Au Cameroun, un journaliste poursuivi pour reportage sur les sécessionnistes anglophones

New York, le 8 novembre 2012- Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a appelé aujourd’hui les autorités camerounaises à abandonner les poursuites pénales contre un journaliste qui a été arrêté le mois dernier lors d’un reportage sur un rassemblement de militants sécessionnistes dans la partie anglophone du Cameroun. Le journaliste est actuellement en liberté sous caution, mais encoure une amende et une peine allant jusqu’à six mois de prison ferme.

Baature Edua Mvochou, ressortissant nigérian et directeur de publication du magazine African Drum paraissant à Jos, au Nigeria, fait partie d’une soixantaine de personnes inculpées de rassemblement illégal dans la ville de Buea située au sud-ouest du Cameroun, a déclaré au CPJ son avocat, Me Ajong Stanislaus Anuaboudem. Ce jeudi dernier, un magistrat du tribunal de Buea a ajourné l’affaire  jusqu’au 14 mars prochain.

M. Edua a été arrêté le 1er octobre dernier, alors que Martin Yembe Fon, directeur de publication du journal local The Frontier Telegraph et lui essayaient de faire un reportage sur un rassemblement de militants sécessionnistes dans une église locale, selon des médias et des journalistes locaux. Des policiers les ont interceptés et confisqués leurs cartes de presse avant de leur ordonner de rentrer dans l’église, a déclaré M. Fon au CPJ. « Dans l’église, nous avons pris des photos de plus d’une centaine de militants et responsables de l’église en train de prier», a-t-il ajouté. «Au milieu de la messe, un important contingent de policiers a envahi les locaux, nous ordonnant tous de monter dans les fourgons de police ou d’être brutalisés », a-t-il ajouté

Les deux journalistes ont été conduits avec les autres au commissariat central de police de Buea, où ils ont été interrogés, photographiés et leurs empreintes digitales relevées, a rapporté  le principal quotidien indépendant camerounais, Le Messager. Après 10 heures de détention, ils ont été traduits en justice et inculpés de rassemblement illégal en vertu de l’article 231 (a) du Code pénal camerounais, selon Me Anuaboudem, avocat de la défense. Ce chef d’accusation est passible d’une peine maximale de six mois de prison et d’une amende de 100 000 francs CFA (soit 200 dollars américains). Le procureur de la République a par la suite  abandonné toutes les accusations portées contre M. fon. Les journalistes ont été libérés sous caution le 2 octobre dernier à minuit, après avoir passé six heures au tribunal, a déclaré M. Fon, qui a souligné que la police ne lui a pas encore rendu son appareil photo numérique et son dictaphone.

« Martin Yembe Fon et Baature Edua Mvochou étaient apparemment des témoins gênants de la répression d’une réunion de sécessionnistes, une question d’intérêt public national que le gouvernement camerounais préfère étouffer », a déclaré Mohamed Keita, coordonnateur du plaidoyer pour l’Afrique du CPJ. «Nous exhortons les autorités camerounaises à abandonner les poursuites contre Edua, qui ne faisait que son travail », a-t-il ajouté.

Les militants s’étaient rassemblés pour commémorer la date de 1961, année à laquelle la province locale, le Cameroun du Sud qui était alors sous administration britannique, a été rattachée à la République francophone du Cameroun, selon les journalistes et les médias. Pour le gouvernement, cette date marque la commémoration de l’unité nationale, mais les habitants de cette partie du pays profitent de cette occasion pour renouveler leurs vieilles demandes de sécession du Cameroun. Un policier, cité par  Le Messager, a déclaré sous couvert de l’anonymat  que les forces de sécurité avaient pris d’assaut l’église pour empêcher le groupe d’organiser une marche de protestation après la messe.

Lors d’une conférence de presse le 19 octobre dernier, le ministre de la communication et porte- parole du gouvernement camerounais Issa Tchiroma Bakary a déclaré qu’aucun journaliste n’est détenu dans le pays dans le cadre de son travail, selon des médias. «Nous pouvons constater, avec regret, que certains citoyens ordinaires, journalistes de profession, se retrouvent parfois dans nos prisons, à la suite d’accusations basées sur des délits de droit commun, punissables par le droit pénal», a déclaré M. Bakary. Il réagissait aux conclusions conjointes du rapport du CPJ, de PEN International, une association d’écrivains internationale, et de l’association Internet Sans Frontières  basée en France, sur la liberté de presse,  la liberté d’expression et la liberté d’Internet au Cameroun. Le rapport, qui a été soumis au  Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, détaillait des cas de persécution de journalistes durant des enquêtes sur la corruption ou des reportages sur des manifestations anti-gouvernementales.