Policiers dans les rues de Lomé (Togo), le 28 février 2020. Le Togo a récemment ordonné à trois journaux de suspendre leurs opérations. (Reuters/Luc Gnago)
Policiers dans les rues de Lomé (Togo), le 28 février 2020. Le Togo a récemment ordonné à trois journaux de suspendre leurs opérations. (Reuters/Luc Gnago)

Le Togo suspend 2 journaux à la suite d’une plainte française, et un troisième pour avoir critiqué une décision

New York, le 3 avril 2020 – Les autorités togolaises doivent lever la suspension des journaux Liberté, L’alternative et Fraternité et veiller à ce que les médias soient libres de couvrir la politique et tout autre sujet d’actualité, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes.

Le 23 mars, l’instance de régulation des médias togolais, la HAAC (Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication), a ordonné au quotidien Liberté et au bimensuel L’Alternative de suspendre leur publication et, le 30 mars, a ordonné la suspension de l’hebdomadaire Fraternité, selon les copies des ordonnances de suspension examinées par le CPJ.

Les ordonnances exigent que ces journaux suspendent leurs opérations de presse et d’internet – Liberté pendant 15 jours, L’Alternative et Fraternité pendant deux mois chacun.

Les ordonnances relatives à Liberté et à L’Alternative renvoyaient à une plainte datée du 6 mars déposée par l’ambassadeur de France au Togo, Marc Vizy. La plainte, dont le CPJ a étudié une copie, était imprimée sur papier à en-tête de l’ambassade de France et alléguait que les journaux avaient publié des accusations « graves, infondées, et calomnieuses » à l’encontre du gouvernement français.

Dans son ordonnance de suspension relative à Fraternité, le régulateur citait un article publié le 25 mars dans ce journal critiquant la suspension des deux autres journaux et alléguait que l’article contenait des « propos discourtois, injurieux et diffamatoires à l’endroit des membres de la HAAC ».

« La suspension de Fraternité, de Liberté et de L’Alternative pour leur couverture critique des autorités françaises et togolaises est extrêmement irresponsable vis-à-vis de la crise de santé publique à laquelle le pays est confronté », a déclaré Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique du CPJ. « L’ambassadeur de France au Togo, Marc Vizy, devrait retirer sa plainte contre les deux journaux afin d’encourager tout soutien à la liberté de la presse, plutôt que le contraire. »

Les trois journaux sont connus pour leurs reportages critiques sur le gouvernement du Président togolais Faure Gnassingbé, qui est au pouvoir depuis 2005 et a remporté une réélection contestée en février, selon des articles de presse.

D’après des articles publiés sur le site internet de Fraternité ainsi que selon le rédacteur en chef de L’Alternative Isidore Kouwonou et le directeur de Liberté Médart Ametepe, qui se sont entretenus via une appli de messagerie avec le CPJ, les trois journaux avaient récemment publié des reportages sur la pandémie de coronavirus.

La plainte de Vizy, imprimé sur papier à en-tête de l’ambassade de France, renvoyait à un article publié par Liberté le 3 mars intitulé « Marc Vizy, l’autre ennemi de la démocratie au Togo », où il était avancé que Vizy s’était rangé du côté du gouvernement du Togo contre le peuple togolais. La plainte prétendait que Liberté avait porté des accusations infondées contre Vizy « et donc, à traves lui, contre le pays qu’il représente du Togo ».

La plainte faisait également référence à un article publié dans L’Alternative le 28 février intitulé « Françafrique et soutien aux dictateurs : Franck Paris, l’intriguant », où il était allégué que Franck Paris, le conseiller Afrique du Président français, soutenait des régimes autocratiques du continent. Vizy affirmait que L’Alternative avait porté des accusations sans fondement contre Franck Paris « et donc à traves lui, contre le Président [français] lui-même ».

Le 16 mars, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication a convoqué les directeurs des journaux à comparaître pour discuter de la plainte et a déclaré que la « véracité » des propos et les « preuves » apportés à l’appui des articles étaient insuffisantes, d’après les ordonnances de suspension.

Kouwonou a informé le CPJ qu’il avait dit au régulateur que son journal était prêt à inclure la réponse de Vizy à l’article en cause. Toutefois, Vizy avait stipulé dans sa plainte « Je ne demande pas le droit de réponse », et a invité le régulateur à sanctionner les deux journaux.

Kouwonou a précisé que le régulateur lui avait demandé d’imprimer une correction de l’article mais qu’il a refusé.

Lorsque le CPJ a appelé l’ambassade de France au Togo, un représentant de l’ambassade s’est refusé à tout commentaire.

Le CPJ a appelé le ministère français des Affaires étrangères et européennes et on lui a passé le bureau de la porte-parole du ministère Agnès von der Mühll, mais sans obtenir de réponse. Plusieurs appels ultérieurs du CPJ sont également restés sans réponse.

Le 31 mars, le CPJ a réussi à contacter par téléphone Badibassa Babaka, un membre de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication du Togo. Ce dernier a précisé que Willybrond Télou Pitalounani, président de la HAAC, était le représentant habilité à commenter la suspension de Liberté et de L’Alternative.

Rejoint par téléphone le 1er avril, Pitalounani a demandé au CPJ de lui soumettre des questions par courrier électronique via le site internet de la HAAC, ce que le CPJ a fait le jour même. Le CPJ n’a pas reçu de réponse à ses questions.