Attaques contre la presse en 2008: Ethiopie

La petite avant-garde de médias indépendants apparue depuis la brutale répression de 2005 a souffert face à un harcèlement gouvernemental persistant. Les autorités ont autorisé une poignée de journaux  indépendants à paraître tout en intimidant leur couverture des sujets sensibles avec les détentions policières, les poursuites judiciaires et les mesures de censure.

En février, le gouvernement a autorisé les hebdomadaires privés en langue amharique Awramba Times et Harambe, revenant ainsi sur un précédent refus de licence de publication. Les éditeurs de ces journaux, respectivement Dawit Kebede et Wosonseged Gebrekidan, ont fait partie des journalistes graciés en 2007 après avoir passé 21 mois en détention sur des accusations d’activités subversives contre l’Etat forgées de toutes pièces. Trois autres anciens prisonniers: l’éditrice déjà primée Serkalem Fasil, son mari l’éditorialiste Eskinder Nega et l’éditeur Sisay Agena qui avaient été acquittés des mêmes accusations en 2007 se sont vus leur demandes rejetées.

Pendant la majeure partie de l’année, les demandes de licence de publication pour les médias commerciaux ont été soumises à l’approbation du ministère de l’Information, qui a exercé son autorité de façon arbitraire. Fin octobre, de façon inattendue, le Premier ministre Meles Zenawi a annoncé la dissolution du ministère de l’Information. Il n’est pas encore clair quelle structure le remplacera.

En avril, des élections aux conseils municipaux et à la Chambre des représentants se sont tenues. Il s’agissait des premières depuis le scrutin contesté de 2005 qui avait conduit à des manifestations généralisées et à des violences meurtrières. L’opposition éthiopienne divisée a boycotté les élections d’avril pour protester contre ce qu’elle a qualifié d’intimidation. Par conséquent, le Front Révolutionnaire Démocratique du Peuple Ethiopien, parti au pouvoir depuis 1991, a partout raflé les sièges.

Le traitement des sujets politiques s’est avérée risquée pour la presse. Les reportages sur le mouvement d’opposition en exil Ginbot 7 ont été dangereux. Baptisé ainsi en référence à la date à laquelle se sont tenues, dans le calendrier éthiopien, les élections tumultueuses de 2005, ce mouvement dirigé par Berhanu Nega, appelait à défier le gouvernement « par tous moyens de lutte ».

En août, lorsque Awramba Times rapportait le lancement par Ginbot 7 d’un programme radio diffusé en Ethiopie par satellite et par Internet, le journal a reçu des avertissements téléphoniques d’officiers de la police demandant d’arrêter toute couverture « d’organisations anticonstitutionnelles ». Le même mois, l’éditeur Kebede a été interrogé par la police à propos d’une série d’articles politiques dans cinq éditions de Awramba Times, dont un éditorial contestant l’affirmation du gouvernement selon laquelle les élections législatives d’avril avaient été marquées par une large participation. La police l’a également entendu à propos d’une chronique du chef de Ginbot 7 comparant Zenawi au président zimbabwéen Robert Mugabe. Gebrekidan, l’éditeur d’Harambe, a aussi été interrogé sur des articles similaires.

En novembre, les autorités ont accru leur pression sur Awramba Times en réactivant soudainement une vieille affaire contre le journal après que celui-ci a publié la transcription d’une interview à la radio de Nega débattant de l’élection présidentielle américaine et de la démocratie en Ethiopie. Le parquet a inculpé le propriétaire et rédacteur en chef du journal, Dawit Kebede, ainsi que son rédacteur en chef adjoint Wonderad Debretsion, pour « incitation par publication de fausses rumeurs » à propos d’une interview publiée en mars avec le dirigeant d’opposition Yacob Hailemariam. Les journalistes locaux ont interprété le moment choisi de l’inculpation comme des représailles contre la publication de l’entretien avec Nega.

