«Le Maroc censure et enferme les journalistes», souffle le CPJ à Hillary Clinton

Le 30 octobre 2009
Hillary R. Clinton
Secrétaire d’État
Département d’État américain  
2201 C St. NW
Washington, DC 20520-0099

Fax : +1 (202) 647-2283

Madame la secrétaire d’État,

Comme vous vous apprêtez à participer au Forum du Futur prévu à Marrakech la semaine prochaine, nous aimerions attirer votre attention sur la montée de la répression gouvernementale dans le pays hôte, le Maroc. Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), une organisation indépendante à but non lucratif qui défend la liberté de la presse dans le monde entier, a documenté une répression agressive contre les médias et les journalistes indépendants au cours des cinq derniers mois, notamment des cas  de harcèlement judiciaire, de poursuites politisées, d’obstruction, et de censure.

Ce mois-ci, un tribunal de Rabat a condamné Driss Chahtan, directeur de l’hebdomadaire indépendant Al-Michaal, à un an de prison ainsi que les journalistes Mostafa Hiran et Rashid Mahameed à trois mois de prison pour publication de « fausses nouvelles » sur la santé du roi Mohamed VI pendant une période où le monarque n’était pas vu en public. Les avocats de la défense ont déclaré au CPJ que leur procès ne répondait pas aux normes d’équité de base, soulignant notamment le refus du tribunal de permettre à la défense d’assigner des témoins. Nous sommes inquiets au sujet du traitement de M. Chahtan en prison ; des collègues ont signalé qu’il  a été harcelé par les gardiens de prison. Cette semaine, M. Chahtan a été a nouveau déclaré coupable, cette fois pour diffamation en rapport avec des articles alléguant que les proches du monarque avait reçu un traitement privilégié de la police. M. Chahtan et son co-prévenu Mostafa Adarim, un avocat  interviewé.par le journal, ont été condamnés à payer 500.000 dirhams marocains (soit 62,000 dollars américains) en dommages-intérêts.

Cette semaine aussi, un tribunal de Rabat a condamné Ali Anouzla et Bochra Daou, respectivement éditeur et reporter du quotidien Al-Jarida al-Oula sur la base d’accusations de publication de « fausses nouvelles » sur la santé du roi. Ces deux journalistes, qui ont été condamnés avec sursis, avaient également abordé des questions relatives à la santé du roi pendant la période où il n’était pas vu en public. Auparavant, Le CPJ avait documenté des accusations politiquement motivées contre M. Anouzla et son journal. Un tribunal de Casablanca avait en mars dernier condamné M. Anouzla ainsi que Jamal Boudouma, directeur de la publication dudit journal, à des peines de prison avec sursis et des amendes de 200.000 dirhams (24.190 dollars) chacun, pour « diffamation » et « insulte à la justice ». Trois mois plus tôt, un autre tribunal avait condamné M. Anouzla à une amende dans le cadre du même article.

En juin dernier, un tribunal de Casablanca a infligé des amendes et des dommages-intérêts à trois quotidiens indépendants pour avoir « diffamé et porté atteinte à la dignité » du leader libyen, Mouammar Kadhafi. Le tribunal a condamné ces trois journaux, notamment Al-Massae, le principal quotidien du pays, Al-Jarida Al-Oula  et Al-Ahdath Al-Magrebia, à payer chacun une amende de 100.000 dirhams (soit 12.484 dollars américains) et des dommages-intérêts d’un million de dirhams (soit 125.213 dollars américains) à Kadhafi. Les journaux avaient publié des articles critiques à l’égard du dirigeant libyen.

Par ailleurs, la distribution du numéro du 15 juillet dernier du quotidien français Le Monde a été retardée et la distribution de l’hebdomadaire français Le Courrier International pour la semaine du 9 au 15 juillet dernier interdite par les autorités marocaines, selon des médias français et marocains. Le numéro du Monde portait un point de vue contestataire du journaliste lauréat, Aboubakr Jamaï, ancien directeur de publication de l’hebdomadaire marocain Le Journal Hebdomadaire, dans lequel il disait que le roi avait été hostile à l’égard du journalisme indépendant. En 2006, M. Jamaï avait été contraint à l’exil à la suite d’une décision de justice pour diffamation qui était politiquement motivé et sans précédent. Le numéro interdit du Courrier International avait reproduit un article du magazine marocain, Le Journal Hebdomadaire. L’article en question avait détaillé la richesse du roi Mohamed VI, en marge d’une caricature.

 En outre, Trois numéros du journal Le Monde ont été interdits de distribution dans le pays la semaine dernière, apparemment parce qu’ils ont repris des caricatures éditoriales de journaux marocains sur le roi. Un numéro d’El Pais a également été interdit la semaine dernière pour la même raison.

Le 1er août dernier, les autorités marocaines ont saisi 100.000 exemplaires des deux principaux hebdomadaires du pays, TelQuel et sa publication sœur en langue arabe, Nichane, après qu’ils ont publié les résultats d’un sondage dans lequel les Marocains ont été invités à évaluer leur roi. Plus de 90 pour cent des répondants ont exprimé des avis favorables sur le roi. Dans une déclaration, le ministre marocain de la Communication, Khalid Naciri, a qualifié le sondage d’« attaque » et déclaré qu’il n’était « pas autorisé ». Dans sa déclaration, M. Naciri a souligné que la monarchie n’est pas un sujet permis pour les sondages et le journalisme critique. Quant au ministère marocain de l’Intérieur, il a déclaré que ces journaux ont agi en violation de l’article 38 du code de la presse au Maroc, qui interdit d’offenser le roi.

En septembre dernier, le ministre marocain de l’Intérieur a fermé le quotidien Akhbar al-Youm, pour des allégations de « manque de respect flagrant à un membre de la famille royale ». Dans son numéro du week-end du 26 au 27 septembre dernier, le journal avait publié une caricature à propos du mariage d’un cousin du roi. La fermeture de ce journal populaire reste maintenue.

Le gouvernement marocain a été félicité pour des réformes entreprises pour la première fois il ya une décennie. Cependant, au cours des cinq dernières années, le CPJ a documenté un  recul alarmant et régulier de la liberté d’expression.

Le Forum du Futur, comme vous le savez, offre aux leaders politiques et sociaux ainsi qu’aux chefs d’entreprise du Moyen-Orient et des pays industrialisés un  cadre de discussion sur la promotion de la liberté et la démocratie dans la région. Pourtant, nous notons, avec une profonde inquiétude, la détérioration de la liberté d’expression au Maroc même. Le Maroc et les États-Unis d’Amérique ont été les coorganisateurs du premier Forum pour le Futur, qui a eu lieu à Rabat en 2004. Nous espérons que vous profiterez de ce partenariat en cours pour faire comprendre aux autorités marocaines qu’une presse libre est une composante essentielle de toute société libre.

Merci de l’attention que vous prêtez à ces questions importantes. Nous sommes impatients de recevoir votre réponse.

Veuillez agréer, Madame la secrétaire d’État, l’expression de nos sentiments distingués,

Joël Simon
Directeur exécutif