Attaques contre la presse en 2010: L’Éthiopie

Principaux Développements
• Le Prix international pour la liberté de la presse décerné au journaliste Dawit Kebede.
• Les autorités emprisonnent les journalistes indépendants, brouillent les émissions en langue amharique de la Voix de l’Amérique.

Statistique Cle
Des journalistes interrogés pendant 7 heures tandis que le Premier ministre prononçait un discours sur la liberté de choisir.

Le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF, au pouvoir) a emprisonné des journalistes, brouillé les signaux de chaînes étrangères et bloqué des sites Web, tout en remportant une écrasante majorité parlementaire durant les élections générales en mai. La Commission électorale nationale, contrôlée par le gouvernement, a déclaré que la coalition dirigée par l’EPRDF du Premier ministre Meles Zenawi, au pouvoir depuis 1991, a ainsi remporté 545 des 547 sièges au Parlement. L’opposition a contesté ces résultats en dénonçant l’intimidation des électeurs et la fraude électorale. Le scrutin a également été critiqué par les États-Unis et l’Union européenne. Zenawi, qui a peu fait cas de ces critiques qu’il a qualifié de campagne de dénigrement, a ainsi été reconduit pour un nouveau mandat de cinq ans. Quant à la chef de fil de l’opposition, Birtukan Mideksa, elle a été maintenue en prison jusqu’en octobre.

ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2010
Préface
Introduction
Analyse sur L’Internet
Analyse Afrique
Afrique du Sud
Angola
Cameroun
Ethiopie
Nigeria
RDC
Rwanda
Somalie
Ouganda
Zimbabwe
En bref

Alors que les dirigeants éthiopiens se vantaient de leur croissance économique, le gouvernement affirmait de plus en plus son attachement au modèle de développement de la Chine. « Nous ne suivons pas les principes de la démocratie libérale que les pays occidentaux nous poussent à suivre», a déclaré le vice-Premier ministre Hailemariam Desalegn dans une interview à la Voix de l’Amérique. Lors du forum de dirigeants du monde qui s’est tenu en septembre à l’Université Columbia de New York, Zenawi a prononcé un discours qui a dépeint le déclin des modèles économiques occidentales et critiqué les prétendues abus de l’Occident sur l’Afrique. Dans ce discours, il a décrit une nouvelle ère dans laquelle les Africains ont la liberté de choisir des modèles alternatifs de développement. « Le fait que les Africains aient maintenant la liberté de choisir est … fondamentalement libérateur », a-t-il dit. Au cours d’une séance de questions-réponses après le discours, Mohamed Keita du CPJ a demandé au premier ministre de concilier sa description de cette liberté de choisir à la répression des journalistes par son administration. « Au fil des ans, en concédant la liberté de choisir aux Éthiopiens, nous avons dû marcher sur les orteils de certains. Et ces derniers ont eu du mal à accepter le statu quo en Éthiopie », a répondu Zenawi.

Illustrant la volonté du gouvernement de marcher sur les orteils de certains, la police d’Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, a interrogé deux rédacteurs en chef de l’hebdomadaire Sendek pendant sept heures, peu avant le discours de Zenawi à New York. La police a déclaré qu’elle avait convoqué ces deux journalistes pour une affaire de violation de licence. Cependant, des journalistes locaux ont déclaré que la licence était à jour et que cet interrogatoire était en fait motivé par la publication par Sendek d’une interview avec un leader de l’opposition. Face à ce harcèlement, les journalistes ont rarement osé aborder les écarts entre les réussites du pays et ses lacunes. Parmi ces paradoxes figurent les prétentions de croissance économique du gouvernement, malgré le fait que l’Éthiopie se soit classée parmi les dix derniers pays à travers le monde sur l’Indice de développement humain des Nations Unies en 2010. Cet Indice évalue les pays selon des critères de qualité de vie comme l’espérance de vie, l’éducation et le niveau de vie.

La presse indépendante éthiopienne, déjà aux prises avec des difficultés, ressentait encore la perte de l’hebdomadaire Addis Neger, qui a fermé en 2009, lorsque ses directeurs de publication, harcelés par le gouvernement, ont fui en exil. Ces journalistes ont continué à publier une édition en ligne d’Addis Neger tout en étant en exil, mais le lectorat au niveau national a été considérablement réduit.

En l’absence d’Addis Neger, l’hebdomadaire Awramba Times est apparu comme la seule publication dans la capitale éthiopienne à oser aborder la politique de manière plus ou moins libre en passant au crible la gestion du gouvernement, selon des sources locales. Awramba Times est parmi la poignée de journaux à orientation politique que le gouvernement a autorisé depuis qu’il a fermé les organes de presse indépendants en langue Amharique durant la brutale répression contre les contestations de l’élection de 2005.

