Le chemin vers la justice

Chapitre 4: Les mesures qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas

Le 3 mai 2011, des représentants du CPJ se sont rendus au Pakistan afin d’exprimer de leurs préoccupations quant à la multiplication des attaques contre les journalistes et sur le taux élevé d’impunité dans le pays. La visite s’est déroulée à un moment dramatique : la veille, les forces américaines avaient tué Osama bin Laden, dans les environs d’Abbottabad. Pourtant, le président pakistanais Asif Ali Zardari a tenu ses engagements et a rencontré le CPJ pour discuter du nombre croissant de journalistes pakistanais assassinés en raison de leur travail, et de l’absence de poursuites contre les assaillants.

Lors de la rencontre, Zardari a pris des engagements forts. « La protection des journalistes fait partie de mon mandat », a-t-il déclaré à la délégation. Il a demandé au ministre de l’Intérieur de lui procurer des informations détaillées sur l’état des affaires en suspens et a ordonné aux membres de son cabinet de travailler avec le Parlement afin d’élaborer une nouvelle législation pour renforcer la liberté de la presse.

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Depuis, 11 autres journalistes ont été assassinés. Quelques semaines seulement après la rencontre, le corps du journaliste d’investigation Saleem Shahzad a été retrouvé portant des traces de torture, – il aurait auparavant reçu des menaces de la part du service de renseignement, l’Inter-Intelligence Services. Ni Zardari, ni les membres de son cabinet n’ont été en mesure de fournir des informations sur la façon dont ils s’occupaient du cas, comme ils l’avaient promis, et le gouvernement n’a pas adopté la loi qui aurait pu apporter un soulagement face au barrage constant que constituent les menaces auxquels sont confrontés les journalistes pakistanais.

Le CPJ est retourné au Pakistan près de trois ans après cette visite et cette fois, a rencontré le Premier ministre Nawaz Sharif qui a reconnu d’emblée que le Pakistan a un problème, quand il s’agit de prévenir ou de punir les attaques violentes contre les journalistes. Il a accepté de s’inspirer de plusieurs des propositions du CPJ pour lutter contre l’impunité, y compris pour ce qui concerne la nomination d’un procureur spécial. Il a même introduit ses idées personnelles, telle celles de créer une commission mixte qui regrouperait le gouvernement, la société civile, et les medias, afin de passer en revue tous les cas non résolus, ainsi que les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse. Ces engagements n’ont depuis pas vraiment été tenus.

Les rencontres du CPJ avec les dirigeants pakistanais et ceux d’autres pays qui ont des antécédents plus que médiocres dans la résolution des homicides de journalistes sont le reflet d’un schéma familier à savoir que les engagements pris par ces gouvernements restent souvent lettre morte. Des années de plaidoyer intensif mené par des groupes de défense e la liberté de la presse, des organisations de défense des droits humains et des journalistes du monde entier, ont transformé la question de la violence meurtrière contre la presse en une question que les gouvernements ont fini par admettre plus volontiers. Beaucoup, tels les dirigeants pakistanais, s’engagent à y remédier. Ce qui manque le plus souvent est l’étape suivante: l’action.

Un journaliste pakistanais tient une pancarte demandant que les meurtriers de Shaleem Shahzad soient traduits en justice. Shahzad, qui a été assassiné en 2011, avait documenté les prétendus liens entre Al-Qaïda et la marine pakistanaise peu de temps avant sa mort. (AP/Pervez Masih)
Un journaliste pakistanais tient une pancarte demandant que les meurtriers de Shaleem Shahzad soient traduits en justice. Shahzad, qui a été assassiné en 2011, avait documenté les prétendus liens entre Al-Qaïda et la marine pakistanaise peu de temps avant sa mort. (AP/Pervez Masih)

Le CPJ a suscité des engagements similaires dans d’autres pays. En 2008, le président Masoud Barzani, chef du gouvernement régional du Kurdistan, a promis à la délégation du CPJ qui était en visite, qu’il « créerait une atmosphère propice au journalisme. » En 2014, quand une équipe du CPJ est retourné au Kurdistan, une série de nouvelles attaques avait eu lieu, parmi celles-ci, deux journalistes avaient été assassinés et une chaîne de télévision avait subi un incendie criminel. Toutes ces attaques étaient restées impunis. «Le gouvernement, que ce soit au niveau du Président, du Premier ministre ou de ses départements, prend ces cas très au sérieux et fera tout son possible pour que justice soit faite », a déclaré Karim Sinjari, ministre de l’Intérieur, à la deuxième délégation du CPJ.

