New York, le 14 avril 2021 – Les autorités camerounaises doivent libérer immédiatement le journaliste Emmanuel Mbombog Mbog Matip et tous les autres professionnels des médias emprisonnés pour leur travail, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.
Le 17 août 2020, six hommes armés, en civil, ont arrêté Mbombog Mbog Matip, directeur du journal privé CliMat Social, qui publie également des commentaires politiques sur Facebook, à son domicile de Yaoundé, la capitale, selon un article du site d’information privé CamerounWeb et une lettre du journaliste publiée par les médias locaux en février.
Mbombog Mbog Matip a été détenu au Secrétariat d’État à la Défense (SED) jusqu’au 7 septembre, date à laquelle il a été traduit devant un juge du tribunal militaire, Misse Njone Jacques Baudouin, qui l’a inculpé de « propagation de fausses nouvelles » et a ordonné sa détention jusqu’au 7 mars 2021, selon un ordre de détention provisoire signé par Baudouin, que le CPJ a examiné et Alex Koko à Dang, président du Syndicat national des journalistes indépendants du Cameroun (SYNAJIC), un groupe local de défense de la liberté de la presse, et ancien conseiller éditorial de CliMat Social, qui s’est entretenu avec le CPJ par téléphone et via une application de messagerie. L’ordre de détention du 7 septembre qualifiait Mbombog Mbog Matip de « journaliste privé ».
À la suite de l’audience au tribunal, le journaliste a été transféré à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, selon Koko à Dang et la lettre du journaliste, adressée au Président Paul Biya et au directeur de la prison. Il y est toujours détenu à ce jour, a indiqué Koko à Dang au CPJ, précisant que la date limite du 7 mars était passée sans que le journaliste ne reçoive aucune nouvelle concernant son cas.
Mbombog Mbog Matip ne figurait pas dans le recensement des journalistes en prisons effectué par le CPJ en 2020, car le CPJ n’avait pas connaissance de son cas à l’époque. Au moins huit autres journalistes étaient emprisonnés au Cameroun en raison de leur métier au 1er décembre 2020, selon les recherches du CPJ.
« Les autorités camerounaises doivent immédiatement libérer le journaliste Emmanuel Mbombog Mbog Matip et cesser le recours scandaleux aux tribunaux militaires pour poursuivre la presse », a déclaré Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique du CPJ. « Le fait que le Cameroun reste l’un des pires pays qui emprisonnent les journalistes en Afrique est un indicateur grave des conditions plus générales dans lesquelles exercent les médias dans ce pays. »
Outre l’accusation de fausses nouvelles, l’ordre de détention du 7 septembre citait deux lois camerounaises : l’article 74 du code pénal camerounais portant sur la « punition et la responsabilité » et l’article 78 de la loi camerounaise relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité portant sur la publication ou la propagation d’informations dont on n’est pas en mesure d’attester ni prouver la véracité.
L’article 74 est une clause générale qui ne détaille pas les infractions ou les peines spécifiques ; les violations de l’article 78 sont passibles d’une peine maximale de deux ans de prison et/ou d’une amende de 10 millions de francs centrafricains (18 000 USD). Les peines prévues à l’article 78 peuvent être doublées « lorsque l’infraction est commise dans le but de troubler l’ordre publique », selon la loi.
Koko à Dang a déclaré au CPJ que Mbombog Mbog Matip avait principalement fait des reportages via sa page Facebook personnelle, où il compte environ 5 000 followers, après que CliMat Social a interrompu la publication en 2019 en raison de difficultés financières. De nombreuses publications Facebook de Mbombog Mbog que le CPJ a examinées, et mises en ligne Matip des mois précédant son arrestation, exprimaient un soutien au Président camerounais Paul Biya.
Dans les mois précédant son arrestation, Mbombog Mbog Matip enquêtait sur une tentative de coup d’État présumée impliquant le colonel Joël Émile Bamkoui, commandant de la Division de la Sécurité militaire du Cameroun, une branche de l’armée, ainsi que sur l’implication présumée de hauts responsables camerounais dans une affaire qui a vu cinq personnes arrêtées pour vol au Togo, selon la lettre de Mbombog Mbog Matip, des articles de presse et Flash Ndiomo, le directeur du journal privé Le Zénith, qui s’est entretenu avec le CPJ via une application de messagerie.
Koko à Dang a déclaré au CPJ que Mbombog Mbog Matip avait enquêté sur ces questions en tant que journaliste et avait dénoncé la tentative de coup d’État dans des émissions de radio locales. Le CPJ n’a pas été en mesure d’examiner ces émissions.
Koko à Dang a déclaré que le journaliste avait également cherché à alerter le président sur la tentative de coup d’Etat présumée par le biais d’un enregistrement audio envoyé à une personne dont le journaliste pensait qu’elle était un des responsables des services de renseignement camerounais. Le reportage de CamroonWeb indiquait qu’il s’agissait d’un informateur de Bamkoui, et que le fait de l’avoir contacté a peut-être contribué à l’arrestation du journaliste.
Alors que Mbombog Mbog Matip était détenu par le SED, Bamkoui l’a battu et menacé, selon CamerounWeb et Koko à Dang. Selon ce dernier, les coups ont entraîné des blessures sur tout le corps du journaliste.
En février, le site d’information privé Mimi Mefo Info a publié une vidéo sur Facebook montrant Mbombog Mbog Matip en détention ; la vidéo expliquait les détails de son cas et lançait un appel à l’aide.
Mbombog Mbog Matip est « handicapé physiquement » suite à l’amputation de ses pieds, comme conséquence d’un accident de la circulation ; il l’a signalé dans sa lettre au président. Il est également président de la Ligue nationale pour la défense des droits des personnes défavorisées, une organisation non-gouvernementale locale qui soutient les personnes handicapées, selon Koko à Dang et la lettre du journaliste au président.
Joint au téléphone par le CPJ le 9 avril, Bamkoui s’est refusé à tout commentaire et a exprimé sa frustration d’avoir été appelé au lieu qu’on vienne le rencontrer en personne pour une discussion.
Le CPJ a appelé René Sadi, le ministre camerounais de la Communication, mais personne n’a répondu.