Le siège de la Radio Télévision Communautaire Babombi en République démocratique du Congo. Ce média et la Radio Communautaire Amkeni Biakato ont récemment reçu des menaces de la part des forces de sécurité. (Photo : RTCB)

Les forces de sécurité congolaises menacent deux stations de radio suite à des reportages sur des abus de militaires

Dakar, le 6 avril 2021 — Les autorités congolaises doivent assurer la sécurité des journalistes du média privé Radio Télé Communautaire Babombi (RTCB) et du média communautaire Radio Communautaire Amkeni Biakato (RCAB), et s’abstenir de les menacer pour leurs reportages, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.

Selon Joel Musavuli Mumbere, directeur de la RTCB, et Parfait Katoto, directeur de la RCAB, qui se sont entretenus avec le CPJ via une application de messagerie, les forces de sécurité ont à plusieurs reprises menacé et intimidé le personnel des deux radios basées dans la province de l’Ituri à propos d’un reportage qu’ils ont diffusé le 10 mars. 

Ce reportage que le CPJ a examiné, comprenait un clip audio d’un militant local des droits de l’homme alléguant qu’un responsable militaire local supervisait la détention et la torture d’adultes et d’enfants dans un cachot souterrain d’un camp militaire de la province.

« Les forces de sécurité de la République démocratique du Congo doivent cesser de se comporter comme des censeurs et veiller à ce que les journalistes puissent couvrir librement les actions des militaires sans crainte d’intimidation ou de harcèlement », a déclaré Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique du CPJ, à New York. « Les responsables des menaces contre les stations de radio RTCB et RCAB doivent être identifiés et tenus pour responsables de leurs actes. »

Le siège de la Radio Communautaire Amkeni Biakato. (Photo : RCAB)

Mumbere a déclaré au CPJ que des agents de l’Agence nationale de renseignements sont venus le chercher le 10 mars au bureau de la RTCB « juste après l’édition du journal du soir », mais qu’ils sont repartis parce qu’il n’était pas à la station. Les agents sont revenus le lendemain et ont demandé aux membres du personnel pourquoi ils avaient diffusé cette émission, a-t-il précisé, ajoutant que les journalistes avaient le sentiment d’être menacés.

« Devant ces menaces, nous avons vraiment l’intention de fermer notre station car les choses vont de plus en plus mal », a déclaré Mumbere. « Nous ne nous reprochons rien. Nous avions vérifié les informations avant de diffuser [les allégations]. »

Le 11 mars, Katoto a aussi reçu un appel d’un acteur de la société civile local disant que des soldats le recherchaient, lui et son rédacteur en chef Simeon Kambale, « pour les faire arrêter », a-t-il dit au CPJ.

Katoto a déclaré que, depuis lors, il ne dormait pas chez lui, craignant pour sa sécurité. Il a ajouté que, le 15 mars, un officier militaire s’est rendu au bureau de la RCAB pour le chercher, mais qu’il n’était pas là ; l’officier a dit à un technicien radio d’informer Katoto de cette visite, sans dire pourquoi.

Simeon Kambale, rédacteur en chef de la RCAB, a dit au CPJ via une application de messagerie qu’il avait reçu un appel téléphonique d’un militaire qui les a menacés que l‘armée fermerait la station et poursuivrait ses journalistes s’ils ne désavouaient pas le reportage du 10 mars. Lorsque le CPJ a appelé ce militaire, se présentant comme Moïse Felly, il a déclaré avoir appelé la station pour lui donner « des conseils sur la manière de mieux vérifier ses informations avant de les diffuser, à l’avenir ». Il a nié avoir menacé Kambale.

Le porte-parole de l’armée pour la province de l’Ituri, Jules Ngongo, a déclaré au CPJ via une application de messagerie le 1er avril qu’il lui fallait « deux heures » pour faire des vérifications sur l’affaire avant de pouvoir faire un commentaire ; il n’a pas répondu à plusieurs messages de suivi demandant un commentaire.  

Les journalistes de la province de l’Ituri ont été confrontés à une insécurité persistante ces dernières années ; en 2019, Papy Mumbere Mahamba, un reporter de la radio locale Radio Communautaire de Lwemba, a été tué après avoir diffusé des sensibilisations et des informations sur la réponse à une épidémie d’Ebola dans la région, selon les recherches du CPJ. Toujours en 2019, des individus non identifiés ont mis le feu au bureau de la RCAB et laissé des tracts menaçant ses employés, selon des articles de presse et Kambale.

En janvier 2020, des personnes non identifiées ont attaqué Katoto, lui ont volé son matériel d’enregistrement et lui ont ordonné de cesser sa couverture de l’épidémie d’Ebola qui sévissait à l’époque, a-t-il déclaré au CPJ. 

Depuis 2017, la province de l’Ituri a été le théâtre de massacres perpétrés par des milices rivales et d’autres groupes armés, et au moins 600 personnes ont été tuées dans ces attaques rien qu’entre mai et décembre 2020, selon les rapports de l’International Crisis Group et des Nations unies. Ces milices s’affrontent souvent avec l’armée, selon des reportages.

« Chaque fois que les journalistes diffusent des déclarations de la société civile ou de certaines organisations de défense des droits de l’homme qui soulèvent des inquiétudes liées à cette guerre, ils ont des ennuis avec les services de sécurité, et aussi avec l’armée », a déclaré au CPJ Christine Abeditho, représentante provinciale de l’Union nationale de la presse du Congo, via une application de messagerie.

« Il est difficile pour les journalistes de travailler en paix. Des menaces de mort, des violences physiques, et même des cas de décès liés à ces guerres continues sont enregistrés parmi les journalistes », a déclaré Abeditho.