Rapport affiché la 20 octobre 2004
Avec 37 années à la tête du pouvoir, le président togolais Gnassingbé Eyadéma est le plus ancien chef d’Etat africain. Même après l’introduction d’élections multipartites il y a plus de dix ans, Eyadéma et le parti du Rassemblement du peuple togolais (RPT) ont réussi à dominer la politique et à museler les voix d’opposition dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. En 1993, les méthodes musclées du RPT et les nombreuses violations des droits de l’homme ont ainsi conduit l’Union européenne (UE) à suspendre sa coopération avec le Togo. |
Pourtant, en avril 2004, à Bruxelles, le régime d’Eyadéma surprend la communauté internationale en promettant vingt-deux réformes pour la démocratisation afin d’obtenir la levée des sanctions économiques de l’UE. Le gouvernement promet alors une vaste série de changements pour obtenir une assistance de l’UE qui, rien que dans sa phase initiale, représenterait plusieurs dizaines de millions d’euros.
Les journalistes togolais soulignent que les engagements pris par Bruxelles constituent une formidable opportunité. Mais, étant donné le passé d’Eyadéma, ils demeurent profondément sceptiques : l’année dernière, il a rompu sa promesse de ne pas être candidat à sa succession, remportant les élections de juin 2003 au milieu d’allégations de fraude ; en 2003 encore, le CPJ a inscrit le Togo parmi les dix pires pays où exercer la profession de journaliste.
Les défenseurs de la presse ont exhorté la CE de rester en contact étroit avec les journalistes locaux pendant la période d’évaluation et de tenir responsable les dirigeants du Togo. « C’est une question de lobby parce que le gouvernement est tres frileux », explique Daniel Lawson-Drackey, ancien secrétaire général de l’Union des journalistes indépendants du Togo. « Pour le gouvernement, l’essentiel c’est qu’on reprenne la cooperation. Maintenant, il faut que les changements au code soient appliqués à la
lettre ».
es organisations de défense des droits de l’homme ont fait figurer le Code de la presse de 2000 comme l’un des pires en Afrique. Il inflige des peines de prison allant jusqu’à cinq ans pour « insulte au chef de l’Etat » et trois ans pour « diffamer » les tribunaux ou les forces armées. Des agents publics ont utilisé ce code dans le passé pour harceler et envoyer en prison les journalistes et pour faire saisir des milliers d’exemplaires de publications privées. Dans la dernière ligne droite avant les élections de 2003, le régime d’Eyadéma a fermé les kiosques à journaux, bloqué les sites d’information sur Internet et brouillé les ondes de Radio France Internationale.
Contrairement à l’adoption du Code de la presse en 2000, les nouvelles réformes ont été marquées par la coopération entre le gouvernement et les médias. Les amendements opérés ont suivi les recommandations d’une commission rassemblant journalistes locaux et représentants des médias et établie par le ministre de la Communication. Certains journalistes locaux disent que, depuis lors, la couverture des événements politiques s’est améliorée. Des sites Internet qui étaient régulièrement bloqués au Togo sont désormais accessibles.
Il reste que plusieurs infractions peuvent entraîner des sanctions pénales allant jusqu’à une année d’emprisonnement, comme le fait de publier des informations considérées comme incitant au crime, au vol, à la destruction de biens privés ou publics, à la haine raciale ou ethnique, ainsi que pour les « crimes contre la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat ». Au-delà du texte, les défenseurs de la presse soulignent que la façon dont la loi sera jugée à long terme dépendra fortement du comportement du gouvernement. Or, le passé d’Eyadéma donne des raisons de douter de celui-ci.
e début des années 1990 furent, en effet, prometteuses pour les journalistes togolais. Après plus de vingt ans, le régime d’Eyadéma autorisait enfin les médias privés et une démocratie multipartite. En quelques années, de nouveaux partis politiques étaient créés ainsi que des dizaines de publications, certaines pro-RPT mais beaucoup d’autres critiquant la direction du pays.
Lawson-Drackey, qui est aussi journaliste à la station de radio privée Nana FM, dit que le gouvernement n’a pas compris le rôle d’une presse libre. « Ils ont pris nos critiques comme des « insultes » », explique-t-il, « mais ils ne comprennent pas que le rôle de la presse est de critiquer. » Assez vite, les journalistes doivent faire face aux représailles. Le RPT répond à la critique par le harcèlement, les poursuites judiciaires et les attaques contre les rédactions, tandis que le gouvernement fait voter le répressif Code de la presse, en 2000.