D’autres groupes ont connu des déceptions semblables. En Irak, le gouvernement avait promis à la Fédération internationale des journalistes (FIJ) de créer des chambres extraordinaires en consultation avec le syndicat des journalistes, pour mener des enquêtes sur les meurtres de journalistes. « Cela n’a toujours pas eu lieu », a déclaré au CPJ Ernest Sagaga, directeur des droits de l’homme et de la sécurité à la FIJ.

Aux Philippines, des militants pour la liberté de la presse ont été déçus de constater qu’en dépit des engagements maintes fois réitérés, d’agir fermement contre l’impunité et la violence contre les médias, le président Benigno Aquino III a apporté peu de changements. Au moins huit journalistes ont été tués pour des raisons liées à leur travail depuis son élection en 2010. «Nous ne nous attendions pas à des miracles de sa part. Nous savions que tout ne serait pas soudain, heureux et juste. Mais nous nous attentions à ce qu’il entreprenne, au moins, les réformes nécessaires pour ouvrir la voie à la justice », a déclaré Rowena Paraan, président de l’Union nationale des journalistes aux Philippines. « Mais il n’a rien fait de tout cela », a-t-il souligné.

Les fonctionnaires n’ont pas toujours été disposés à se rencontrer et à discuter des moyens de lutter contre l’impunité qui règne dans leur pays.

En Russie, par exemple, il a fallu trois missions au CPJ pour obtenir des autorités qu’elles s’assoient et discutent du nombre élevé de meurtres non poursuivis en justice. Les promesses faites en 2009 à une délégation pour démontrer les progrès réalisés dans chaque cas soumis par le CPJ n’ont pas été à la hauteur. Pourtant une brèche remarquable a été ouverte dans plusieurs cas, notamment des condamnations dans trois cas, bien que les auteurs de crimes n’aient été condamnés dans aucun des cas.

L’Inter-American Press Association a ouvert la voie pour les groupes de défense de la liberté d’expression quand il a déclenché, il y a près de deux décennies, campagne régionale sur l’impunité. Le directeur de la campagne, Ricardo Trotti, se rappelle les premiers défis qu’il a eu à surmonter lorsqu’il a fait de l’impunité qui entoure les attaques contre les journalistes, une cause d’inquiétude généralisée. «En 1995, au début de notre campagne, la question de l’impunité ne faisait pas partie du débat public et les autorités n’ont pas réagi», a-t-il dit. Des années de « sermons constants », sous forme de rapports, de missions, de campagnes de sensibilisation du public et l’utilisation du système interaméricain des droits de l’homme, ont contribué à mettre la question sur l’agenda public, a-t-il déclaré. «Grâce à cela, les gouvernements se sentent plus sous pression pour répondre », a-t-il souligné.”

« Il y a eu un peu plus de lois sur la protection des journalistes. Les bureaux du procureur spécial ont été mis en place. La question a été reconnue comme étant de la compétence fédérale au Mexique. Les peines ont été revues à la hausse dans les codes pénaux, et certaines infractions ont été reconnues comme des crimes contre l’humanité » a dit Trotti. « De toute évidence, nous n’avons pas atteint la perfection, nous en sommes encore loin. Mais les très utiles mécanismes juridiques et judiciaires ont été atteints », a-t-il souligné.

Dans certains pays, la bataille pour obtenir que les gouvernements reconnaissent et portent attention aux violences contre la presse et à l’impunité a été extrêmement frustrant. Edetaen Ojo, directeur exécutif du groupe nigérian de défense de la liberté de la presse ‘Media Rights Agenda’, a observé qu’il y a peu de référence publique à la question au niveau élevé du gouvernement, et encore moins de tentatives pour y faire face. « Aucune mesure politique, législative ou administrative n’a été mise en place au cours de cette période pour remédier à la situation», a déclaré Ojo.

