Au Cameroun, une affaire de diffamation de longue date met en lumière des poursuites vexatoires contre des journalistes

Samuel Bondjock, directeur de publication du site d'information en ligne camerounais Direct Info, se dit épuisé après avoir comparu plus de 30 fois devant les tribunaux pour une affaire de diffamation contre laquelle il se bat depuis mars 2022. (Photo : avec l'aimable autorisation de Samuel Bondjock)

Dakar, le 20 août 2024 – Le journaliste camerounais Samuel Bondjock a dû comparaître devant les tribunaux plus de 30 fois en près de 30 mois pour répondre d’accusations de diffamation qui pourraient le conduire en prison, même si le régulateur des médias du pays a rejeté la plainte déposée contre lui en 2022. 


Sa prochaine comparution dans la capitale Yaoundé est prévue pour le 27 août, mais Bondjock a peu d’espoir de parvenir à une résolution dans ce qui est considéré comme un exemple classique de SLAPP (Poursuite stratégique contre la participation publique) – des poursuites vexatoires de plus en plus utilisées contre ceux qui expriment des opinions critiques.

Ces poursuites invoquent fréquemment des lois pénales sur la diffamation pour punir et censurer les journalistes. Au Cameroun, Bondjock – directeur de publication du site d’information en ligne privé Direct Info – est l’un des tous derniers journalistes du pays à être accusé de diffamer des personnalités influentes telles que des stars de football, des écrivains, des responsables gouvernementaux, des législateursdes pasteurs et les personnes ayant des liens politiques.

« Les autorités doivent mettre fin au harcèlement juridique et à l’instrumentalisation du système judiciaire camerounais contre Samuel Bondjock, d’autant plus que le régulateur des médias du pays l’a déjà disculpé », a déclaré Angela Quintal, directrice du programme Afrique du CPJ, à New York. « Le Cameroun doit suivre l’exemple de plusieurs autres pays africains pour dépénaliser la diffamation, conformément à une résolution de 2010 de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, et veiller à ce que les poursuites SLAPP ne soient pas utilisées pour censurer la presse. »

En mars 2022, Ahmadou Sardaouna, directeur général de la Société immobilière du Cameroun (SIC) gérée par l’État, a déposé des plaintes pénales contre Bondjock pour   « atteinte à son honneur » dans deux articles publiés en décembre 2021 et février 2022, selon les plaintes et les articles  de presse examinés par le CPJ.

Le même mois, Sardaouna a également déposé plainte auprès du Conseil national de la communication (CNC) du Cameroun pour « accusations non fondées de nature à nuire à son image ». Le régulateur des médias a statué en faveur de Bondjock, estimant que son journalisme avait satisfait aux « exigences professionnelles en matière d’enquête et de recoupement », selon une copie de sa décision rendue le 29 juillet 2022 et examinée par le CPJ.

Bondjock a déclaré au CPJ qu’il avait peu d’espoir que son procès commence ce mois-ci car l’absence de Sardaouna avait entraîné des reports répétés des audiences précédentes : « Le plaignant ne fait rien d’autre que de recourir à des tactiques dilatoires pour prolonger ce procès afin de m’épuiser financièrement, moralement et même professionnellement, en me faisant perdre mon temps. Et d’ajouter « Mon avocat me défend malgré de nombreux honoraires impayés ». 

Joseph Jules Nkana, l’avocat de Sardaouna, a déclaré au CPJ que son client n’avait pas refusé d’assister aux audiences précédentes et qu’une médiation avait été entreprise par « les collègues de Bondjock ». Cependant, le journaliste a refusé une rencontre en vue de trouver un accord, a indiqué M. Nkana.

François Mboke, président du réseau camerounais des propriétaires de presse, qui a initié une médiation en 2022 pour mettre fin aux poursuites, a déclaré au CPJ que celle-ci avait échoué. 

Bondjock a déclaré au CPJ qu’il n’avait aucune raison d’essayer de chercher un accord avec Sardaouna, car le CNC avait statué en sa faveur.

En vertu du Code pénal camerounais, la diffamation est passible d’une peine d’emprisonnement de six jours à six mois et d’une amende pouvant aller jusqu’à 2 millions de francs CFA (3 330 dollars).

Dans une soumission conjointe de 2023 au Conseil des droits de l’homme de l’ONU examinant le bilan du Cameroun en matière de droits humains, le CPJ et d’autres groupes de défense des droits ont relevé au moins quatre cas d’arrestation et de condamnation pour diffamation entre 2019 et 2022, y compris contre Martinez Zogo, qui a été tué en 2023.

D’autres pays subsahariens ont criminalisé la diffamation, notamment le Nigeria, l’Angola, le Togo et la République démocratique du Congo. En juin 2024, le Niger a rétabli les peines de prison pour diffamation et injure, lesquelles avaient été remplacées par des amendes deux ans plus tôt. 

Denis Omgba Bomba, directeur de l’observatoire des médias au ministère camerounais de la Communication, n’a pas répondu à la demande de commentaires du CPJ sur le cas de Bondjock via une application de messagerie.

Exit mobile version