La chaîne camerounaise Équinoxe TV a diffusé l’image d’un studio de télévision vide avec le mot « censuré » pour protester contre la suspension par le régulateur de son émission politique dominicale. (Capture d'écran : YouTube/Équinoxe TV)

Le Cameroun intensifie la censure des médias à l’approche des élections de 2025

Dakar, le 2 octobre 2024 – Après un mois à regarder l’image d’un studio de télévision vide avec le mot « censuré » à l’écran, les Camerounais peuvent enfin regarder à nouveau l’émission politique dominicale phare d’Équinoxe TV « Droit de Réponse ».

La station privée s’est attirée les foudres du Conseil national de la communication (CNC) du Cameroun, qui a jugé qu’elle avait porté atteinte à la réputation de deux ministres du gouvernement du président Paul Biya, âgé de 91 ans, qui dirige ce pays d’Afrique centrale depuis 1982. L’émission et son présentateur, Duval Fangwa, ont été suspendus pendant un mois. L’émission dominicale de remplacement « Le Débat 237 », diffusée par Équinoxe TV, a également été rapidement interdite par le CNC.

Malgré le retour de Droit de Réponse, les difficultés de la station sont loin d’être terminées.

Deux journalistes politiques d’Équinoxe TV ont déclaré au CPJ qu’ils avaient reçu des menaces de mort par téléphone et qu’ils avaient été menacés d’arrestation en lien avec leur travail.

« Chaque jour, quand je sors de chez moi, je sais que le pire peut arriver » a déclaré l’un d’eux, qui ne se sent pas en sécurité malgré son déménagement. L’autre journaliste se cache depuis le début du mois d’août. Tous deux ont refusé d’être nommés, invoquant des problèmes de sécurité.

Les attaques contre la presse se sont intensifiées alors que le Cameroun se prépare à des élections en 2025 qui pourraient voir Biya – l’un des présidents les plus anciens au monde – remporter un nouveau mandat de sept ans. Les tensions ont été exacerbées par le report des élections législatives et locales jusqu’en 2026, dont les opposants à Biya craignent qu’il ne renforce sa position dans le scrutin présidentiel.

« La réduction de la liberté d’expression et des médias a commencé. Les journalistes s’autocensurent sur ordre de leurs patrons ou rédacteurs en chef », a déclaré au CPJ Marion Obam, présidente de l’Union nationale des journalistes du Cameroun.

Obam a condamné ce qu’elle a qualifié de « volonté administrative de museler la presse », un arrêté préfectoral du 16 juillet interdisant de séjour dans le département du Mfoundi, qui comprend la capitale Yaoundé, toute personne qui « outrage dangereusement » les institutions ou les responsables gouvernementaux ou prend des mesures qui pourraient « entraîner de graves troubles à l’ordre public ». Emmanuel Mariel Djikdent, préfet du département du Mfoundi, s’est dit préoccupé par « les déclarations de certains invités dans les studios de télévision ou de radio ».

Djikdent a rapidement reçu l’appui du ministre de la Communication, René Sadi, qui a condamné une « recrudescence de l’utilisation d’un langage abusif » contre les institutions de l’État et a appelé à la « retenue ».

Depuis, le CPJ a documenté les évènements suivants :

  • 8 août
    Le CNC a suspendu pour un mois le journal privé Première Heure, son journaliste Alain Balomlog et son directeur de publication Jeremy Baloko pour avoir manqué aux exigences de « recoupement et d’équilibre » d’allégations de mauvaise gestion de la part du délégué régional à l’agriculture, Jean Claude Konde.
  • 13 août
    La police a scellé les portes de RIS Radio suite à la décision du 8 août du CNC de suspendre la diffusion et d’empêcher le directeur de la station, Sismondi Barlev Bidjocka, d’exercer la profession de journaliste pour une durée de six mois. Le CNC a déclaré que Bidjocka avait diffusé des « déclarations non fondées et offensantes » sur le puissant Ferdinand Ngoh, secrétaire général de la présidence, le 22 juillet.
  • 22 août
    Emmanuel Ekouli, rédacteur en chef de La Voix du Centre, a été agressé par trois hommes à moto à Yaoundé qui lui ont volé son ordinateur portable, son téléphone et son matériel d’enregistrement. Il a également été attaqué par trois hommes à moto le 9 juillet. Ekouli a reçu des menaces en lien avec son travail de journaliste et son travail avec l’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières, pour laquelle il a enquêté sur le meurtre en 2023 du journaliste Martinez Zogo, selon cinq captures d’écran examinées par le CPJ. Le journaliste de La Voix du Centre, Guy Modeste Dzudie, a déclaré au CPJ que lui et Ekouli avaient également reçu des appels et des messages de menace à la suite d’un article publié en juin sur la corruption dans une affaire d’héritage.
  • 28 août
    AmadouVamoulké, ancien directeur général de la Cameroon Radio and Television publique du Cameroun, a été condamné à 20 ans de prison pour détournement de fonds. L’homme de 73 ans est emprisonné depuis 2016 et a été condamné à une peine de 12 ans en 2022 dans le cadre d’une autre accusation de détournement de fonds. Le CPJ estime que son emprisonnement est une mesure de représailles contre son indépendance journalistique face aux directives du gouvernement.
  • 4 septembre
    La police a arrêté le reporter du Zénith, Stéphane Nguema Zambo, alors qu’il se rendait à un rendez-vous dans le cadre de son enquête sur les détournements de fonds au ministère des Enseignements secondaires, a déclaré au CPJ le directeur de la publication du Zénith, Zacharie Flash Ndiomo. Zambo a été menacé et contraint de publier un message sur Facebook rétractant ses conclusions avant d’être libéré le 6 septembre, selon Ndiomo.

« Nous traversons une période difficile », a déclaré François Mboke, président du Réseau des patrons de presse du Cameroun (REPAC). « Il y a des risques pour ceux qui veulent rester professionnels. » 

Le porte-parole du CNC, Denis Mbezele, a déclaré au CPJ que les sanctions du régulateur visaient à rappeler aux médias d’agir de manière responsable.

La porte-parole de la police, Joyce Cécile Ndjem, a refusé de répondre aux questions du CPJ si celui-ci ne se rendait pas à son bureau à Yaoundé.

Les demandes de commentaires par téléphone sollicitées par le CPJ auprès du bureau de la Présidence, du ministère de la Communication, du ministère de l’Agriculture, du ministère des Enseignements secondaires et de la préfecture du Mfoundi sont restées sans réponse.