« Impunité zéro » est l’objectif déclaré du président brésilien Dilma Rousseff. En mai 2014, une délégation internationale dirigée par le CPJ a rencontré Roussef et les ministres de la Justice, des Droits de l’homme et de la Communication sociale à Brasilia. Elle a présenté les résultats et les recommandations du rapport spécial du CPJ : «mi-temps pour la presse brésilienne : la justice l’emportera-t-elle sur la censure et sur la violence ? » Lors de la réunion, Rousseff a déclaré que «le gouvernement fédéral est pleinement engagé dans la poursuite de la lutte contre l’impunité dans les cas de journalistes tués ».

La police brésilienne observe les manifestants qui protestent contre le meurtre d'un journaliste en 2002. La bannière déclare, « Halte à la violence, à l'exclusion et à l'impunité.» (AP/Dario Lopez-Mills)
La police brésilienne observe les manifestants qui protestent contre le meurtre d’un journaliste en 2002. La bannière déclare, « Halte à la violence, à l’exclusion et à l’impunité.» (AP/Dario Lopez-Mills)

La lutte du Brésil sera peut être longue. En dépit de sa réputation d’être l’une des plus grandes économies du monde, et d’avoir une presse diverse et dynamique, l’hôte de la dernière Coupe du Monde se classe toujours comme le 11e pays le plus meurtrier au monde pour les journalistes. Au moins 27 journalistes ont été assassinés en représailles directes à leur travail depuis que le CPJ a commencé à documenter les meurtres en 1992. Des recherches du CPJ montrent que dix de ces meurtres ont eu lieu depuis que Rousseff est arrivé au pouvoir en début 2011.

Bien que le Brésil ait récemment fait des progrès impressionnants en matière de condamnations des mis en cause, le pays se classe à la 11e place sur l’Indice mondial de l’impunité du CPJ 2014, avec neuf meurtres non résolus pour la période 2004-2013 couverte par l’enquête. Des fonctionnaires du gouvernement sont les principaux suspects dans la majorité des cas. Le problème de la violence et de l’impunité est plus extrême pour les journalistes provinciaux que pour leurs collègues travaillant dans les zones urbaines. Les meurtriers ciblent souvent les journalistes qui couvrent la corruption, la criminalité, oula politique-comme Rodrigo Neto, tué en mars 2013. Les enquêtes identifient souvent les assaillants, mais ils ne sont poursuivis que par intermittence.

Dans « Mi-temps pour la presse brésilienne », le CPJ rapporte que la justice pour de nombreux journalistes brésiliens ciblés pour leur travail, a été «hésitante et incomplète ». Le rapport cite plusieurs cas où des enquêtes musclées ont conduit à des arrestations. Selon le rapport, les membres des familles et collègues des victimes, pensent que «la chaîne de responsabilité se brise, une fois que l’affaire a atteint le pouvoir judiciaire», souvent due à la corruption qui règne.

Dans un cas d’assassinat, Edinaldo Filgueira, fondateur et directeur du journal local Jornal o Serrano dans le nord-est de Serra do Mel, a souvent dénoncé dans son blog le gouvernement local. Il a été abattu six fois par trois hommes non identifiés devant son bureau le 15 juin 2011. Un enquêteur spécial a été chargé de l’affaire et les premiers résultats sont encourageants. En décembre 2013, sept hommes ont été reconnus coupables d’avoir planifié et participé au crime, y compris le tireur. Un autre homme, Josivan Bibiano, maire de Serro do Mel au moment de la mort de Filgueira, a été accusé d’être le cerveau du crime. Il a été deux fois emprisonné, mais fut libéré ensuite lors d’une décision considérée par les critiques comme irrégulière. Personne ne peut dire actuellement, s’il sera jugé.

