Attaques contre la presse en 2009: Niger

Principaux développements
• Le président Tandja resserré son emprise sur le pouvoir, les médias par des amendements constitutionnels
• Les journalistes faisant des reportages sur la corruption sont la cible de représailles gouvernementales.

Statistique clé
3: années supplémentaires de pouvoir pour le président Tandja, à la suite d’un amendement constitutionnel controversé.

ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2009
Préface
Introduction
Analyse
Ethiopie
Gambie
Madagascar
Niger
Nigeria
Ouganda
RDC
Somalie
Zambie
Zimbabwe
En bref

En vue de se maintenir au pouvoir, le président Mamadou Tandja a fait adopter un audacieux amendement constitutionnel abrogeant la limitation des mandats présidentiels et resserrant son emprise sur l’Agence nationale de régulation des médias. Face à de vives critiques dans la perspective d’un référendum en août pour modifier la constitution, l’administration de M. Tandja a réduit au silence la dissidence en emprisonnant ses détracteurs, intimidant les médias d’information et émettant un décret d’urgence qui a dissout l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle du pays. D’après les résultats officiels, les amendements ont été approuvés à 92 pour cent, mais les politiciens de l’opposition et leurs partisans ont boycotté ce vote, qu’ils ont qualifié de farce.

Dans les mois qui ont précédé le référendum, la Cour constitutionnelle du Niger a déclaré à deux reprises que l’effort du président Tandja pour abroger la limitation des mandats présidentiels était incompatible avec la Constitution de 1999, ce qui a poussé les principaux députés de l’Assemblée nationale à envisager sa destitution. Cependant, M. Tandja, un ancien colonel de l’armée âgé de 71 ans qui était presque au terme de ce qui aurait du être son deuxième et mandat de cinq ans, a répliqué en juin avec des décrets d’urgence qui ont balayé ces obstacles officiels en dissolvant la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale.

De fortes critiques dans la presse indépendante ont entraîné une réplique similaire de la part du président. Le 8 juillet, M. Tandja a publié un décret donnant au président de l’agence de régulation des médias, le Haut Conseil de la communication, les pleins pouvoirs de prendre des mesures punitives contre tout organe de presse perçu comme ayant violé une règle de sécurité nationale vaguement définie, selon des journalistes locaux et des médias. Ce décret a enfreint les procédures normales du Conseil qui requièrent la consultation entre tous les membres et l’émission d’une mise en demeure avant la prise de mesures disciplinaires, selon des experts juridiques.

L’Association nigérienne des éditeurs de la presse indépendante (ANEPI), qui représente 60 journaux, 23 stations de radio et quatre chaînes de télévision, a tenté de protester contre les mesures autoritaires en décrétant une semaine de grève à partir du 20 juillet. Le gouvernement, cherchant apparemment à dénigrer ses détracteurs, a répliqué en invitant des journalistes de l’étranger à venir pour rendre compte des projets de construction publics que M. Tandja utilisait comme références pour légitimer son projet de se maintenir au pouvoir. Environ 30 journalistes étrangers de médias d’État et privés ont accepté cette invitation.

De nombreux médias privés ont choisi de ne pas couvrir le référendum constitutionnel. Des journalistes, comme Ali Idrissa, directeur général adjoint de Dounia, une station privée de radio et de télévision, a déclaré au CPJ qu’ils avaient été avertis par le ministère de l’Intérieur et le président du Haut Conseil de la communication de ne pas diffuser des interviews avec ceux qui ont boycotté le référendum. Moussa Aksar, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Evènement, a exprimé une grande déception à propos des actions brutales de l’administration du président Tandja. « Nous avons choisi ce métier de journaliste pour que la démocratie puisse s’enraciner dans ce pays », a-t-il dit, ajoutant : «cela nous ramène en arrière ».

Les modifications constitutionnelles ont prolongé de trois ans le mandat du président Tandja, qui devait prendre fin en décembre, et lui ont permis de solliciter une élection pour une durée indéterminée. Le président a également consolidé son pouvoir sur la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale. La Cour a été reconstituée en juillet avec de nouveaux juges nommés par le président, selon des médias. Lors des élections législatives en octobre, le parti au pouvoir a remporté les deux tiers des 113 sièges de l’assemblée. Ce scrutin a été largement boycotté par l’opposition.

Les changements constitutionnels ont également reconstitué le Haut Conseil de la communication en un organe de sept membres, dont quatre doivent être nommés par le président. (Les autres membres devant être nommés par le ministre de la Communication et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat). Ce nouveau format a donné à M. Tandja le contrôle majoritaire de cette agence qui comprenait auparavant 11 membres, dont cinq étaient nommés par le président. «Avec de tels [membres], nous sommes certains que de nombreux organes de presse seront fermés », a déclaré Boubacar Diallo, président de l’Association nigérienne des éditeurs de la presse indépendante. Avant la fin de l’année dernière, la plupart des nouveaux membres avaient été nommés selon ces nouvelles dispositions.