Le procès très en vue de la pop star Tewodros Kassahun, un opposant au gouvernement, a aussi été un sujet sensible. Kassahun, plus connu sous le nom de Teddy Afro, a été mis en prison en avril dans une affaire d’accident de la route mortel, avec délit de fuite, survenu en 2006. Ses apparitions devant le tribunal ont suscité de rares et spontanées manifestations de fans et de soutiens. Le titre populaire de Kassahun, « Jah Yasteseryal », avait été l’hymne des manifestants antigouvernementaux au cours des troubles ayant suivi les élections de 2005, selon des sources locales.

En mai, en réponse à un article de Une sur le procès de Kassahun, qui comprenait un entretien avec son avocat et des fans de l’artiste, la police a bloqué la distribution de 10 000 exemplaires du magazine sur le monde du spectacle Enku. Elle a également arrêté son rédacteur en chef adjoint et propriétaire, Alemayehu Mahtemework ainsi que trois membres du personnel. La police a allégué que l’article pouvait inciter les gens à la violence et a détenu les journalistes pendant cinq jours sans les inculper. Les exemplaires du journal ne furent rendus qu’en août.

Autre rebondissement, en août, le juge de la Haute Cour fédérale Leul Gebremariam a fait mettre en prison pour outrage au tribunal Mesfin Negash, rédacteur en chef du principal hebdomadaire indépendant Addis Neger après qu’il a publié un entretien avec l’avocat du chanteur. L’avocat se montrait critique sur la façon dont Gebremariam menait le dossier Kassahun. Negash a reçu une peine de prison avec sursis, cependant le journal a fait appel de ce jugement, exprimant son inquiétude quant à « l’effet refroidissant » qu’il aurait sur la couverture des affaires judiciaires. Fin 2008, l’appel était toujours pendant.

Les intérêts commerciaux influents ont été aussi un sujet sensible. Des journalistes de l’hebdomadaire en anglais et amharique Reporter, dont le directeur de publication Amare Aregawi, ont reçu des menaces anonymes après une série d’enquêtes alléguant que des personnes proches du milliardaire Sheik Mohammed Hussein al-Amoudi avaient mal géré ses investissements, selon des journalistes locaux. Le 31 octobre, trois hommes ont agressé Aregawi alors qu’il marchait aux environs de son bureau, le frappant à la tête à coups de pierre et le laissant inconscient, selon le témoignage de témoins auprès du CPJ. Trois hommes ont été interpellés. Leur dossier était toujours pendant fin 2008.

Auparavant en août, Aregawi, l’un des journalistes les plus connus du pays, avait déjà subi six jours de prison sans inculpation en rapport avec un article sur un conflit entre les travailleurs et la direction d’une brasserie d’Etat dans la ville de Gonder au nord du pays. Son journaliste et auteur de l’article, Teshome Niku, a été brièvement détenu en juin. Ni l’un ni l’autre n’ont été inculpés.

“Cela devient la routine pour les journalistes : vous couvrez une affaire, puis vous allez au poste de police”, a déclaré en août au CPJ le rédacteur en chef adjoint de Awramba Times, Debretsion. Zenawi, lui, voit les choses différemment. « Je ne crois pas que l’espace politique soit restreint en quoi que ce soit », a-t-il déclaré le même mois au Los Angeles Times.

Les représentants de la presse étrangère continuent à travailler sous le coup d’un régime strictement appliqué au renouvellement annuel de leur droit de résidence et de leur accréditation – une technique gouvernementale pour dissuader toute critique. Le conflit dans la région de l’Ogaden, les violations des droits de l’homme et la crise alimentaire font partie des sujets ayant peu retenu l’attention des journalistes étrangers résidents. Réagissant à l’arrestation d’Aregawi, une journaliste étrangère ayant requis l’anonymat par peur des représailles du gouvernement, a écrit dans un email au CPJ : « J’aimerais bien faire quelque chose sans risquer l’expulsion. »

Le gouvernement a activement pris pour cible les médias basés à l’étranger. Dès janvier, le CPJ a reçu des informations selon lesquelles les ondes de la Voix de l’Amérique et de la radio publique Deutsche Welle étaient brouillées. Un porte-parole du ministère éthiopien de l’Information, Zemedkun Tekle, a déclaré à VOA qu’il s’agissait là d’allégations « complètement infondées ».

