vue et les activités du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK en kurde) interdits dans le pays. La quasi-totalité des autres journalistes emprisonnés est accusée d’avoir prétendument pris part à des complots contre le gouvernement ou d’avoir été membre de mouvements politiques interdits. Dans une Lettre adressée au CPJ en juin 2012, le ministre de la Justice Sadullah Ergin a justifié les poursuites pénales contre les journalistes, soutenant que la Turquie doit concilier la protection de la liberté d’expression avec la nécessité d’interdire « l’apologie de la violence et la propagande terroriste». Mais dans de nombreux cas, les analyses du CPJ ont montré que les autorités turques confondaient la couverture médiatique des groupes interdits avec les enquêtes concernant des sujets sensibles sur le terrorisme pur et simple ou d’autres activités contre l’État.

«Les journalistes ne font pas l’apologie du terrorisme. Ils ne demandent pas à leurs lecteurs de chercher une bombe et de tuer », a précisé Mehmet Ali Birand, ancien journaliste radio et chroniqueur en Turquie. « Pourtant, chaque fois que nous faisons un article sur les Kurdes ou des groupes séparatistes, nous subissons des pressions énormes de la part du gouvernement qui veut qu’ils soient traités comme des terroristes. Sinon, vous verrez le soir à la télévision un ministre ou un responsable du gouvernement vous citer pour ne pas en faire assez pour aider les forces de sécurité du pays », a-t-il souligné.

Les poursuites engagées contre deux éminents journalistes d’investigation Nedim Sener et Ahmet Sik, illustrent le caractère exagéré des poursuites turques. Les deux journalistes ont passé plus de 12 mois en détention pour avoir prétendument participé à un complot contre le gouvernement en écrivant ou en contribuant à des livres sur l’influence du mouvement islamique Fethullah Gülen sur les affaires publiques. Ces deux dossiers toujours pendants devant la justice en fin 2012, comportent des irrégularités et incohérences. Les charges, par exemple, ont été presque entièrement fondées sur des documents informatiques dont l’authenticité a été contestée. _ener a dit n’avoir jamais contribué à un livre sur le mouvement Gülen, bien qu’il ait longtemps fait l’objet de harcèlement de la part du gouvernement pour d’autres reportages critiques. Le plus inquiétant c’est que les autorités turques n’ont pas entièrement expliqué pourquoi le fait d’écrire sur l’influence politique d’un groupe pourrait constituer un crime contre la sécurité nationale.

Un tollé international a incité le gouvernement à libérer Sener et Sik alors que leur affaire est toujours pendante devant la justice. « Mais être libéré de prison ne signifie pas qu’on est libre », a indiqué Necati Abay, un journaliste basé à Istanbul et porte-parole de la Plate-forme turque pour la solidarité avec les journalistes arrêtés, un petit réseau qui suit les journalistes emprisonnés et coordonne les visites et autres formes de soutien à ceux-ci. « La menace c’est qu’on pourrait facilement être renvoyé en prison », a-t-il dit. Abay a été arrêté à plusieurs reprises dans le cadre de son travail, notamment en 2003 lorsqu’il a été accusé d’appartenir à un groupe marxiste interdit, une allégation qu’il a niée. Il a précisé que son arrestation n’était qu’un exemple d’une longue tradition de répression officielle de l’hebdomadaire socialiste, Atilim, où il a travaillé en qualité de rédacteur. Le gouvernement a fermé le journal à plusieurs reprises et régulièrement étiqueté son personnel comme des marxistes dangereux.

Les défenseurs de la liberté de presse intensifient leurs appels à l’endroit des gouvernements pour qu’ils suivent les normes internationales dans l’application des lois sur la sécurité nationale, en invoquant l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui garantit le droit de chercher, de recevoir et de diffuser des informations. Lorsqu’il était commissaire aux droits de l’homme pour le Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg a publié deux rapports détaillés qui ont identifié les lacunes du système turc de justice pénale, y compris sa définition large des délits de terrorisme et la durée excessive de ses procédures pénales. La Turquie a fait des réformes modestes en 2012, en réduisant certaines peines et en modifiant le système qui statue sur les affaires de terrorisme. Cependant, la mesure n’a pas changé fondamentalement la loi contre la terreur pour la débarrasser du vaste langage ambigu utilisé pour museler les informations et opinions critiques à l’égard du gouvernement.

Mats Johansson, membre du parlement suédois et rapporteur sur la liberté de presse pour le Conseil de l’Europe, a indiqué dans son propre rapport en 2012 qu’il y avait une détérioration de la démocratie turque qui s’est « traduite par un recul de la liberté de la presse ». Dans un entretien accordé au CPJ, Johansson a fait remarquer que la pression internationale nécessite une grande persistance. La classe politique turque, après tout, a utilisé ses détracteurs pour étayer ses propres arguments selon lesquels les étrangers ne doivent pas s’ingérer dans les affaires nationales. « Nous ne pouvons pas contraindre la Turquie à réformer ses lois…Ce que nous pouvons espérer, par contre, c’est que le changement progresse à mesure que la pression augmente au fil du temps. C’est un travail qui nécessite beaucoup de patience », avait lancé Johansson.

Le prix à payer en exerçant pas de la pression est énorme. Un journaliste a indiqué au CPJ qu’en Ethiopie, aujourd’hui, « les journalistes, les directeurs de publication, et les patrons de presse pratiquent l’autocensure. Toute opinion politique qui n’est pas du goût du gouvernement peut valoir à un journaliste une accusation de trahison », a-t-il souligné. Comme beaucoup d’autres journalistes, il a parlé sous le couvert de l’anonymat, craignant des représailles de la part du gouvernement.


Monica Campbell est journaliste basée à San Francisco qui travaille pour « The World » de Public Radio International. Mme. Campbell a travaillé pour le CPJ au Mexique, à Cuba et au Venezuela.


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