Des groupes internationaux et nationaux de défense de la liberté d’expression comme l’Association brésilienne des journalistes d’investigation (ABRAJI), ont fustigé la « performance » du Brésil pour sa justice incomplète et du fait qu’il ne protège pas les journalistes, et ont fait campagne pour obtenir une réponse vigoureuse du gouvernement. D’autres collègues ont formé des mouvements populaires basés sur les cas de Neto et Filgueira. Dans le cas de Filgueira, une communauté locale de blogueurs a instauré en son honneur la Journée nationale des blogueurs, de façon à attirer l’attention du public sur cette affaire. La corporation de la presse dans le pays d’origine de Neto, Minas Gerais, a fondé le Comité Neto Rodrigo après les meurtres de Neto et Walgney Assis Carvalho, un photographe du même journal, Vale doAço. Le comité fait pression sur les autorités pour obtenir des poursuites judiciaires complètes dans ces cas.

La pression a donné des résultats.

Fin 2012, l’administration de Rousseff, qui cherche à se faire réélire cette année, a formé un groupe de travail pour enquêter sur les attaques contre la presse et formuler des recommandations au gouvernement fédéral. Le groupe comprenait plusieurs organisations de la société civile, des conseillers du président, et les ministères de la Communication et de la Justice. Son rapport, publié en mars 2014, a documenté 321 cas d’assassinats, d’enlèvements, d’agressions, de menaces de mort, de détention arbitraire et de harcèlement de 2009 à 2014. Il a également proposé de nombreuses recommandations aux branches de l’exécutif, législatif et judiciaire du gouvernement fédéral, certaines axées particulièrement sur l’impunité et sur la protection.

Le groupe a conseillé au ministère des Droits humains et au ministère de la Justice d’établir un Observatoire national sur la violence contre les journalistes en coopération avec les bureaux de l’UNESCO et le centre d’informations des Nations Unies afin de faire la chronique des violations contre la presse et de créer un système d’enquêtes et de résolution. Il a également exhorté le Congrès à prévoir la participation de la police fédérale dans les enquêtes sur les crimes contre la liberté d’expression, en particulier dans les cas où il existe des preuves d’omission, des défaillances ou des complicité de la part des autorités locales. En plus de la proposition du groupe de travail, un projet de loi est en cours d’examen par le Congrès, pour que les cas soient traités plus rapidement par le système judiciaire.

Plus important encore, le nombre de condamnations au Brésil a augmenté. En 2013, les tribunaux brésiliens ont condamné les auteurs dans les cas de trois meurtres de journalistes, bien plus que tout autre pays en une seule année au cours de la dernière décennie. En plus de la justice partielle infligée l’an dernier dans le cas de Filgueira, une peine de prison de 27 ans a été requise contre le tueur du journaliste Francisco Gomes de Medeiros, abattu de cinq balles devant son domicile en 2010. Le cerveau de l’assassinat en 2002 du propriétaire d’un journal, éditeur et chroniqueur Domingos Sávio Brandão Lima Júnior a également été condamné en 2013. En 2014, deux hommes ont été condamnés pour l’assassinat en 2012 du journaliste et blogueur Décio Sá.

En mai, lors de la rencontre avec le CPJ, le président Rousseff s’est engagée à inclure la lutte contre l’impunité dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre. Si le Brésil peut complètement mettre en œuvre les recommandations du groupe de travail, et continuer à faire condamner les auteurs de crimes, il prouvera que les engagements de l’Etat ne sont pas toujours un vœu pieux, et servira de modèle aux autre pays.

Le Brésil n’est pas le seul pays à envisager une action fédérale pour traduire devant la justice les meurtriers des journalistes. Du Mexique à la Somalie, les États ont répondu à la pression pour diminuer l’impunité par des actions telles que la législation, création de groupes de travail, nominations de procureurs spéciaux et commissions. Celles-ci ont eu moins de succès. Certaines initiatives ont ouvert de nouvelles brèches sur des cas plus anciens ; certains étaient bien conçus, mais disposaient de peu de ressources, d’autres étaient une sorte de moyen de détourner les critiques.

