Légende: Les journalistes Yacouba Ladji Bama (à gauche) et Issaka Lingani ont été réquisitionnés début novembre. (Captures d'écran : avec l'aimable autorisation de Yacouba Ladji Bama (à gauche), YouTube/Presse Echos)

Le Burkina Faso réquisitionne 2 journalistes critiques à l’égard de la junte, un autre craint d’être enlevé 

Dakar, le 22 novembre 2023—Les autorités burkinabè doivent révoquer la conscription militaire des journalistes Issaka Lingani et Yacouba Ladji Bama et assurer la sécurité du journaliste Boureima Ouedraogo face aux menaces d’enlèvement, a déclaré mercredi le Comité pour la protection des journalistes.

Au début du mois de novembre, l’armée a ordonné à Lingani et à Bama de se présenter à un entraînement militaire, puis de rejoindre ses opérations de sécurité dans le nord-ouest, ont déclaré les deux journalistes au CPJ, qui a également examiné une copie de l’ordre de conscription de Lingani.

Lingani, directeur du journal privé L’Opinion, et Bama, journaliste d’investigation et directeur du site d’information privé BamYinga, se sont tous deux montrés critiques à l’égard des autorités burkinabè dans leurs récents reportages.

« Les autorités burkinabè doivent permettre aux journalistes Yacouba Ladji Bama et Issaka Lingani de travailler librement et d’informer le public sur ce qui se passe au Burkina Faso, et non pas les forcer à rejoindre l’armée », a déclaré Angela Quintal, coordonnatrice du programme Afrique du CPJ à Johannesburg. « Les efforts de lutte contre l’insécurité au Burkina Faso doivent notamment viser à assurer la sécurité des journalistes, au lieu d’être utilisés comme des occasions de censurer la presse. » 

Le Burkina Faso, pays d’Afrique de l’Ouest, est dirigé par l’armée qui, comme d’autres gouvernements de la région, combat les insurgés djihadistes. L’armée a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en octobre 2022 – marquant la deuxième prise de pouvoir militaire du Burkina Faso en huit mois – et se bat pour reprendre des portions du territoire aux militants islamistes.

Une dizaine de journalistes, de militants de la société civile et d’opposants politiques ont reçu des ordres de conscription ce mois-ci en vertu d’une loi d’urgence sur la mobilisation générale adoptée le 13 avril, selon des groupes de défense des droits de l’homme. Les lois sur la conscription devraient être appliquées de manière non discriminatoire, plutôt que de cibler les individus qui critiquent la junte, ont déclaré ces groupes. L’anesthésiste Arouna Louré fait partie des personnes réquisitionnées, après avoir publié des commentaires critiques sur Facebook sur la réponse de l’armée à l’insurrection.

Lingani a déclaré au CPJ qu’il croyait qu’on lui avait ordonné de combattre à cause de ses reportages, et qu’il s’était caché. Bama, qui se trouvait à l’étranger lorsque l’ordre a été émis, pense que cet ordre est une tentative visant à l’empêcher de continuer à publier.

Lingani est intervenu en tant que commentateur dans l’émission « Presse Échos », une émission d’analyse politique diffusée sur la chaîne de télévision privée BFI, au cours de laquelle il a critiqué le gouvernement. Bama a régulièrement critiqué les autorités sur sa page Facebook, qui compte plus de 30 000 abonnés.

Pendant des années, Bama a fait l’objet de menaces en raison de ses reportages. Récemment, des messages, que le CPJ a examinés, ont été publiés sur les réseaux sociaux appelant à son arrestation. D’autres messages menaçaient de le tuer, a-t-il déclaré.

Le 7 novembre, un groupe d’avocats a fait appel de la conscription des deux journalistes et de cinq membres de la société civile et a accusé les autorités d’« abus de pouvoir », selon le communiqué de presse des avocats examiné par le CPJ et les médias. L’un des avocats, Olivier Yelkouni, a déclaré au CPJ qu’aucune date d’audience n’avait été fixée pour l’appel.

Le 20 novembre, un tribunal administratif de la capitale, Ouagadougou, a rejeté une autre demande déposée par les avocats visant la suspension des ordres de conscription de quatre hommes, dont Lingani, selon Yelkouni, Lingani et les médias.

Les avocats ont fait appel de la décision et attendent une date d’audience, a déclaré Lingani.

Par ailleurs, le 19 octobre, un tribunal de Ouagadougou a reconnu Boureima Ouedraogo, directeur de publication du journal privé Le Reporter, et Aimé Kobo Nabaloum, son rédacteur en chef, coupables de diffamation, et les a condamnés à payer conjointement 2 millions de francs CFA (3,258 dollars) de dommages et intérêts au ministre burkinabè de l’Économie et des Finances, Aboubakar Nacanabo, au directeur général des douanes, Mathias Kadiogo, et au directeur des impôts, Daouda Kirakoya, pour un article publié en juin les accusant de mauvaise gestion, selon les médias.

Le 26 octobre, des pages Facebook pro-gouvernementales ont publié des messages accusant Ouedraogo d’être à l’origine d’une page Facebook critique à l’égard de l’armée appelée Henri Sebgo, et de tenter de déstabiliser le gouvernement.

Le CPJ a également écouté un message audio diffusé sur WhatsApp accusant Ouedraogo de la même chose. Ouedraogo a déclaré au CPJ que les publications sur Facebook et le message audio lui font craindre pour sa sécurité et que des sources l’avaient averti qu’il risquait d’être kidnappé.

Les appels du CPJ au ministère de la Défense et au porte-parole du gouvernement, Jean Emmanuel Ouedraogo, sont restés sans réponse.