Le CPJ exhorte Bouteflika à mettre fin aux abus contre la presse

Le 20 avril 2009

Son Excellence Abdelaziz Bouteflika
C/o Ambassade de l’Algérie
2118 Kalorama Road NW
Washington, DC 20008
Fax: 202-667-2174

Cher Monsieur le président,

Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) vous écrit pour protester contre la montée des violations de la liberté de la presse en Algérie, dont beaucoup se sont produites au cours de la récente campagne électorale qui a abouti à votre réélection pour un troisième mandat.

Les recherches du CPJ révèlent que le taux d’abus a commencé à augmenter en février 2006, après que votre gouvernement a publié un décret draconien restreignant la liberté d’expression et limitant le débat sur le conflit qui a ravagé l’Algérie dans les années 1990. Dans une lettre que nous avons adressée à l’époque, le CPJ soulignait que ce décret interdisait la poursuite des investigations sur les graves violations des droits humains perpétrées dans les années 1990, notamment le meurtre de dizaines de journalistes et de la disparition d’au moins deux reporters. Ce décret a suscité une plus grande autocensure dans les médias algériens, a servi comme une nouvelle prescription pour le harcèlement et l’emprisonnement de journalistes critiques, et a creusé le fossé entre les politiques en Algérie et les normes internationales en matière de liberté d’expression.

De nombreux journalistes algériens et défenseurs des droits de l’homme ont récemment déclaré au CPJ que les mesures contre  journalisme indépendant se sont progressivement intensifiées au cours des trois dernières années, et que votre gouvernement semble de plus en plus enclin à utiliser des mesures sévères pour réduire au silence et punir les journalistes critiques.

Ainsi, le CPJ souhaite porter à votre attention les récents développements suivants :

  • A la veille de votre réélection, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) a déploré lors d’une conférence de presse à Alger le « manque total de débats critiques » dans les médias sur l’élection présidentielle ainsi que la tendance des médias d’État, en particulier les chaînes de radio et de télévision, à accorder un traitement de faveur au président sortant au détriment de ses cinq opposants. La LADDH a également indiqué le manque d’attention des médias d’Etat vis-à-vis de ceux qui se sont opposés à l’amendement constitutionnel de novembre 2008, qui a levé la limitation du mandat présidentiel en Algérie, et de ceux qui ont appelé au boycott de l’élection.
  • Au cours de la même conférence de presse, cet organisme local de défense des droits humains a dénoncé la décision des autorités algériennes d’interdire l’entrée en Algérie à Sihem Bensedrine, une journaliste tunisienne et défenseur des droits de l’homme. Mme Bensedrine, qui est arrivée le 4 avril courant à l’aéroport Houari Boumedien d’Alger pour prendre part au suivi de la couverture de l’élection présidentielle par les médias locaux, sous l’égide de la LADDH, a été contrainte par la police aéroportuaire de quitter l’Algérie à bord du même avion qu’il l’avait amenée de Paris. Cependant, aucune explication n’a été fournie.
  • Trois hebdomadaires français, L’Express, Marianne et Le Journal du Dimanche, ont été confisqués en Algérie au cours de la période menant à l’élection présidentielle du 9 avril courant, pour avoir prétendument violé l’article 26 du Code de l’information algérien de 1990, ont rapporté des médias algériens et français. Cet article interdit la publication de tout contenu « contraire aux valeurs islamiques et nationales et aux droits de l’homme, ou qui font l’apologie du racisme, du fanatisme et de la trahison ». Le gouvernement algérien n’a fourni aucune explication et n’a reconnu publiquement que la décision d’interdiction de la publication de L’Express. Les hebdomadaires français avaient publié sur leurs sites Web respectifs des articles dont ils croyaient que votre gouvernement ne souhaitait pas la lecture par les Algériens. Ces articles traitaient principalement de la manière dont les officiers supérieurs de l’armée algérienne ont soutenu votre régime et ont partagé le pouvoir avec vous depuis 1999. Ils ont également mis en évidence vos réalisations et vos manquements, ainsi que l’influence de vos alliés et des membres de votre famille dans la vie politique algérienne. Christophe Barbier, directeur de publication de L’Express, a déclaré que les lecteurs algériens « sont assez matures pour lire et juger par eux-mêmes ». Dans une déclaration publiée sur le site Web de cet hebdomadaire, M. Barbier a déclaré qu’il était « extrêmement alarmant » de voir l’Algérie plonger dans ce qu’il a appelé « une sorte de négation de la liberté de la presse, donc une  négation de la démocratie ».
  • En début mars, le mensuel basé à Paris, Afrique Magazine, a été confisqué à l’aéroport d’Alger pour violation des « valeurs nationales ». Zyad Limam, éditeur et propriétaire dudit magazine, a déclaré à l’Agence France-Presse qu’il estimait que la confiscation du numéro du journal en question était liée à un article intitulé «l’Algérie, le crépuscule des généraux », qui avait traité des relations entre le président et les principaux généraux de l’armée.
     
