Par Mohamed Keita/Attaché de Recherche/Section Afrique du CPJ
Il y a dix ans ce samedi, les corps criblés de balles du journaliste d’investigation Norbert Zongo et de ses trois amis ont été trouvés dans sa voiture calcinée en dehors de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou.
Norbert Zongo, directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, était l’un des journalistes les plus connus de cette nation de l’Afrique de l’Ouest surnommé le «Pays des hommes intègres». Il a été assassiné le 13 décembre 1998, alors qu’il enquêtait sur la plus grande affaire de l’époque: un meurtre au palais présidentiel avec des allégations criminelles contre le frère du président burkinabé.
M. Zongo était l’un des 24 journalistes assassinés dans l’exercice de leurs fonctions en 1998. Il figure parmi les 70% de journalistes et travailleurs des médias qui sont tués à travers le monde non pas par des tirs croisés, mais qui sont délibérément ciblés pour ce qu’ils ont écrit ou diffusé.
Au 10e anniversaire de l’assassinat non encore élucidé de M. Zongo, ses assassins sont toujours en toute liberté. Un juge a prononcé un non-lieu en 2006 contre le seul accusé dans cette affaire. Néanmoins, la veuve de M. Zongo, ses collègues et les militants des droits de l’homme profitent de cette occasion pour réclamer justice.
J’ai parlé cette semaine à Abdoulaye Diallo, gestionnaire du Centre national de la presse sis à Ouagadougou et qui porte le nom de Norbert Zongo. Il m’a dit que le centre, où une lampe éternelle brûle en mémoire de M. Zongo, a recueilli plus de 7.000 signatures pour une pétition réclamant la réouverture de l’affaire. M. Diallo s’attend à recueillir au moins 15.000 signatures pour les remettre au président burkinabé Blaise Compaoré.
Samedi matin, M. Diallo se joindra à la veuve de M. Zongo et ses trois enfants, en compagnie de militants et sympathisants pour aller déposer une gerbe sur la tombe du défunt journaliste. Ensemble, ils marcheront dans les rues de la capitale jusqu’à la Place de la révolution de Ouagadougou où un rassemblement aura lieu. La cérémonie de commémoration se terminera par un concert gratuit avec une dizaine d’artistes locaux et internationaux, dont le journaliste et chanteur Sams’K le Jah.
L’affaire Zongo reste un sujet sensible pour les journalistes d’investigation et un tabou dans les milieux du gouvernement burkinabé. Selon M. Diallo, des publireportages plaidant pour la réouverture de l’affaire ont été diffusés sur deux stations de télévision privées, Canal 3 et Sport-Music TV, mais pas par la chaîne de radiodiffusion- télévision contrôlée par l’Etat burkinabé, RTB. Des journalistes locaux estiment qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’un représentant du gouvernement burkinabé participe à ces activités commémoratives.
Le meurtre est l’ultime forme de censure: l’assassinat d’un éminent journaliste comme M. Zongo jette un coup de froid invisible sur la capacité des médias à faire des investigations sur des questions d’intérêt public. Pire, un meurtre non élucidé d’un journaliste signifie que les ennemis de la presse jouissent d’une totale impunité.
Les recherches du Comité pour la protection des journalistes ont découvert que dans les nations à travers le monde où les journalistes sont assassinés, justice n’est rendue que dans moins de 15% des cas. Le CPJ est donc déterminé à inverser cette tendance et espère que le fait de se souvenir publiquement de Norbert Zongo ce week-end attirera une attention particulière sur son assassinat. Il faut que justice soit faite au Burkina Faso.
Hommage à Norbert Zongo: Tidiane Sy, ancien correspondent du CPJ en Afrique de l’Ouest, rend hommage au journaliste assassiné. Veuillez cliquer ici pour lire ses réflexions.