Le gouvernement a cherché à intimider les membres du personnel d’Awramba Times en représailles pour leur ligne éditoriale indépendante. En mai, par exemple, le journal a publié un article comparant la ferveur de l’opposition pour l’élection de 2010 à celle exprimée lors du scrutin très disputé de 2005, selon des journalistes locaux. Desta Tesfaw, président de l’organe de régulation des médias contrôlé par le gouvernement, a convoqué le directeur de publication d’Awramba Times, Dawit Kebede, et accusé le journal d’ «inciter et de leurrer intentionnellement le public», a déclaré le journaliste. Ces menaces ont poussé le rédacteur en chef du journal, Woubshet Taye, à démissionner.

Kebede a signalé en juin que le journal trouvait son courrier abîmé et ouvert dans sa boite postale à Teklay Posta Bet, la direction nationale de la Poste. Un responsable de la poste, Bezabih Asfaw, a déclaré au CPJ qu’il enquêterait sur ces allégations, mais a nié toute tentative d’altération du courrier du journal. En juillet 2010, Ethio Channel, une publication privée progouvernementale, a publié des articles accusant Awramba Times de «travailler en collaboration avec Ginbot 7 pour renverser le gouvernement », selon des journalistes locaux. Le gouvernement avait interdit Ginbot 7, un mouvement d’opposition politique et l’a étiqueté comme une organisation terroriste.

Kebede, qui a été emprisonné dans le cadre de la répression de 2005, a été lauréat du Prix international du CPJ pour la liberté de la presse en novembre 2010, en reconnaissance de son courage face à l’intimidation du gouvernement.

Par ailleurs, le gouvernement a continué à harceler d’autres journalistes ciblés dans la répression de 2005. En mars, un panel de trois juges de la Cour suprême a rétabli des amendes infligées aux maisons d’édition dissoutes, notamment Fasil, Serkalem, Sisay et Zekarias; leurs directeurs ont été individuellement acquittés d’accusations de menées antiétatiques. Les amendes, qui vont de 15.000 birrs (soit 1.100 dollars américains) à 120.000 birrs (soit 8.800 dollars américains), étaient exorbitantes par rapport au niveau économique d’Ethiopie.

Les autorités ont également intensifié la pression sur la Voix de l’Amérique (VOA), ciblant les émissions de la station en langue amharique, qui sont retransmises depuis Washington vers l’Éthiopie depuis septembre 1982. En février, la VOA a indiqué que ses auditeurs en Éthiopie n’entendaient que de la friture. Des sources du CPJ en Éthiopie ont confirmé ces allégations, soulignant cependant qu’il n’y avait pas de brouillage pour les émissions de la VOA en langues Afan Oromo et Tigrigna. Le gouvernement éthiopien a d’abord nié toute implication. « C’est absolument faux», a dit au CPJ son porte-parole, Shimelis Kemal. « Le gouvernement éthiopien ne soutient pas la politique de restriction des services de radiodiffusion étrangers dans le pays. De telles pratiques sont interdites dans notre constitution », a-t-il dit. Cependant, d’autres stations internationales qui diffusent des émissions en langue amharique en Éthiopie, notamment la chaîne publique allemande, Deutsche Welle, ont également signalé brouillages récurrents, selon des recherches du CPJ.

Toutefois, en mars, lors d’une conférence de presse, Zenawi a levé tout doute sur l’implication de son gouvernement dans le brouillage des stations étrangères. Comparant le service de la VOA en amharique à la Radio Télévision Libre des Mille Collines, la station rwandaise tristement célèbre pour avoir incité au génocide de 1994, Zenawi a déclaré que les émissions de la VOA constituaient une «propagande déstabilisante ». Il a indiqué qu’il allait autoriser officiellement le brouillage des stations étrangères une fois que les techniciens du gouvernement en avaient la pleine capacité. Suite aux propos de Zenawi, le porte-parole du gouvernement éthiopien, Shimelis Kemal, a déclaré que la « VOA a par le passé diffusé à plusieurs reprises des programmes et déclarations tendant à inciter et fomenter la haine entre les différents groupes ethniques », selon des médias. La VOA a nié toutes ces accusations d’incitation ou de manque de professionnalisme. Des journalistes de la station ont déclaré au CPJ que les autorités éthiopiennes ont depuis plusieurs années adopté une politique de refuser de répondre aux demandes d’informations ou de commentaires du service en langue Amharique.

