En Tunisie, le harcèlement des journalistes par le gouvernement se poursuit

New York, le 4 novembre 2009Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) est indigné par le fait que la police tunisienne ait déshabillé et maltraité le journaliste Taoufik Ben Brik, un collaborateur notoire de journaux français et l’un des principaux critiques du président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, lors de son arrestation le 29 octobre dernier. Le CPJ exhorte M. Ben Ali à ordonner la libération immédiate de M. Ben Brik et à mettre fin à la campagne intense d’intimidation et d’agressions contre les journalistes contestataires, ainsi qu’à la censure.

Ben Brik doit comparaître devant le tribunal le 19 novembre courant pour « atteinte aux biens d’autrui, atteinte aux bonnes mœurs, diffamation et outrage », a déclaré un de ses avocats au CPJ. En vertu du code pénal tunisien, ces accusations sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.

Son arrestation est intervenue quelques jours après que le président Ben Ali a menacé le 24 octobre dernier, à la veille de sa réélection pour un cinquième mandat, de poursuivre une « infime minorité » de Tunisiens pour avoir coopéré avec des journalistes étrangers afin de jeter le doute sur les résultats des élections présidentielle et législative avant leur proclamation. Depuis lors, les agressions contre les journalistes contestataires par des policiers en civil et les campagnes d’intimidation, notamment par des fonctionnaires de haut rang se sont intensifiées.

Les avocats de M. Ben Brik ont déclaré au CPJ que ce journaliste a été maltraité, insulté et complètement déshabillé au poste de police avant d’être emmené en prison. Sa femme, Azza Zarrad, a exprimé sa profonde préoccupation quant à l’impact de l’incarcération de son mari sur ses « graves problèmes de santé » et a déclaré au CPJ qu’elle estimait que cela faisait « partie d’une campagne de vengeance en vue d’humilier et de punir ceux qui sont critiques à l’égard du président Ben Ali ».

Cinq des avocats de M. Ben Brik se sont vus empêchés de lui rendre visite mardi dernier à la prison d’Al-Mornaguia, dans la banlieue sud de Tunis. « C’est une violation flagrante du droit tunisien », Ayachi Hammami, un des avocats, a déclaré au CPJ.

Le même jour, le tribunal de première instance de Grombalia, près de 30 miles (48 kilomètres) au sud de Tunis, a reporté jusqu’au 24 novembre l’audience du procès contre Zuhair Makhlouf, un militant politique et collaborateur d’Assabil Online, un site Web d’information tunisien, pour « atteinte à autrui à travers le réseau public des télécommunications ». M. Makhlouf a été arrêté le 20 octobre dernier . Il avait pris des photos et publié un article sur la pollution dans les zones industrielles de Nabeul, selon une déclaration des organisations locales des droits de l’homme. Tout comme M. Ben Brik, M. Makhlouf est actuellement détenu à la prison d’Al-Mornaguia. En vertu du code des télécommunications de la Tunisie, il pourrait être condamné jusqu’à un an d’emprisonnement.

« Nous sommes indignés par le traitement de notre collègue Taoufik Ben Brik », a déclaré le coordinateur du Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord du CPJ, Mohamed Abdel Dayem. «Nous demandons au président Ben Ali de veiller à sa libération ainsi qu’à celle de Zuhair Makhlouf, et de mettre un terme à cette agression dégradante contre le journalisme indépendant », a-t-il martelé.

Par ailleurs, des avocats ont dit au CPJ que Sihem Bensedrine, l’une des plus éminentes journalistes et défenseurs des droits humains du pays, s’est vue arbitrairement empêchée d’entrer dans le tribunal de Grombalia, et qu’elle a été bastonnée et insultée par des policiers en civil. Mme Bensedrine a été brutalisée à maintes reprises et empêchée d’accéder à des lieux publics au cours des dernières semaines, selon des recherches du CPJ.

Le 28 octobre dernier, Slim Boukdhir, un journaliste emprisonné en 2007 qui a souvent été agressé pour avoir critiqué le régime autocratique du président Ben Ali et l’influence croissante de son épouse et sa belle-famille sur la politique et l’économie du pays, a été enlevé près de son domicile à Tunis par quatre hommes qui l’ont forcé à monter à bord un véhicule, l’ont bastonné, déshabillé et dépouillé de son porte-monnaie et de son téléphone portable. M. Boukhdhir a dit au CPJ que ses ravisseurs l’ont ensuite abandonné, couvert de bleus, dans le plus grand parc de la capitale, le Belvédère. Il a ajouté que cette agression s’est produite près de deux heures après qu’il a accordé une interview à la BBC au sujet de la réélection de M. Ben Ali et d’un nouveau livre critique écrit par deux journalistes français sur la femme du président tunisien. Il faut rappeler que M. Boukkhdhir a été enlevé en septembre 2008 après avoir écrit au sujet de la visite de l’ancienne Secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, à Tunis et des remarques critiques de cette dernière sur la dégradation des droits humains en Tunisie.

En outre, Lotfi Hajji, correspondant d’Al-Jazeera, a été agressé verbalement à son arrivée à l’aéroport international de Tunis Carthage en provenance du Qatar la semaine dernière, avant qu’il ne se rende à Beyrouth, par des policiers en civil qui lui ont averti que «parler de la Tunisie » pourrait entraîner des conséquences dangereuses, a-t-il déclaré au CPJ. D’autres journalistes ont été récemment victimes de harcèlement ou d’agressions, tels que Lotfi Hidouri et Mouldi Zouabi de Kalima, Ismail Dbara de Radio Netherlands et du site Web Elaph, ainsi que Neji Bghouri et Zied el Heni du Bureau directeur renversé du Syndicat national des journalistes de Tunisie, ont dit au CPJ des avocats et des journalistes.

Il convient de souligner que les restrictions contre les journaux de l’opposition ont également augmenté. Les autorités tunisiennes ont empêché la distribution du numéro du 31 octobre dernier de l’hebdomadaire Attariq al-Jadid du mouvement d’opposition, Attajdid, selon une déclaration publiée par ce parti.