Dakar, le 15 février 2024 — Les autorités camerounaises doivent libérer immédiatement le journaliste Bruno François Bidjang, abandonner les poursuites judiciaires engagées contre lui pour rébellion présumée et permettre aux journalistes de commenter librement les affaires publiques, a déclaré jeudi le Comité pour la protection des journalistes.
Le 6 février, les gendarmes du Secrétariat d’État à la Défense (SED) de Yaoundé ont convoqué Bidjang, directeur général du groupe de média privé L’Anecdote et présentateur de l’émission d’information de la chaîne de télévision Vision 4, au siège du secrétariat pour un interrogatoire. Il a ensuite été placé en garde à vue sur la base d’allégations de « rébellion » en lien avec une vidéo publiée sur TikTok puis supprimée, selon son avocat Charles Tchoungang et un responsable de L’Anecdote qui a demandé à garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.
Le 8 février, Bidjang a comparu devant un tribunal militaire de Yaoundé, où un juge l’a renvoyé devant le SED pour une « enquête plus approfondie ». Bidjang a comparu à nouveau devant le tribunal le mardi 13 février et a de nouveau été interrogé, selon une personne proche du dossier qui a demandé à garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.
« Les autorités camerounaises doivent immédiatement libérer Bruno Bidjang sans inculpation et abandonner leur enquête sur les allégations de ‘rébellion’ à son encontre », a déclaré Angela Quintal, responsable du programme Afrique du CPJ, depuis New York. « Les journalistes doivent être libres de commenter les questions d’intérêt public et de faire part de leurs critiques sans crainte de représailles. »
Tchoungang a déclaré au CPJ que les enquêteurs avaient interrogé Bidjang au sujet d’une vidéo TikTok qu’il avait publiée début février dans laquelle il parlait d’une personnalité locale, Hervé Bopda, qui a été arrêtée le 31 janvier après que des allégations selon lesquelles il aurait commis plusieurs viols et agressions sexuelles ont suscité l’indignation nationale.
Bidjang a évoqué dans la vidéo TikTok le tollé général qui a conduit à l’arrestation de Bopda et a déclaré qu’il y avait d’autres « choses plus importantes sur lesquelles le peuple camerounais ne se concentre pas », telles que « l’état des routes, l’accès à l’eau, à l’électricité et le détournement de fonds », selon le CPJ qui a visionné la vidéo.
En vertu du code pénal camerounais, la rébellion par celui qui « incite à résister à l’application des lois, règlements ou ordres légitimes de l’autorité publique » est punie d’une peine d’emprisonnement de trois mois à quatre ans.
Denis Omgba Bomba, directeur de l’observatoire des médias au ministère camerounais de la Communication, a déclaré au CPJ qu’il n’était pas au courant des faits concernant l’affaire, mais que L’Anecdote avait publié un communiqué qui « était clair » sur les allégations contre Bidjang.
Le communiqué publié le 7 février par la responsable de la communication de L’Anecdote, Christine Toulou Ndzana, indique que les propos de Bidjang portent « atteinte aux institutions républicaines » et qu’une enquête a été ouverte pour « dégager les responsabilités ».
Le même jour, dans un mémo diffusé par des sites d’information, L’Anecdote a interdit à ses salariés de faire « des analyses, des commentaires ou tout simplement de donner leur avis sur des sujets d’actualité sur leurs réseaux sociaux ».
Le fondateur et PDG de L’Anecdote, Jean-Pierre Amougou Belinga, a été arrêté en février 2023 en lien avec la torture et le meurtre du journaliste camerounais Martinez Zogo, qui avait accusé Belinga de corruption. Belinga est toujours en détention provisoire à la prison de Kondengui, dans la capitale, Yaoundé. Bidjang, qui a également été arrêté l’année dernière en lien avec le meurtre de Zogo, a finalement été libéré dans l’attente de l’enquête, comme l’a rapporté le CPJ à l’époque. Bidjang a récemment été interrogé à nouveau sur le meurtre de Zogo, mais, selon son avocat, cela n’a aucun lien avec sa dernière arrestation.
Le 8 février, le ministre des Communications, René Sadi, a publié un communiqué de presse général affirmant que la liberté d’expression ne saurait être comprise comme le droit à des excès de toute nature, notamment « l’incitation à la sédition et même l’hostilité contre la patrie ».
Avec six journalistes emprisonnés au 1er décembre 2023, le Cameroun occupe le troisième rang des pays qui emprisonnement le plus de journalistes en Afrique subsaharienne dans le recensement carcéral annuel du CPJ. Un journaliste, Stanislas Désiré Tchoua, a été libéré le 28 décembre après avoir purgé une peine de prison pour diffamation et injure.