Attaques contre la presse en 2010: Le Cameroun

Principaux Développements
• Un haut responsable de la présidence lance de brutales représailles contre des journalistes enquêtant sur un présumé scandale de détournement de fonds à la Société nationale des hydrocarbures.
• La nation pleure la mort du journaliste Pius Njawé, pionnier de la presse privée.

Statistique Cle
4 journalistes emprisonnés pour recel de document. L’un d’entre eux décède en prison, un autre déclare avoir été torturé.

Lorsque quatre journalistes de presse écrite ont conjointement adressé des interrogations à un haut responsable de la présidence du Cameroun en 2009, ils souhaitaient en apprendre davantage sur un prétendu détournement de fonds à la Société nationale des hydrocarbures (SNH). Au lieu de cela, ils ont été la cible de représailles virulentes du gouvernement à partir de février qui ont entraine la mort en prison d’un directeur de publication. Un autre a déclaré avoir été torturé, tandis que deux autres ont été emprisonnées pendant neuf mois. Cette affaire, la plus grave violation de la liberté de la presse au Cameroun depuis au moins une décennie, a illustré l’intimidation brutale infligée par de puissantes personnalités publiques aux journalistes qui passent au crible leurs activités.

ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2010
Préface
Introduction
Analyse sur L’Internet
Analyse Afrique
Afrique du Sud
Angola
Cameroun
Ethiopie
Nigeria
RDC
Rwanda
Somalie
Ouganda
Zimbabwe
En bref

Cette affaire a commencé lorsque les journalistes ont adressé une série d’interrogations à Laurent Esso, ministre d’État secrétaire général de la présidence et président du conseil d’administration de la SNH, avec une copie d’un document qui a été divulgué. Ils enquêtaient sur des allégations de décaissement irrégulier d’1,3 milliards de francs CFA (2,6 millions de dollars) de « commissions » au profit de trois fonctionnaires de la SNH découlant de l’achat d’un bateau-hôtel, selon des médias et des interviews du CPJ. Le document joint était présenté comme une note confidentielle signée par M. Esso en juin 2008 qui aurait ordonné le paiement de ces commissions. Esso n’a pas commenté publiquement ces allégations, ni répondu aux demandes du CPJ pour une réponse.

Les journaux n’ont jamais eu la possibilité de publier l’article et, ironiquement, les détails de ces allégations sont ressortis des reportages sur l’arrestation de ces journalistes.

Le 5 février, des agents de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), un service de renseignement sous l’autorité de la présidence, ont arrêté Germain Cyrille Ngota Ngota, Harrys Robert Mintya, Serge Sabouang, respectivement directeurs de publication du bimensuel Cameroon Express, de l’hebdomadaire Le Devoir, et du bimensuel La Nation, ainsi que Simon Hervé Nko’o, reporter de l’hebdomadaire Bebela. Les agents ont fait pression sur les journalistes pour qu’ils révèlent la source de la note en question, incarcérant ainsi chacun d’eux pendant plusieurs jours, ont-ils ensuite dit à des confrères. A partir du 25 février, la police judiciaire a de nouveau arrêté les journalistes qui ont été inculpés de falsification d’un document administratif, selon des médias. Nko’o était entré en cachette avant cette date, mais les autres journalistes ont été à nouveau arrêtés et incarcérés à la prison de Kondengui sise à la capitale, Yaoundé.

Le 22 avril, Ngota meurt dans sa cellule pendant qu’il était en détention provisoire. Le journaliste est mort à l’âge de 38 ans pour cause d’ «abandon, de mauvais soins », et « non-assistance » des autorités, selon un certificat de décès initial du médecin de la prison, que sa famille avait divulgué aux journalistes locaux. Ngota, un journaliste chevronné qui jouissait de 15 ans d’expérience dans la presse, est le premier journaliste à avoir perdu la vie dans l’exercice de ses fonctions au Cameroun depuis que le CPJ a commencé à compiler les informations détaillées sur tous les cas de décès de journalistes en 1992.

Le CPJ et d’autres organisations ont immédiatement demandé une enquête indépendante sur la mort de Ngota. Le président camerounais, Paul Biya, a ordonné une enquête de police judiciaire «indépendante de l’exécutif », mais semblait avoir déterminé le résultat à l’avance. Biya a affirmé que cette affaire n’était «pas une question de restriction de la liberté de la presse », selon des médias, déclarant que Ngota est mort des suites d’un mauvais état de santé. L’enquête du gouvernement qui s’en est suivie était entachée d’irrégularités.