En avril , les autorités éthiopiennes ont soudainement rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar accusant « la production de ses médias » de « soutien direct et indirect à des organisations terroristes », selon un communiqué du ministère éthiopien des Affaires étrangères. En novembre, dans un entretien avec le CPJ, le porte-parole de ce ministère, Wahid Belay, a dit que le communiqué faisait référence à la station de télévision satellite Al-Jazeera basée à Doha. Celle-ci avait diffusé une série de reportages percutants sur la détresse des populations civiles de l’Ogaden, où une insurrection est menée par des membres de l’ethnie Somali de la rébellion du Front national de libération de l’Ogaden. Aucun mesure directe n’a été prise contre Al-Jazeera, mais les liens diplomatiques entre les deux pays n’ont pas été rétablis.

L’Ogaden demeure virtuellement inaccessible aux médias. Sa couverture s’est largement réduite aux rapports publiés par des organisations internationales décrivant les violations des droits de l’homme et la réaction officielle du gouvernement. La censure gouvernementale n’a cependant pas empêché les rebelles de continuer à diffuser des communiqués sur leur site Internet, qui reste bloqué en Ethiopie.

En août, des journalistes à Addis-Abeba ont dit ne pas pouvoir accéder au site Internet du CPJ, tombant sur une page disant que celle-ci « ne peut s’afficher ». Bereket Simon, un conseiller de Zenawi, a déclaré au CPJ que le gouvernement n’avait pas de politique consistant à bloquer des sites Internet. Il a ajouté n’avoir reçu aucune plainte d’Ethiopiens à ce sujet et a exprimé des doutes sur la crédibilité de telles informations. Fin 2008, le site du CPJ demeurait bloqué. De façon récurrente depuis 2005, des dizaines de sites et de blogs basés à l’étranger sont inaccessibles aux usagers éthiopiens, selon OpenNet Initiative, un partenariat universitaire qui étudie les questions de censure sur Internet.

Les autorités ont affirmé avoir fait des efforts pour améliorer la situation des médias. S’exprimant dans Newsweek en avril, Zenawi a déclaré que le gouvernement était en train de remplacer la loi répressive sur la presse de 1992 par une nouvelle loi « qui, nous l’espérons beaucoup, rendra notre législation comparable aux meilleures du monde ». En réalité, si la nouvelle Proclamation sur les médias et la liberté de l’information bannit le principe de censure et de détention préventive des journalistes, elle maintient une répression pénale de la diffamation ainsi que des lois relatives à la sécurité nationale avec des dispositions formulées en termes vagues. Cette mesure, devenue loi en décembre, augmente les amendes pour diffamation jusqu’à 100 000 birrs (10 000 dollars US) et accorde au procureur le droit discrétionnaire de saisir sommairement toute publication qu’il juge menaçante à l’ordre public ou à la sécurité nationale. Journalistes locaux, experts juridiques et nombre de parlementaires de l’opposition ont dénoncé cette loi, déclarant qu’elle avait été adoptée sans une pleine consultation publique. Des militants ont aussi contesté une autre législation qui imposerait de sévères restrictions aux organisations non gouvernementales opérant dans le pays. Ce projet de loi était toujours en examen fin 2008.

En juin, une décision historique de l’Autorité audiovisuelle éthiopienne a approuvé la première station de radio privée en langue étrangère, Afro FM, selon Addis Fortune citant un membre de l’Autorité qui déclarait que la station avait été sélectionnée sans concurrent. Les autres candidats potentiels n’avaient pas fourni de documents pour leurs demandes. Afro FM devrait diffuser en anglais, français et arabe à l’attention de l’élite des classes moyennes éthiopiennes et des expatriés.

Après deux ans d’emprisonnement, les journalistes érythréens Tesfalidet Kidane Tesfazghi et Saleh Idris Gama sont toujours détenus au secret. Les deux reporters de la télévision d’Etat Eri-TV font partie des dizaines de « suspects de terrorisme » détenus fin 2006 après l’invasion de la Somalie par les forces éthiopiennes. Dans un entretien avec le CPJ en août, Simon a dit que leur dossier judiciaire était pendant, mais il a refusé de fournir tout détail sur la situation des reporters, leur santé et leur statut juridique.


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