  • Des journalistes ont indiqué qu’ils ont dû attendre des mois pour obtenir un visa d’entrée en Algérie, ou ont vu leurs demandes de visa tout simplement ignorées, ont révélé des recherches du CPJ. Florence Beaugé du quotidien français Le Monde, qui a voyagé en Algérie au cours des neuf dernières années, a écrit sur le site Web dudit journal qu’elle a attendu plus de six mois avant d’obtenir un visa lui permettant de couvrir les élections du 9 avril courant. Elle a également dit que les journalistes qui sollicitent un accès à des sources officielles ou qui cherchent à communiquer avec des autorités en Algérie se retrouvent souvent « face à un mur de silence ».
  • Nedjar Hadj Daoud, directeur général du site Web d’information Al-Waha (L’Oasis), une personne connue pour sa dénonciation de la corruption, a été emprisonné le 2 mars dernier à la prison de Chaabet Ennichene à Ghardaia. Il a été condamné à six mois de prison par un tribunal disciplinaire pour infractions  mineures en 2005, une décision confirmée par la plus haute juridiction de votre pays en 2008. M. Daoud , a dit que 67 plaintes pour diffamation ont été déposées contre lui par ce qu’il appelle le « lobby de la corruption » et qu’il a été la cible de plusieurs menaces de mort et de trois tentatives d’assassinat depuis 2003, pour avoir écrit sur l’implication d’employés du gouvernement algérien dans des actes d’abus de pouvoir, de corruption et de trafic de drogue. Une mise en liberté provisoire lui a été accordée pour des raisons médicales. Le CPJ a salué sa libération, mais a exprimé sa crainte qu’il soit contraint de retourner en prison pour purger le reste de sa peine de six mois.
  • Le jour du scrutin présidentiel, deux journalistes marocains, Hicham Madraoui et Mahfoud Ait Bensaleh de l’hebdomadaire Assahraa Alousbouia, ont été interpellés par la police algérienne puis conduits à un de police à Alger où ils ont subi un interrogatoire, selon le Syndicat national de la presse marocaine, qui a dénoncé ces interpellations.
  • Par ailleurs, Hafnaoui Ghoul, un journaliste indépendant et militant de la branche Djelfa de la LADDH qui a souvent fait l’objet de poursuites par les autorités locales et emprisonné pour diffamation au cours des dernières années, a survécu à une agression au couteau en janvier dernier par des assaillants non identifiés. Il a dit au CPJ cette semaine que les autorités policières et judiciaires locales ont fermé les yeux sur cette agression mortelle. Il convient de noter que 13 plaintes ont été portées contre lui pour diffamation en raison de ses articles sur des actes  d’abus de pouvoir et de corruption.

Ainsi, le CPJ vous invite à abroger le décret de février 2006 qui interdit les journalistes d’écrire sur les événements qui se sont produits pendant la guerre civile en Algérie, de renoncer aux restrictions contre la presse indépendante, et de mettre fin à l’emprisonnement et au harcèlement des journalistes algériens qui ont déjà payé un lourd tribut au cours des dernières décennies. Nous vous demandons de veiller à ce que les autorités enquêtent sur les attaques et les menaces contre les journalistes et à traduire les responsables en justice.

Nous vous invitons également à prendre rapidement des mesures pour mettre la législation algérienne en conformité avec les normes internationales en matière de la liberté d’expression et d’information et à autoriser des reportages indépendants sur la disparition de nos collègues Djameleddine Fahassi et Aziz Bouabdellah, respectivement en 1995 et en 1997, ainsi que sur les décès et les meurtres de 58 journalistes entre 1993 et 1996.

Merci de l’attention que vous prêtez à ces questions urgentes. Nous espérons recevoir votre réponse.

Joël Simon
Directeur exécutif

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