Nairobi, le 21 mai 2020 – Les autorités rwandaises doivent libérer sans condition le journaliste Dieudonné Niyonsenga et le travailleur des médias Fidèle Komezusenge, et garantir que les membres de la presse peuvent travailler sans ingérence pendant la pandémie de COVID-19, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.
Les autorités ont arrêté le 15 avril Niyonsenga, qui dirige la chaîne d’informations Youtube d’Ishema TV, et Komezusenge, un chauffeur employé par la chaîne, selon des tweets du Bureau d’investigation du Rwanda, chargé des enquêtes criminelles.
Le Bureau a déclaré que les deux hommes ont été arrêtés pour avoir enfreint les mesures de confinement liées à la COVID-19, en précisant que Niyonsenga, qui se fait aussi appeler Hassan Cyuma, a résisté aux injonctions de rentrer chez lui, en faisant valoir qu’en tant que journaliste il était autorisé à se déplacer librement pendant le confinement. Le Bureau a également accusé Niyonsenga d’avoir donné à Komezusenge une carte l’identifiant faussement comme journaliste de sorte qu’il puisse travailler pendant le confinement.
Trois personnes au courant de l’affaire, qui se sont entretenues avec le CPJ sous couvert d’anonymat, alléguant une crainte de représailles, ont indiqué que Niyonsenga et Komezusenge étaient en route pour faire un reportage au moment de leur arrestation. L’une d’entre elles a précisé que Niyonsenga avait alors une caméra avec lui.
Dans les semaines qui ont précédé les arrestations, la chaîne Youtube d’Ishema a affiché plusieurs reportages dont une interview avec une femme en situation de pauvreté qui appelait à l’aide, une discussion sur le limogeage d’un ministre d’État, et deux reportages sur des violences prétendument commises par du personnel de sécurité.
Le CPJ n’a pas vu copie des accusations portées contre Niyonsenga et Komezusenge et le porte-parole de l’Autorité nationale responsable des poursuites pénales, Faustin Nkusi, n’a pas répondu aux questions portant sur ces accusations lors d’un échange de messages avec le CPJ hier sur WhatsApp.
Trois autres personnes au courant de l’affaire, qui se sont entretenues avec le CPJ sous couvert d’anonymat, alléguant une crainte de représailles, ont déclaré que les accusations portées contre les deux hommes comprenaient aussi la falsification et la fausse prétention d’être journaliste.
En vertu du droit rwandais, la falsification est passible d’une peine allant jusqu’à sept ans de prison et d’amendes pouvant atteindre cinq millions de francs rwandais (5 000 dollars US), et prétendre faussement être membre d’une profession réglementée par la loi est un crime passible d’une peine allant jusqu’à six mois de prison et d’amendes pouvant atteindre un million de francs rwandais (1 000 dollars US).
« Les journalistes et les travailleurs des médias doivent pouvoir exercer leur métier sans ingérence si le public doit rester informé et les autorités doivent être tenues responsables durant la pandémie de COVID-19 », a déclaré le représentant du CPJ pour l’Afrique sub-saharienne, Muthoki Mumo. « Les autorités rwandaises doivent libérer Dieudonné Niyonsenga et Fidèle Komezusenge, abandonner toutes les accusations les concernant, et garantir que la presse puisse s’acquitter librement de son travail pendant la pandémie. »
Le 21 mars, le Rwanda a mis en œuvre des mesures en réponse à la pandémie de COVID-19 qui comprenaient notamment l’interdiction de tout « déplacement non nécessaire, » à l’exception des services essentiels, ce qui n’excluait pas explicitement les journalistes, selon les annonces du gouvernement émises sur Twitter.
Des directives émises par la Commission rwandaise des médias, un organisme auto-régulateur, et partagées avec le CPJ, conseillaient aux journalistes de travailler autant que possible à domicile ou de veiller à porter des cartes de presse s’ils sortaient pour travailler sur le terrain.
Le 13 avril, la Commission a émis une déclaration spécifiant que des individus gérant des chaînes Youtube personnelles n’étaient pas admissibles au statut de journaliste, et qu’ils n’étaient pas autorisés à effectuer des interviews avec le public pendant le confinement lié au coronavirus.
Dans un courriel daté du 18 mai, un représentant du secrétariat de la Commission des médias a indiqué que Niyonsenga et Komezusenge « ont été arrêtés comme tout autre citoyen pris en infraction » des directives de confinement. La Commission a précisé au CPJ qu’elle n’avait pas enregistré Ishema TV ni accrédité aucun membre de son personnel.
Les autorités allèguent que, puisque Niyonsenga et Ishema TV ne sont pas enregistrés auprès de la Commission rwandaise des médias, Niyonsenga et Komezusenge se faisaient passer pour des journalistes et la carte d’identification présentant Komezusenge comme un journaliste constituait une falsification, d’après les trois personnes au courant des accusations qui ont parlé au CPJ.
Dans ses tweets, le Bureau d’investigation a partagé des images de deux cartes d’identification, identifiant aussi bien Komezusenge que Niyonsenga comme « senior reporter/journalist » à Ishema TV. Les personnes qui se sont entretenues avec le CPJ concernant les accusations ont précisé qu’il s’agissait de cartes d’identification d’entreprise, imprimées par Ishema TV, et non pas de documents délivrés par le gouvernement.
Le 11 mai, un tribunal de Kigali a refusé la libération sous caution de Niyonsenga et de Komezusenge et les a placés en détention pour 30 jours, d’après ces trois mêmes personnes et des articles de presse.
Dans une conversation téléphonique le 18 mai, le ministre de la Justice rwandais, Johnston Busingye, a déclaré que l’État ne détiendrait ni ne poursuivrait jamais qui que ce soit dans le cadre de son travail de journaliste et a renvoyé le CPJ au bureau du Procureur général pour des commentaires supplémentaires sur l’affaire.
Dans un texte envoyé via une appli de messagerie, Faustin Nkusi, porte-parole de l’Autorité nationale responsable des poursuites pénales, a affirmé au CPJ que les prétendus crimes imputés aux youtubeurs n’avaient rien à voir avec « leur droit de faire des reportages ou leur profession ». Il n’a fourni aucun détail quant aux lois spécifiques auxquelles ils sont accusés d’avoir contrevenu.