Juste deux jours après l’annonce de Paul Biya, le ministre camerounais de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a déclaré que Ngota avait été dépisté séropositif et qu’il est décédé des suites d’infections opportunistes, une déclaration contestée par la veuve du journaliste. Tchiroma a dit que ces résultats étaient basés sur une autopsie du corps de Ngota, qui, dit-il, s’est effectuée en présence de la famille du journaliste: une affirmation rejetée par le frère de Ngota, Bruno Ntede, selon l’Agence France-Presse. Félix Cyriaque Ebolé Bola, un journaliste local invité par le gouvernement pour être témoin indépendant lors de l’autopsie, a déclaré au CPJ qu’on lui a donné une mauvaise adresse et qu’il n’a pas pu y assister.

En septembre, le ministre camerounais de la Justice, Amadou Ali, a présenté les résultats de l’enquête de son département sur la mort du journaliste, qui a absout les autorités de toute responsabilité dans le décès du journaliste. Le syndicat national des journalistes du Cameroun et la famille de Ngota ont critiqué cette enquête qu’ils ont jugée opaque, car les parents de la victime n’ont jamais été consultés ou informés de ses développements. Ils ont trouvé la démarche intrinsèquement contradictoire puisque que la police judiciaire même qui menait l’enquête était impliquée dans les premières arrestations des quatre journalistes. Le rapport n’a fait état d’aucun mauvais traitement de ces derniers.

Cependant, Nko’o, le confrère qui a fui en cachette, a déclaré au CPJ qu’il a été torturé pendant sa courte période en prison. Un médecin qui a examiné Nko’o a déclaré, dans une attestation médicale signés le 22 février, qu’il a trouvé des lacérations sur la plante des pieds du journaliste. L’attestation, obtenue par le CPJ, a également souligné que Nko’o avait affirmé avoir été soumis à la simulation de noyade, la privation de sommeil, et l’exposition au froid par des agents de la DGRE qui tentaient de le contraindre à révéler ses sources pour la note.

Des organisations locales et internationales, dont le CPJ, ont dénoncé le manque d’indépendance de l’enquête et déclaré que le gouvernement était responsable du sort des détenus.

Le 3 mai, la journée mondiale de la liberté de la presse, les forces de sécurité ont violemment dispersé un sit-in de protestation de dizaines de journalistes devant le bureau du Premier ministre camerounais Philémon Yunji Yang à Yaoundé, pour réclamer justice pour Ngota et la libération des autres journalistes emprisonnés, selon des médias. Le président Biya a finalement ordonné la libération de Mintya et Sabouang en novembre, mais les accusations pénales portées contre eux étaient encore en instance. L’état de santé de Mintya s’était d’ailleurs dégradé en prison: Il a été hospitalisé en août après avoir été agressé dans sa cellule, selon des médias.

Dans un rapport publié en mai, le Comité des Nations unies contre la torture s’est dit préoccupé par «le nombre élevé de journalistes et de défenseurs des droits humains en détention et les allégations de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant ». Le comité a également dit qu’il était profondément préoccupé par le nombre des personnes en détention provisoire et par les « conditions de vie déplorables » dans les centres de détention. Il a cité la surpopulation carcérale, la violence infligée aux détenus, le manque d’hygiène et de nourriture adéquate et l’absence de soins médicaux appropriés.

Un autre journaliste, Lewis Medjo du défunt journal La Détente Libre, a été emprisonné au cours de l’année alors qu’il était malade. Medjo a finalement été libéré en mai après avoir purgé 20 mois à la prison de New Bell suite à une condamnation pour publication de « fausses nouvelles », selon des journalistes locaux et des médias. Pendant sa détention, le journaliste a souffert des maladies cardiaques et d’une grave otite de son oreille droite, selon des recherches du CPJ. Il avait d’abord été détenu en septembre 2008 pour un article alléguant, à tort finalement, que Biya avait limogé le président de la Cour suprême du Cameroun, selon les mêmes sources.

