Nairobi, le 28 avril 2014— Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) est préoccupé après l’arrestation, par le gouvernement Éthiopien, de neuf journalistes. C’est l’une des pires répressions contre la liberté d’expression dans ce pays.
«Avec ces dernières arrestations, les autorités éthiopiennes assimilent l’exercice pacifique de la liberté d’expression à un crime, » a déclaré Tom Rhodes, le représentant du CPJ en Afrique de l’Est.
Selon des médias et des journalistes locaux, dimanche dernier, le procureur d’un tribunal d’Addis-Abeba, a accusé les détenus, – Asmamaw Hailegeorgis, rédacteur en chef d’un journal, les journalistes indépendants Tesfalem Waldyes et Edom Kassaye ainsi que les blogueurs Abel Wabella, Atnaf Berhane, Mahlet Fantahun, Natnail Feleke, Zelalem Kibret et Befekadu Hailu, de collaborer avec des organisations étrangères de défense de droits humains, et d’utiliser les médias sociaux pour créer l’instabilité dans le pays. Toujours selon ces mêmes sources, la prochaine audience concernant Tesfalem, Asmamaw et Zelalem aura lieu le 7 mai. Les autres journalistes comparaîtront le 8 mai. Notons cependant qu’aucun de ces journalistes n’a été formellement inculpé.
Les blogueurs sont membres d’un collectif indépendant plus connu sous le nom de Zone 9, qui publie des nouvelles et des commentaires. Le nom de ce groupe créé en mai 2012 en réponse à l’affaiblissement de la presse indépendante et au rétrécissement de l’espace de libre expression, est une allusion à la prison de Kality où sont détenus les prisonniers politiques, y compris plusieurs journalistes. Avec pour slogan «We Blog Because We Care » (Nous bloguons parce que nous nous inquiétons), ce groupe a exprimé des préoccupations sur des questions nationales, notamment sur la répression politique et sur l’injustice sociale. Selon des médias locaux, les blogs de Zone 9 ont souvent fait l’objet de censure, mais restent très suivis par la diaspora éthiopienne.
Les arrestations font suite à une annonce des blogueurs postée sur Facebook le 23 avril dernier, dans laquelle ils annonçaient qu’ils reprendraient leur publication après sept mois d’inactivité. Selon le blog, Ils avaient suspendu leur publication après avoir été harcelés par des agents de sécurité. Des journalistes locaux ont déclaré au CPJ que la veille de leur arrestation, des agents de sécurité auraient ordonné à Natnail de leur remettre les coordonnées de tous les membres de Zone 9. Une demande à laquelle il a refusé d’obtempérer.
Des journalistes locaux ont estimé que les autres détenus, Asmamaw, le rédacteur en chef du magazine hebdomadaire en langue amharique Addis Guday, ainsi que les journalistes indépendants Tesfalem et Edom, auraient été arrêtés sur de simples soupçons de connivence avec les blogueurs de Zone 9. Selon les mêmes sources, Edom avait été abordée à plusieurs reprises et interrogée quant à ses relations avec les autres journalistes de Zone 9 ainsi que sur le soutien qu’ils ont reçu d’organisations extérieures.
« Ce ne sont pas des journalistes. Leur arrestation n’a rien à voir avec l’exercice du journalisme, mais avec des activités criminelles graves », a déclaré à Reuters, Getachew Reda, Conseiller du Premier ministre Hailemariam Desalegn. « Nous ne réprimons pas le journalisme ou la liberté d’expression. Mais si quelqu’un tente d’utiliser sa profession pour s’engager dans des activités criminelles, alors il faut sévir », a-t-il affirmé.
« Nous demandons aux autorités éthiopiennes d’arrêter leur dérive paranoïaque et leur autoritarisme, et de permettre aux citoyens de s’exprimer librement sur des sujets d’intérêt public, un droit pourtant garanti dans la constitution », a déclaré M. Rhodes du CPJ. « Ces neuf journalistes doivent être libérés immédiatement », a-t-il assuré.
Le porte-parole du gouvernement éthiopien, Shimeles Kemal, n’a pas immédiatement répondu aux appels répétés du CPJ qui voulait obtenir des commentaires sur cette affaire.
Les journalistes, qui ont été arrêtés au cours de multiples descentes de police effectuées vendredi et samedi derniers, se sont vus refuser l’accès à leurs familles et à leurs avocats. Des journalistes locaux ont déclaré qu’ils sont incarcérés au centre de détention fédéral de Maekelawi. Selon un rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, les interrogateurs de Maekelawi recourent systématiquement à la torture pour extorquer de faux aveux aux détenus. Le gouvernement éthiopien nie en bloc ces allégations.
Avec 17 journalistes in prison, l’Ethiopie n’est devancée que par l’Erythrée dans le classement des pays africains dont les prisons renferment des membres de la presse.