New York, le 10 juin 2010—Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) dénonce la condamnation cette semaine d’un journaliste gabonais à une peine de prison avec sursis pour un article ayant soulevé des interrogations au sujet de l’assassinat non élucidé d’un haut fonctionnaire.
Le tribunal correctionnel de la capitale gabonaise, Libreville, a inculpé lundi dernier Jonas Moulenda, journaliste du quotidien d’État, L’Union, sur des accusations de diffamation et l’a condamné à trois mois de prison avec sursis et une amende de 500.000 francs CFA (environ 900 dollars américains), selon des médias et des journalistes locaux. Lubin Ntoutoume, avocat de M. Moulenda, a déclaré au CPJ que la défense et le parquet ont fait appel de cette décision, ajoutant que le parquet avait même requis lors du procès la relaxe du journaliste faute de preuves. La plainte a été également jugée irrecevable à deux reprises l’année dernière par deux juges pour vice de procédure, a dit Me Ntoutoume. Le journaliste s’est dit convaincu que les décisions de ces deux juges n’ont pas été prises en compte du fait de l’ingérence politique.
Les accusations sont liées à un article publié en novembre 2009 dans lequel M. Moulenda a soulevé des interrogations sur le meurtre non élucidé de René Ziza, qui était connu pour sa lutte contre la corruption pendant qu’il dirigeait l’institution chargée du trafic maritime au Gabon, le Conseil gabonais des chargeurs (CGC). L’article de M. Moulenda a allégué qu’un audit interne commandité par M. Ziza avait décelé le détournement de plus d’un milliard de francs CFA (environ 1,7 millions de dollars), qui aurait poussé certains responsables du CGC à commanditer son assassinat. Se sentant visé, Alfred Nguia Banda, le prédécesseur de M. Ziza à la tête du CGC, avait alors porté plainte pour diffamation.
« Cette affaire concernant Jonas Moulenda est entièrement ridicule », a déclaré le directeur de la section Afrique du CPJ, Tom Rhodes. « Même le parquet a requis sa relaxe. Cependant, le juge s’est entêté de condamner notre confrère pour avoir soulevé des interrogations cruciales sur la corruption au Gabon. Nous demandons à la Cour d’appel du Gabon de casser cette condamnation ridicule », a-t-il martelé.
M. Moulenda, qui a réalisé en septembre 2009 un reportage exclusif d’enquête dans la ville pétrolifère de Port-Gentil, alors en proie à une vague de violences meurtrières suite aux élections présidentielles contestées au Gabon, fait l’objet de harcèlement depuis lors. Après que L’Union a publié des interviews de résidents estimant que le nombre de victimes dépassait celui rapporté par le gouvernement, des agents de sécurité ont brièvement détenu Albert Yangari, directeur de publication dudit journal, et fait irruption au domicile de M. Moulenda. Ce dernier s’était brièvement refugie en cachette après avoir signalé des menaces de mort par voie téléphonique contre sa personne. Les menaces faisaient référence à Norbert Zongo, le journaliste burkinabé assassiné.