Au moins huit autres journalistes étaient la cible de poursuites pénales pendantes liées à leurs reportages concernant des fonctionnaires ou personnalités publiques, selon des recherches du CPJ. L’affaire la plus médiatisée concernait quatre grands journalistes qui ont participé à un débat télévisé en 2008 au sujet de l’opération Épervier, l’enquête controversée du gouvernement sur la corruption publique. Thierry Ngogang, rédacteur en chef de la chaîne Spectrum TV, Anani Rabier Bindzi, reporter de Canal 2 International, ainsi qu’Alex Gustave Azebaze et Jean-Marc Soboth, responsables du syndicat des journalistes du Cameroun, étaient poursuivis sous les chefs d’accusation de «commentaires tendancieux» susceptibles de nuire à une procédure judiciaire non définitivement jugée et de « divulgation non autorisée d’un document confidentiel » à la fin de l’année. Au cours de l’émission, Bindzi avait brandi un document qu’il a décrit comme une déposition.

Soboth a fui en exil en janvier après avoir signalé des menaces de mort de personnes qui, selon lui, semblaient être des agents de sécurité. L’opération Épervier, qui était dans sa septième année en 2010, a été largement critiquée pour sa partialité et sa politisation.

Le Cameroun, qui a la plus grande économie d’Afrique centrale, s’est classé parmi les 35 pires pays au monde sur l’Indice de perception de la corruption de Transparence International, qui classe les pays selon des critères d’intégrité gouvernementale, entre autres. Il s’est également classé à la 40ème position sur l’Indice de développement humain des Nations Unies en 2010, qui évalue les pays selon des critères tels que l’espérance de vie, l’éducation et le niveau de vie. Biya, au pouvoir depuis 1982, devait se présenter pour sa réélection en 2011, après avoir réussi à faire voter en 2008 un amendement constitutionnel abrogeant la limitation des mandats par la Parlement dominé par le Rassemblement démocratique populaire du Cameroun. En mars, malgré les protestations de l’opposition, le Sénat a adopté une loi transférant la surveillance des élections d’un organe électoral indépendant au ministère de l’Administration territoriale, selon Reuters. Dans un rapport publié en mai, l’ONG International Crisis Group, un groupe de réflexion indépendant, a mis en garde contre le risque d’instabilité politique au Cameroun du fait de la déception causée par le rythme des réformes, la corruption persistante et la pauvreté généralisée, malgré la richesse énergétique et minière de ce pays.

L’administration Biya a tenu la bride haute à la presse audiovisuelle indépendante par une combinaison de taxes exorbitants et une politique appelé «tolérance administrative», qui permet aux stations d’opérer de facto en attendant le paiement des frais de licence. En invoquant soudainement le non-paiement des droits de licence, le ministère de la Communication, porte-parole du gouvernement, a justifié la fermeture de stations de radio et de télévision en au moins cinq occasions depuis 2008, selon des recherches du CPJ. Les stations ont été fermées pour des reportages juges critiques envers le régime durant des périodes politiquement sensibles. En conséquence, quelques chaînes indépendantes pratiquaient considérablement l’autocensure, selon des journalistes locaux.

Plus de 400 journaux privés ont été recensés au Cameroun, selon les données du gouvernement, mais du fait de leurs maigre recettes publicitaires, l’écrasante majorité a du mal à paraitre régulièrement, selon des journalistes locaux. Les journalistes de la presse écrite sont souvent restés impayés pendant des périodes pouvant atteindre 10 mois consécutifs, selon une enquête en septembre 2009 de l’Union des journalistes. Les fortes pressions financières et politiques ont rendu les journalistes vulnérables à la corruption et aux pratiques contraires à l’éthique qui minent la liberté de la presse, selon des recherches du CPJ.

La presse camerounaise a aussi été endeuillée par la mort d’une icône au cours de l’année. Pius Njawé, fondateur du principal quotidien indépendant Le Messager et lauréat de Prix international du CPJ pour la liberté de la presse en 1991, est décédé le 12 juillet à l’âge de 53 ans dans un accident de la circulation dans l’État de Virginie, États-Unis. Njawé avait lancé la Fondation Jane & Justice pour le développement humain dévouée à l’amélioration de la sécurité routière à la suite du décès en septembre 2002 de son épouse, Jane, dans un accident de voiture au Cameroun. Bien que l’administration Biya ait emprisonné et harcelé Njawé à plusieurs reprises, elle a publié un communiqué officiel appelant Njawé « l’un des pionniers de la presse d’opinion» au Cameroun. «Il a contribué, à sa manière, à la vivacité du paysage politique et médiatique national», a déclaré ministre de la Communication, M. Tchiroma, qui a lu le communiqué de la présidence à la télévision d’État.