Le HCC avait pris un tas de mesures répressives au fil des années, mais ses membres ont également affirmé qu’ils jouissaient d’une certaine indépendance. Plus tôt en 2009, six membres s’étaient publiquement opposés à l’effort de Daouda Diallo, président du HCC, de suspendre Dounia, une chaîne connue pour sa couverture favorable au politicien en exil, Hama Amadou. S’adressant au CPJ, M. Diallo a accusé la station Dounia d’avoir diffusé un « appel à l’insurrection» en diffusant des déclarations hostiles au changement constitutionnel. Les six membres du HCC ont déclaré dans un communiqué que M. Diallo avait mal agi en imposant l’interdiction de Dounia de façon unilatérale. Le juge d’un tribunal de première instance a annulé la suspension de Dounia le 2 juillet.

Le projet de M. Tandja pour rester au pouvoir a aggravé les tensions de longue date entre la presse indépendante et le gouvernement; des tensions suscitées par des années de censure, de poursuites pénales et d’emprisonnement de journalistes couvrant des questions sensibles. Les reportages sur la corruption, notamment dans la gestion des ressources naturelles du Niger, ont aussi suscité des répliques sévères du gouvernement en 2009. En début août, quelques jours seulement avant le référendum, la police a interrogé les directeurs de publication de huit journaux privés qui ont publié des articles impliquant le fis du président Tandja, Hadia dans un scandale de versement de pot-de-vin issus des bénéfices de l’exploitation de l’uranium du pays. Dans une autre affaire en avril, le directeur général de Dounia, Abibou Garba, a été accusé de diffamation et de diffusion de fausses nouvelles, après que la diffusion d’un débat dans lequel un militant a qualifié de « pillage de ressources du Niger » un accord d’exploitation de l’uranium entre une société française d’énergie nucléaire, AREVA, et le gouvernement nigérien.

Ces arrestations ont porté atteinte aux engagements publics de M. Tandja de combattre la corruption enracinée dans son pays. Le Niger s’est classé 115ème sur 180 pays au monde sur l’indice de corruption 2008 de Transparence Internationale. La presse privée a régulièrement fait des reportages sur la mauvaise gestion présumée des institutions publiques dans ce pays, souvent au prix d’emprisonnement et de harcèlement. En janvier, Boussada Ben Ali, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Action, a été emprisonné dans le cadre d’un article alléguant que le ministère des Finances avait accordé un contrat de fourniture d’équipements médicaux sans appel d’offres. Un juge a reconnu M. Ali coupable de « divulgation d’informations susceptibles de porter atteinte à l’ordre public » et l’a condamné à trois mois de prison. Lorsque Yahouza Amani, avocat du journaliste, a publiquement critiqué la décision du juge, il a été arrêté et placé en détention pendant 24 heures pour avoir « jeté le discrédit sur une décision de justice », ont déclaré des journalistes locaux. Dans une affaire distincte en septembre, Ibrahim Soumana Gaoh, directeur de publication de l’hebdomadaire privé Le Témoin, a passé neuf jours en prison pour un article accusant l’ancien ministre nigérien de la Communication, Mohamed Ben Omar, d’être impliqué dans un détournement de fonds à la société nationale des télécommunications, SONITEL.

Le cas d’un autre journaliste emprisonné, Abdoulaye Tiémogo, directeur de publication de l’hebdomadaire Le Canard Déchaîné, a illustré la détermination du gouvernement nigérien de persécuter les journalistes contestataires. M. Tiémogo a été arrêté au moins trois fois et a du se tenir en cachette au moins une fois au cours de cette décennie de peur d’être arrêté, selon des recherches du CPJ. Cependant, le 1er août, M. Tiémogo a été arrêté à nouveau en relation avec des articles alléguant des scandales de corruption. Dans un rebondissement, un juge l’a condamné sur la base d’une accusation étrangère de « jeter le discrédit sur une décision de justice» dans le cadre d’une interview télévisée qui a commenté les efforts du gouvernement visant à arrêter et à extrader le politicien nigérien exilé, Hama Amadou, selon l’avocat de la défense, Marc Le Bihan. La santé de M. Tiémogo s’est détériorée en prison, il a ainsi été hospitalisé en août après qu’il a contracté le paludisme et s’est écroulé une fois dans sa cellule, selon des journalistes locaux. Alors qu’il était en convalescence dans un hôpital de la capitale nigérienne, Niamey, il a soudainement été transféré à une prison éloignée à Ouallam, une ville située à 90 kilomètres au nord de Niamey, a déclaré au CPJ son épouse, Zeinabou Tiémogo. Abdourahamane Ousmane, président du Réseau des journalistes pour les droits de l’homme, a déclaré au CPJ que le choix de cette prison reflète la volonté du gouvernement d’isoler M. Tiémogo de sa famille et de l’empêcher de recevoir l’attention médiale appropriée. Le CPJ a fait un plaidoyer, exhortant le gouvernement à offrir un traitement plus humain à ce journaliste. Le 26 octobre, un juge de la Cour d’appel a ainsi allégé la peine de M. Tiémogo et l’a mis en liberté, selon des journalistes locaux.