New York, le 19 août 2008— Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) est alarmé par des témoignages selon lesquelles un véhicule de l’État a été utilisé pour saccager les bureaux de deux journaux indépendants sénégalais dimanche dernier. Les attaques se sont produites juste trois jours après qu’une autorité du pays a proféré des menaces de représailles non spécifiées contre ces journaux pour des articles critiques.
Une douzaine d’hommes non identifiés ont pris d’assaut les bureaux du quotidien 24 Heures Chrono dimanche dernier vers 20 heures 30 et agressé le conducteur et commis à la production, Ablaye Dièye, le seul employé qui se trouvait sur les lieux, a dit au CPJ le directeur de publication du journal, El Malick Seck. Les assaillants ont volé le téléphone mobile de M. Diéye et cassé une dizaine d’ordinateurs avant de s’enfuir à bord d’une Toyota 4×4 pickup blanche immatriculée « AD » (Administration du Sénégal), a déclaré M. Seck.
Une quinzaine de minutes plus tard et à quelques 400 mètres, des nervis à bord d’un véhicule du même genre ont fait irruption dans les bureaux de L’As, agressant le personnel avec une bombe à gaz et détruisant deux ordinateurs, y compris le serveur des fichiers du journal, a dit au CPJ son rédacteur en chef, Cheikh Oumar Ndao.
Le directeur de publication du journal Le Courrier, Pape Amadou Gaye, a dit au CPJ qu’il a reçu cinq appels téléphoniques anonymes lui annonçant une attaque imminente. Il a par ailleurs déclaré avoir vu une Toyota 4×4 blanche stationner à quelques 40 mètres de son bureau, et que ce véhicule a quitté les lieux après qu’il a alerté la gendarmerie.
Le ministre sénégalais de l’Information, Abdoul Aziz Sow n’a pas répondu aux appels du CPJ pour des commentaires sur cette affaire, mais l’Agence France-Presse a cité un porte-parole du ministère de l’Intérieur déclarant que la police a ouvert une enquête.
« Nous sommes troublés par les témoignages selon lesquelles un groupe de nervis à bord d’un véhicule de l’État sénégalais aurait systématiquement mis à sac les bureaux de journaux critiques », a déclaré le directeur adjoint du CPJ, Robert Mahoney. «La réputation du Sénégal comme un pays phare en matière de liberté de presse en Afrique de l’Ouest s’est ternie au cours des dernières années. Les autorités doivent commencer à inverser cette tendance en faisant en sorte que les responsables ces attaques répondent de leurs actes ».
Les agressions se sont produites juste trois jours après que le ministre des Transports aériens, Farba Senghor, qui est également le secrétaire général chargé de la propagande du Parti démocratique sénégalais (PDS) au pouvoir, a proféré des menaces de représailles non spécifiées contre quatre journaux privés, notamment L’As, 24 Heures Chrono, Le Courrier, et l’hebdomadaire Pic, pour des articles critiques. 24 Heures Chrono a récemment publié un rapport d’audit interne critique au sujet du salaire du ministre Senghor en tant que président du conseil d’administration d’une compagnie d’autobus privée.
Dans un communiqué de presse publié jeudi dans le quotidien d’État sénégalais, Le Soleil , M. Senghor accusait les journaux d’avoir « orchestré » une série d’ «agressions excessives » contre lui avec « une réelle intention de nuire » à sa personne .
« Il n’y a aucune différence entre la violence verbale, la violence écrite et la violence physique. La liberté de la presse ne donne aucunement à un journaliste le droit d’agresser en permanence et impunément, avec son micro ou sa plume, d’honnêtes citoyens», a ajouté la déclaration.
M. Senghor avait ainsi annoncé qu’il se réservait le droit d’user de représailles en légitime défense. Cependant, dans une déclaration publiée aujourd’hui dans Le Soleil, il a nié toute implication dans les agressions de dimanche dernier. Tout en critiquant ces attaques, il a aussi prétendu qu’elles ont été probablement provoquées par les journaux en question. « La violence n’est l’apanage de personne, et quand on sème le vent, il faut s’attendre à récolter la tempête », a-t-il écrit.
M. Senghor, qui n’a jamais été publiquement sanctionné pour sa menace de « bastonner » un journaliste en 2007, a appelé à une campagne contre les médias critiques, en réponse à une boycott des activités du PDS lancée par les médias indépendants. Ce boycott était dans le cadre d’une série de protestations pour réclamer justice suite à la bastonnade brutale par la police en juin dernier de deux journalistes sportifs, après un match de football.
Pour L’As, c’est le deuxième incident au cours des dernières semaines. En effet, la police avait bloqué la parution d’une de ses éditions en fin juillet et interpellé son directeur de publication Thierno Mamadou Tall ainsi que le reporter Daouda Thiam, pour la publication d’une interview d’un leader syndicaliste qui avait critiqué le ministre de la Justice, selon les médias.
Madiambal Diagne, un éminent éditeur et membre du Comité pour la protection et la défense des journalistes (Cpdj) nouvellement mis sur pied, a dit au CPJ que cette organisation a officiellement demandé aux maisons de presse d’engager des services de sécurité pour assurer leur propre protection, soulignant que l’État a failli à sa mission de bien protéger les journalistes.
Le Sénégal, jadis considéré comme un havre de la liberté de la presse en Afrique, a connu cette année un niveau sans précédent de discours gouvernemental hostile envers la presse et une impunité totale pour les attaques et les menaces contre les médias indépendants.