Les choses empirent au cours des élections parlementaires de 2002. Du fait que Eyadéma et le RPT contrôlent étroitement les médias d’Etat, l’opposition politique doit s’appuyer principalement sur la presse privée. Peu disposé à tolérer des critiques souvent acerbes dans la presse privée, le gouvernement durcit, en fin de campagne, les sanctions déjà sévères du Code de la presse.
« La communauté internationale a suspendu la coopération et il n’y a pas d’argent », explique Pierre Sabi, patron du journal privé La Matinée et partisan du RPT, « la priorité du gouvernement est donc d’obtenir à nouveau cette coopération. (…) C’est pourquoi ils sont si soucieux de ce que les journaux disent ».
«Nous n’avons pas l’intention de mettre des journalistes en prison», dit Pitang Tchalla, le ministre de la Communication. « La preuve, nous n’en avons pas à ce jour. Mais nous voulions que les journalistes sachent que nous avons atteint la ligne rouge», a continué le ministre, jugeant que le code de la presse a «d’une façon générale atteint sa mission et il est certainement temps de passer à une étape supérieure».
inq des vingt-deux promesses faites par le gouvernement à Bruxelles ont trait à l’amélioration de la liberté d’expression et de l’information, dont la mise en conformité du Code de la presse avec les standards internationaux, l’indépendance politique de l’agence nationale de régulation des médias, la Haute autorité de l’audiovisuelle et de la communication (HAAC), et la garantie d’un accès équitable des partis politiques aux médias publics.
Tout en se réjouissant des changements, les journalistes locaux voient de nombreux pièges potentiels. Les dispositions décrivant les infractions pénales de presse demeurent vagues et pourraient être utilisées pour sévir contre les opinions antigouvernementales. De plus, les amendes liées aux infractions nouvellement dépénalisées, qui s’élèvent jusqu’à 5 millions de francs CFA (environ 9 300 dollars), sont exorbitantes et pourraient, si elles étaient appliquées, entraîner la faillite des publications locales.
Selon certains journalistes locaux, de tels problèmes seront seulement résolus quand les autorités réduiront le fardeau financier qui pèse sur la presse en diminuant les taxes sur, entre autres, le papier ou les services téléphoniques, en créant un climat dans lequel les milieux d’affaires n’ont pas peur de faire de la publicité dans des journaux critiques et, enfin, en fournissant un soutien à la formation des journalistes.
ne autre inquiétude est le fait que les améliorations du Code de la presse ne garantiront pas une plus grande liberté si les autorités le contournent, comme ils l’ont fait dans le passé. En 2003, trois journalistes ont été emprisonnés pendant un mois pour « avoir tenté de publier une fausse information » après qu’ils eurent été pris avec des photos de perturbations présumées des élections. Le Code de la presse ne prévoit pas cette accusation. L’un des journalistes a pourtant reçu une amende de 500 000 francs CFA (865 dollars) et deux ont été torturés, selon des sources du CPJ.
Si le gouvernement a promis aux partis politiques un accès équitable aux médias d’Etat – les seuls ayant une couverture nationale – la circonspection s’impose aussi vis-à-vis de cette assurance. Avant l’élection présidentielle de 2003, le RPT avait promis d’ouvrir les médias d’Etat aux partis d’opposition. Mais il y avait un os : la HAAC exigeait que tous les messages politiques soient approuvés avant d’être passés sur les ondes publiques ou avant de paraître dans Togo Presse, le journal d’Etat et unique quotidien du Togo. Les candidats de l’opposition se sont plaints que leurs messages étaient censurés.
Pour les journalistes locaux, le rôle de la communauté internationale sera décisif pour maintenir le gouvernement sur la voie des réformes. L’UE, soutiennent-ils, doit être en communication avec les journalistes indépendants tout au long du processus de réforme.
« Légiférer n’est pas mettre en pratique », avertit, à propos des réformes, Franck Assah, journaliste au Crocodile et correspondant de l’Agence de presse panafricaine. « Je suis un optimiste mais j’ai encore beaucoup de doutes. »
John Zodzi, journaliste togolais et correspondant local de Reuters, rappelle que, dans le passé, «quand il y a eu une saisie de journaux, la communauté internationale n’est pas intervenue. [Maintenant] le garant c’est l’Union Europeenne – c’est l’UE qui peut intervenir ».
Adam Posluns, ancien chercheur Afrique du CPJ, a mené une mission au Togo, en 2003. Alexis Arieff est chercheur au bureau Afrique du CPJ.