L’animosité du gouvernement à l’égard de la VOA a peut-être été à l’origine de l’expulsion de Heather Murdock, une collaboratrice de cette station qui a couvert les élections de mai et a été arrêtée en juin pendant qu’elle faisait un reportage dans la région orientale de Harar. Les autorités ont accusé Murdock de tenter de communiquer avec le Front national de libération de l’Ogaden, un groupe séparatiste qui se bat contre l’armée dans la région. Harar a une frontière commune avec la région agitée de l’Ogaden, où l’accès indépendant des journalistes est refusé, selon des recherches du CPJ. Murdock a nié ces accusations, affirmant au CPJ qu’elle faisait en faites un reportage à Harar sur les hyènes.

Le changement de ton du gouvernement, du démenti des abus au mépris de la critique, s’est produit lorsque l’ONG Human Rights Watch a publié un rapport concluant que les autorités avaient créé un climat de peur avant les élections de mai à travers une « répression coordonnée et soutenue » contre les opposants politiques et les journalistes. En janvier, par exemple, des agents de sécurité dans la ville de Mekelle au nord du pays ont arrêté Jason McLure de Bloomberg News à sa sortie d’un entretien avec des dirigeants du parti d’opposition Aarena Tigray au sujet d’allégations de harcèlement gouvernemental, selon des journalistes locaux. McLure a été détenu pendant cinq jours.

Avec quatre journalistes derrière les barreaux lorsque le CPJ menait son recensement annuel des journalistes emprisonnés en date du 1er décembre 2010, l’Éthiopie est le deuxième pays qui emprisonne le plus de journalistes dans la région, derrière l’Érythrée, dont les prisons renfermaient au moins 17 journalistes.

Officiellement, les autorités ont affirmé avoir pris des mesures pour réduire les poursuites pénales contre les journalistes. « Le gouvernement a corrigé maintes et maintes pratiques telles que la détention provisoire des journalistes. Les procureurs ne sont pas encouragés à engager des poursuites contre les journalistes », a déclaré Kemal au CPJ en août. Pourtant, les autorités de la région d’Afar au nord-est ont placé Akram Ezedin, journaliste de l’hebdomadaire privé islamique Al-Quds, en détention provisoire pendant deux mois sous des accusations de diffamation liées à des articles critiques à l’égard du Conseil islamique de la région. Ezedin, 17 ans, a été arrêté le 11 septembre, le jour où son père Ezedin Mohamed, également directeur de publication dudit journal, a été libéré après avoir purgé neuf mois de prison pour un article en 2008 ayant critiqué une déclaration de Zenawi sur les affaires religieuses en Éthiopie, selon des journalistes locaux.

Deux journalistes de l’Agence éthiopienne de radio et télévision, contrôlée par le gouvernement, notamment Haileyesus Worku et Abdulsemed Mohammed, respectivement rédacteur en chef et reporter de ladite agence, ont été emprisonnés suite à la présumée tentative de Worku de copier des images sensibles de la répression postélectorale de 2005. Une semaine après leur arrestation, un porte-parole du gouvernement, Bereket Simon, a déclaré au CPJ que les journalistes avaient été «pris en flagrant délit », mais il n’a pas donné de détails sur les accusations. Les deux journalistes ont finalement été inculpés de violation du droit d’auteur. Leur procès, à huis clos, était encore en cours à la fin de l’année.

Abdulsemed Mohammed, un journaliste chevronné avec 14 années d’expérience professionnelle, était l’un des anciens journalistes rétrogradés par la direction de l’agence suite à un redéploiement politisé au niveau de la fonction publique qui a remplacé les journalistes professionnels par des cadres du parti au pouvoir, ont dit au CPJ des journalistes. Ils estimaient que les charges contre ce journaliste étaient des représailles politiquement motivées pour son non adhésion au parti au pouvoir.

Comme dans les années précédentes, les autorités éthiopiennes ont refusé de faire des déclarations sur le lieu de détention, la santé ou le statut juridique de Saleh Idris Gama et Tesfalidet Kidane Tesfazghi, journalistes de la télévision d’état érythréenne (Eri-TV), qui sont détenus au secret sous des accusations non fondées de terrorisme depuis fin 2006.

Les autorités éthiopiennes ont imposé une censure Internet considérable: les sites Web de la VOA, du CPJ et du service de raccourcissement d’URL bit.ly ont été parmi ceux qui étaient inaccessibles dans le pays, selon des utilisateurs locaux de l’Internet. Le gouvernement a semblé relaxer son monopole sur le service Internet en mars lorsqu’il a accordé à l’entreprise France Télécom un contrat de trois ans pour la gestion de la Société éthiopienne de télécommunications. Les termes du contrat n’ont pas été divulgués, selon des médias locaux.