Il existe peu d’endroits où un mécanisme efficace serait mieux accueilli qu’en Somalie, deuxième après l’Irak sur la liste des pays au monde où les assassins de journalistes échappent à la justice. En 2012, l’annonce par le Président Hassan Sheikh Mohamudofa de la création du nouveau groupe de travail pour enquêter sur tous les cas d’assassinats de journalistes, a offert un peu d’espoir, après une année sombre au cours de laquelle 12 journalistes ont été assassinés. Ce genre de pression de la part du gouvernement dans le but de mobiliser la police somalienne, est absolument nécessaire, a déclaré le journaliste somalien indépendant Abukar Albadri. « Les policiers ne visitent normalement pas la scène du crime lorsqu’ils commencent une enquête », a-t-il dit. « Enquêter sur l’assassinat d’un journaliste, ne les intéresse pas », a-t-il martelé.

Deux ans plus tard, il y a peu de résultats. Un seul auteur a été condamné sur les 27 cas de journalistes assassinés en Somalie depuis 2005. Les autorités ont exécuté un suspect dans l’assassinat Hassan Yusuf Absuge en 2012, mais l’absence de procédure régulière, a conduit bon nombre d’observateurs à se poser des questions quant au développement de l’affaire.

Selon un représentant du gouvernement, le groupe de travail a été formé, mais n’a pas d’argent pour fonctionner« Le groupe de travail a été mis en place l’année dernière et a vraiment mené des enquêtes. Cependant, à cause du manque de budget et de financement, il est difficile de mener à bien le travail de manière efficace », a déclaré Abdirahman Omar Osman, conseiller médias et communication stratégique auprès du gouvernement somalien. «Ils existent toujours, mais ne peuvent pas fonctionner sans ressources », a-t-il affirmé.

Osman a souligné l’absence d’aide internationale, malgré les promesses du Royaume-Uni et d’ailleurs, pour accroître l’aide au renforcement des institutions en Somalie. «Il n’y a aucun financement sur ce sujet en provenance des partenaires internationaux, ni aucune expertise dans ce domaine», a-t-il dit.

Albadri, cependant, dit que le gouvernement pourrait faire preuve de plus de volonté politique et de responsabilité. « Nous n’avons jamais eu un rapport du gouvernement, ni de la police ni du ministère de l’Information, pour expliquer les détails liés à des enquêtes», a-t-il déclaré. « Les promesses ne fonctionnent pas si le gouvernement n’ordonne pas à la police de prendre l’affaire au sérieux, d’enquêter sur les cas et de traduire les coupables présumés en justice », a-t-il dit

Par ailleurs, aux Philippines, au cours des dernières années, le gouvernement a créé un réseau de groupes de travail sous l’égide de la Police nationale, mais ceux-ci ont été taxés d’ «inutiles» par l’Union nationale des journalistes des Philippines. Les partisans suggèrent qu’une meilleure approche serait une équipe d’intervention rapide qui inclurait des membres de la société civile et des représentants du gouvernement et qui pourrait être expédié sur les lieux immédiatement après une attaque.

Établir un organisme d’enquête pour des cas spécifiques peut apporter des résultats, mais pas quand ses conclusions sont dérisoires ou opaques. Après que les médias pakistanais ont vigoureusement protesté contre l’assassinat de Saleem Shahzad, le gouvernement a ouvert une commission d’enquête. Shahzad, qui avait écrit sur les liens présumés entre Al-Qaïda et la marine pakistanaise, avant sa disparition en mai 2011, avait reçu des menaces du service de renseignement pakistanais. Le rapport de la commission, publié en 2012, comprenait des recommandations fortes pour instiller une plus grande responsabilité dans la conduite des agences de renseignement du Pakistan, mais il n’a pas réussi à identifier les auteurs.

Bien qu’elle n’ait pas été pas concluante du tout, la commission Shahzad a tout de même été un peu plus loin que l’enquête judiciaire formée en réponse à l’enlèvement et à l’assassinat en 2006 du journaliste pakistanais Hayatullah Khan. Malgré les appels répétés des groupes nationaux et internationaux de défense de la liberté de la presse, ce rapport n’a jamais été rendu public.

