New York, le 03 août 2011–Le gouvernement du président du Burundi, Pierre Nkurunziza, tente de museler les médias remettant en cause la gestion de son administration à travers le harcèlement judiciaire incessant de deux des principales stations de radio indépendantes du pays, a déclaré aujourd’hui le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Depuis que le président Nkurunziza a raflé les élections présidentielles et parlementaires de 2010 boycottées par l’opposition, son second mandat a été critiqué par des organisations internationales de défense des droits de l’homme pour des violations des droits humains, notamment l’emprisonnement pendant 10 mois du journaliste Jean-Claude Kavumbagu. Des troubles violents menacent également un accord de paix fragile signé après treize ans de guerre civile, selon des médias. Ces dernières semaines, les procureurs de l’administration de M. Nkurunziza et l’organe nationale de régulation des médias, le Conseil national de la Communication (CNC), contrôlé par le gouvernement, ont recouru à des convocations incessantes au tribunal, à l’emprisonnement et à des menaces de fermeture contre les 2 principales stations de radio indépendantes, par la Radio Publique Africaine (RPA) et la Radio Isanganiro, selon des recherches du CPJ. Ces stations soulèvent régulièrement des questions critiques sur les sujets d’actualité et la gestion du gouvernement.
«Le harcèlement judiciaire constant pratiqué par les autorités burundaises est une claire tentative visant à dissuader tout reportage indépendant par ces stations de radio privées », a déclaré Tom Rhodes, consultant du CPJ pour l’Afrique de l’Est. « Les autorités burundaises, notamment le CNC, doivent permettre à ces stations de travailler en paix, sans utiliser un système judiciaire politisé en vue de les réduire au silence », a-t-il martelé.
Lundi dernier, les procureurs de Bujumbura, la capitale burundaise, ont convoqué Patrick Mitabaro, rédacteur en chef de Radio Isanganiro, pour la deuxième fois depuis juillet, a dit au CPJ Désiré Hatungimana, reporter de ladite station. M. Mitabaro a été accusé par des procureurs d’outrage à la justice pour avoir diffusé des propos de Me Isidore Rufyikiri, le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burundi actuellement emprisonné, qui avait déclaré que les tribunaux étaient sous contrôle du pouvoir exécutif burundais, selon des journalistes locaux. Il convient de noter que dans un rapport en mai 2011, l’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Burundi, Fatsah Ouguergouz, avait exprimé de sérieuses inquiétudes au sujet du « manque d’indépendance de la justice » au Burundi.
Auparavant, M. Mitabaro avait été convoqué mardi dernier pour un autre interrogatoire dans une autre affaire inconnue, a dit M. Hatungimana. En mai dernier, ce journaliste avait été convoqué et accusé de diffusion d’informations ayant prétendument porté atteinte à la sûreté de l’Etat, pour une interview au cours de laquelle l’ancien porte-parole d’un parti d’opposition avait critiqué une proposition du gouvernement pour la réforme des partis politiques, selon des médias.
Bob Rugurika, rédacteur en chef de la RPA, a également été interrogé lundi dernier par le procureur de la République–la quatrième fois depuis le 18 juillet dernier–pour une émission ayant soulevé des interrogations sur l’intégrité de Léonce Ndarubagiye, un ancien gouverneur de province et membre d’une commission chargée de la mise en place de la Commission Vérité et Réconciliation du Burundi, selon des journalistes locaux. La RPA avait cité un rapport de l’ONU daté de 1996 qui impliquait M. Ndarubagiye dans un massacre de Tutsis. Immédiatement après l’émission, le 23 juillet dernier, le président du CNC, Pierre Bambasi, a publié un communiqué déclarant que la diffusion de telles informations constituait une « incitation à la haine ethnique, et donc capable d’avoir des effets négatifs sur la réconciliation et la sécurité de la population», selon des médias.
Par la suite, M. Rugurika a été convoqué par un magistrat pour un autre interrogatoire, le 9 août courant, au sujet d’une autre affaire inconnue, a dit le journaliste au CPJ. Lors d’un interrogatoire précédent le 18 juillet dernier, les procureurs l’avaient accusé de diffusion d’informations « susceptibles d’inciter à la désobéissance civile » dans le cadre d’émissions consacrées à des partis d’opposition, notamment le Front pour la démocratie au Burundi et l’Alliance des démocrates pour le changement, selon des journalistes locaux.
Des journalistes de la station de la RPA dans la ville de Ngozi, au nord du pays, ont également été convoqués. Vendredi et lundi derniers, un procureur de la République a interrogé le chef de cette station, Léonce Niyongabo, ainsi que son reporter, Yvette Murekesabe, au sujet d’un article ayant impliqué un membre des services de sécurité de l’Etat dans un viol, selon des journalistes locaux.
Par ailleurs, à travers une action considérée comme un moyen de contrecarrer la défense juridique de la RPA, les autorités burundaises ont emprisonné le 29 juillet dernier l’avocat de ladite station de radio, François Nyamoya, sous de fausses accusations de subornation de témoins dans le cadre d’une affaire dans laquelle il avait défendu avec succès un suspect dans l’assassinat en 2001 du représentant résidant de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) au Burundi, Kassy Manlan, selon des journalistes locaux. Cette affaire est classée depuis 2003, et le code de procédure pénale du Burundi interdit les poursuites pour une infraction dans le cadre d’une affaire classée pendant plus de trois ans, selon les mêmes sources.
Cette année, les autorités burundaises ont constamment harcelé la RPA et Radio Isanganiro pour leurs reportages. En avril dernier, elles avaient imposé une suspension de quatre jours à une émission-débat populaire de la RPA. En outre, quatre journalistes de la RPA, Zirampaye Raymond, Domithile Kiramvu, Bonfils Niyongere et Philbert Musobozi, ont été accusés de diffamation pénale par Evrard Giswaswa, le maire de Bujumbura, pour des reportages en octobre 2010 sur une prétendue bagarre de M. Giswaswa dans une boîte de nuit, selon la presse locale.