Dans un autre cas d’une commission n’ayant donné aucun résultat, le Président Masoud Barzaniof du Kurdistan irakien, a annoncé la nomination d’un comité pour enquêter sur les assassinats d’un populaire journaliste étudiant, Sardasht Osman, enlevé et tué en 2010. Aucun détail sur la composition de la commission ni ses résultats n’ont depuis été publiés. Le CPJ a demandé cette année, la divulgation complète des activités de la commission, dans un rapport spécial sur l’impunité au Kurdistan, et dans ses rencontres avec des représentants du gouvernement

La Colombie a créé une sous-unité spéciale sous l’égide du bureau du Procureur, dans le but de mener des enquêtes sur les crimes commis contre les journalistes. Le CPJ a trouvé que cela n’avait pas débouché sur des poursuites plus efficaces ou sur des condamnations plus valides. Toutefois, la loi controversée de 2005 sur la Justice et la Paix, qui accorde la clémence aux membres de groupes armés illégaux en échange de leur démobilisation et d’aveux complets, a contribué à établir la vérité dans certains cas plus anciens, et a abouti à une condamnation dans l’assassinat, en 2003 du commentateur radio José Emeterio Rivas

Dans les situations où l’impunité est alimentée par la corruption, la collusion, ou le manque de ressources par les autorités locales et provinciales, beaucoup se tournent vers des modèles qui permettent aux agences nationales d’enquêter lorsqu’un journaliste est victime de violence. Cela a été encouragé au Brésil et au Mexique. Dans ce dernier, les législateurs ont approuvé en avril 2013, une loi soutenant l’adoption d’un amendement constitutionnel qui donne aux autorités fédérales compétence pour juger les crimes contre les journalistes. Bien que la loi soit considérée comme une étape importante vers l’amélioration de la liberté de la presse au Mexique, classé septième sur l’Indice 2014 de l’impunité du CPJ, rien n’a vraiment eu lieu jusqu’à maintenant.

Une femme montre des cartes d'identité de membres de la presse assassinés au Mexique.  (Reuters/Alejandro Acosta)
Une femme montre des cartes d’identité de membres de la presse assassinés au Mexique. (Reuters/Alejandro Acosta)

Dans le cadre du nouveau pouvoir, le Bureau du procureur spécial du Mexique pour les crimes commis contre la liberté d’expression, connu sous le nom fiscalia, peut prétendre avoir le contrôle des enquêtes sur les crimes commis pour des raisons lés à la pratique du journalisme. Les journalistes ont déclaré au CPJ que le bureau tarde à exercer ce pouvoir.

Ils pointent du doigt le cas de Gregorio Jiménez de la Cruz, qui a été enlevé le 5 février 2014, à son domicile à Veracruz. Jiménez avait fait des reportages sur des sujets sensibles tels que les abus contre les travailleurs migrants, mais le bureau du procureur fédéral n’est pas intervenu parce qu’il a déclaré qu’il n’a pas déterminé si l’exercice du journalisme était le mobile. Les défenseurs de la liberté de la presse disent que c’est une étape qui doit venir seulement quand une enquête concrète a effectivement eu lieu. « Si vous prenez l’option d’enquêter afin de voir si le crime lié au journalisme, vous allez perdre de temps », a déclaré Javier Garza Ramos, un journaliste mexicain spécialiste de formation et protection en matière de sécurité pour les médias.

Le procureur spécial Laura Borbolla a déclaré au CPJ dans une interview, qu’il fut difficile d’obtenir des informations auprès des autorités de Veracruz. « Ce que je crois, c’est qu’ils veulent garder une image politique », a-t-elle dit. « Cela porte préjudice, sans aucun doute à une enquête ou une coordination », a-t-elle indiqué.

Il y a beaucoup à dire sur la capacité du Mexique à faire de ce programme un succès, non seulement pour ses propres journalistes, mais aussi pour les communautés des médias dans d’autres pays, désespérés de trouver la preuve qu’il est possible de rompre le cycle de la violence et de l’impunité. «Si la fiscalía commence à obtenir des condamnations, le message envoyé sera que la tendance est en train de s’inverser ou peut être inversée. C’est quelque chose que tout État ou tout gouvernement pourra lire et comprendre », a souligné un responsable local qui travaille avec une organisation internationale.

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